Analyse
Caractéristiques d’une prise en charge logopédique langagière à la suite d’un AVC
27 06 2024
Professions de santé
Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généralisteContexte
Chaque année, environ 4,5 millions de personnes qui survivent à un AVC souffrent d'aphasie (1). Ce trouble se traduit par des difficultés à parler, à comprendre le langage oral, à communiquer, à lire ou encore à écrire. Malgré l'accès à davantage de ressources de rééducation, les personnes atteintes d'aphasie connaissent des résultats fonctionnels plus faibles (2), des réseaux sociaux réduits (3) et retournent moins souvent à leur domicile ou à leur travail (4). L'aphasie a des impacts majeurs sur la santé, le psychosocial et l'économie. Dès lors, optimiser la prise en charge logopédique pour maximiser la récupération spontanée chez la personne aphasique est une priorité de recherche clinique. Ainsi, une synthèse méthodique de la Cochrane de 2016 a mis en évidence les bénéfices des thérapies intensives qui amélioreraient l’utilisation fonctionnelle du langage ainsi que la compréhension et la production langagière orale et écrite. Toutefois, la durée de ces bénéfices reste incertaine (5). La synthèse méthodique analysée ici a pour objectif d’examiner l'association entre l'intensité du traitement (heures/semaine), le dosage (nombre total d’heures), la fréquence (jours/semaine), la durée (semaines), la prestation (en personne, soutenue par ordinateur, adaptation individuelle et pratique à domicile), le contenu et les résultats langagiers pour les personnes atteintes d'aphasie (6).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses en réseau.
Sources consultées
- Medline, Embase et vérification des listes de références
- pas de restriction quant à la langue de publication.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion :
- de la création des bases de données à 2015
- ensembles de données publiées et non publiées issues d'essais contrôlés randomisés avec des données individuelles des participants (IPD) égales ou supérieures à 10 portant sur l’aphasie, les résultats langagiers et le temps écoulé depuis l’AVC
- critères d’exclusion :
- au total, 959 données individuelles de patients provenant de 25 études.
Population étudiée
- inclusion totale de 959 participants présentant une aphasie post-AVC.
Mesure des résultats
critères de jugement primaires et secondaires
- critères de jugement primaires et secondaires
- variations des gains de récupération du langage avant et après l'intervention en termes :
- ancrage : Western Aphasia Battery–Aphasia Quotient (WAB-AQ)
- compréhension auditive : Aachen Aphasia Test–Token Test (AAT-TT)
- dénomination : Boston Naming Test
- communication fonctionnelle : Aachen Aphasia Test–Spontaneous Speech Communication (AAT-SSC).
Résultats
- les plus grandes améliorations au niveau du langage et de la compréhension étaient associées à un dosage de 20 à 50 heures (18,37 [10,58 à 26,16] sur le Western Aphasia Battery–Aphasia Quotient ; 5,23 [1,51 à 8,95] sur le Aachen Aphasia Test–Test Token)
- les plus grandes améliorations cliniques au niveau du langage, de la communication fonctionnelle et de la compréhension étaient associées à 2 jusqu’à 4 heures et à 9 heures et plus de logopédie par semaine
- les plus grands gains cliniques étaient associés à une prise en charge logopédique fréquente pour le langage, la communication fonctionnelle (3 à 5+ jours/semaine) et la compréhension (4 à 5 jours/semaine)
- aucune preuve de gains en compréhension n'était présente pour les thérapies ≤ 20 heures, < 3 heures/semaine et ≤ 3 jours/semaine
- une thérapie mixte réceptive-expressive, adaptée de manière fonctionnelle, avec une pratique à domicile prescrite était associée aux plus grands gains globaux.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’une plus grande récupération langagière a été associée à une prise en charge logopédique réceptive-expressive fréquente et fonctionnelle, avec une pratique prescrite à domicile d'une intensité et d'une durée supérieures à celles rapportées par les services cliniques habituels au niveau international. Ces résultats exploratoires suggèrent des plages thérapeutiques critiques, informant des essais de vérification d'hypothèses et l'adaptation des services cliniques.
Financement de l’étude
National Institute for Health Research Health Services and Delivery Research (UK) ; The Tavistock Trust for Aphasia (UK).
Conflit d’intérêt des auteurs
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette revue systématique avec méta-analyses en réseau témoigne d’une bonne rigueur méthodologique. Son objectif est clairement ciblé et les critères d’inclusion des études sont fournis. Leur protocole de recherche a également été enregistré dans la base de données PROSPERO. Les articles ont été examinés de manière indépendante par deux auteurs et un troisième intervenait en cas de désaccord. Les auteurs ont obtenu l’approbation éthique universitaire et l’enregistrement réglementaire du service national de santé du Royaume-Uni. Ils se sont référés aux directives et extensions PRISMA pertinentes afin d'étayer le rapport de cette méta-analyse en réseau d’IPD portant sur des d'interventions complexes (7). De plus, ils ont utilisé des critères d'éligibilité assez larges, n'imposant aucune limitation de langue, de date ou de publication dans leur recherche systématique de données, ce qui a conduit à l'inclusion de données géographiquement et linguistiquement diverses. Les auteurs de cette revue ont aussi intégré les critères des participants, de la conception de l'étude, et la disponibilité des données individuelles des patients (IPD) ainsi que les descriptions narratives des résultats. Les auteurs ont également minimisé le risque de biais de sélection et de disponibilité, ainsi que les erreurs d'extraction et de synthèse des données. Les études incluses ont été évaluées pour leur qualité et ces évaluations de qualité sont reproductibles. La transformation des données linguistiques sur des instruments de mesure des résultats reconnus internationalement a permis d'obtenir des scores de changement cliniquement significatifs pertinents pour les milieux de rééducation. Pour minimiser la possibilité de partager involontairement des informations pouvant être utilisées pour réidentifier des informations privées et pour garantir le respect des approbations éthiques des données primaires et métadonnées, un sous-ensemble des données a été généré et est disponible en ligne. Toutefois, nous regrettons que la stratégie de recherche ne soit pas décrite avec suffisamment de détails pour être reproduite.
Évaluation des résultats de l’étude
Les résultats de cette synthèse méthodique confirment l’efficacité de la prise en charge logopédique intensive chez des personnes atteintes d’aphasie, en précisant les indications les plus pertinentes afin de maximiser les bénéfices cliniques et de favoriser une récupération maximale en cas d’aphasie. Toutefois, malgré des recherches approfondies, l’ensemble de leurs données provenait principalement de participants anglophones, de pays à revenus élevés, dotés de services de prise en charge des AVC bien développés. De plus, étant donné la complexité de l’intervention, la fréquence, l'intensité et le dosage de la thérapie ne sont pas des variables totalement indépendantes. Les variations de réponse à l'intervention parmi les sous-groupes de patients nécessitent des investigations supplémentaires. Ensuite, les résultats de cette étude sont inévitablement influencés par la variabilité du temps écoulé depuis l’AVC ainsi que par le type d’AVC, même si la plupart des participants avaient eu un AVC ischémique de l'hémisphère gauche prédominant. Enfin, il apparaît difficile de mettre en place des prises en charge logopédiques intensives dans le contexte belge actuel. En effet, le nombre de séances remboursées par les mutuelles est limité à 288 séances de 30 minutes réparties sur une période totale continue de 4 ans. Un patient aphasique bénéficiant de 2 à 4 heures de logopédie par semaine aurait donc épuisé toutes ses séances remboursées en moins d’un an. Il est à noter que l’arrêt du remboursement des séances signifie généralement un arrêt de la prise en charge pour les patients qui ne peuvent souvent pas se permettre de prendre à leur charge la totalité des frais de logopédie. Les résultats de cette étude mettant en évidence des plages thérapeutiques critiques invitent à réfléchir aux conditions de remboursement tout en soulevant de nouvelles hypothèses, comme relevées par les auteurs, qui devront être explorées dans de futures RCTs.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Des recommandations de 2016 insistent sur l’importance de proposer une thérapie intensive et individualisée afin d’obtenir un impact significatif sur la communication et la vie quotidienne. L'intervention peut consister en une thérapie orientée sur les déficiences, une formation compensatoire, une thérapie conversationnelle, une thérapie orientée sur les fonctions/participations, une intervention environnementale et/ou une formation aux supports de communication ou à la communication augmentative et alternative (8). Les Clinical Guidelines for Stroke Management de la Stroke Foundation d’Australie et de Nouvelle-Zélande (2022) recommandent une prise en charge logopédique précoce débutant dans les quatre premières semaines suivant l'AVC afin de maximiser la récupération langagière. D’après le National Clinical Guideline for Stroke for the United Kingdom and Ireland (2023), les personnes aphasiques après un AVC doivent avoir l'opportunité d'améliorer leurs capacités linguistiques et de communication aussi fréquemment et aussi longtemps qu'elles continuent à faire des progrès significatifs, sous la supervision d'un logopède (9). Finalement, une revue systématique récente des guides de pratique clinique pour l'AVC de 2023 recommande une prise en charge logopédique précoce, fréquente et intensive (10).
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau de bonne qualité méthodologique montre que chez des patients présentant une aphasie post-AVC, une meilleure récupération langagière était associée à une prise en charge logopédique fréquente, axée sur le fonctionnel et ciblant les versants réceptif et expressif, avec une pratique à domicile plus longue et intensive que ce qui est généralement recommandé dans les services cliniques à l'échelle internationale. Toutefois, d’autres études sont nécessaires pour confirmer ou affiner ces résultats. De plus, les variations de réponse à l'intervention parmi les sous-groupes de patients nécessitent une investigation plus approfondie puisque la fréquence, l’intensité et le dosage ne sont pas entièrement des variables indépendantes.
- GBD 2016 Stroke Collaborators. Global, regional, and national burden of stroke, 1990-2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. Lancet Neurol 2019;18:439-58. DOI: 10.1016/S1474-4422(19)30034-1
- Paolucci S, Matano A, Bragoni M, et al. Rehabilitation of left brain-damaged ischemic stroke patients: the role of comprehension language deficits. A matched comparison. Cerebrovasc Dis 2005;20:400-6. DOI: 10.1159/000088671
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- National clinical guideline for Stroke for the United Kingdom and Ireland. Intercollegiate Stroke Working Party 2023. Available at: https://www.strokeguideline.org/
- Burton B, Isaacs M, Brogan E, et al. An updated systematic review of stroke clinical practice guidelines to inform aphasia management. Int J Stroke 2023;18:1029-39. DOI: 10.1177/17474930231161454
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