Analyse
Quel est l’effet à long terme des interventions sur le mode de vie chez les personnes présentant un prédiabète ?
25 10 2024
Professions de santé
Diététicien, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
Le prédiabète se caractérise par une hyperglycémie modérée à jeun qui ne répond pas aux critères diagnostiques du diabète sucré (1). On s’attend à ce que la prévalence mondiale du prédiabète chez les personnes ayant entre 20 et 79 ans augmente pour passer de 9,1% (464 millions) en 2021 à 10,0% (638 millions) en 2045 (2). Outre un risque accru d’évolution vers le diabète de type 2, les personnes présentant un prédiabète auraient également un risque accru de maladie cardiovasculaire et de décès prématuré (3). La prévention est donc importante dans cette population. Minerva a déjà discuté du suivi de l’étude sur la prévention du diabète menée dans la ville chinoise de Da Qing (Da Qing Diabetes Prevention Study, DPS) (4,5). Chez les participants atteints de prédiabète qui ont modifié leur régime alimentaire et ont augmenté leur activité physique dans le cadre d’une étude contrôlée multicentrique, menée en ouvert, d’une durée de six ans (6), on a pu montrer, après un suivi supplémentaire pendant 14 ans, que le diabète de type 2 apparaissait plus tard que dans le groupe témoin (4,5). Minerva a également analysé une autre étude de suivi en ouvert d’une RCT, l’étude « Diabetes Prevention Program » (DPP), qui a montré que, chez les personnes présentant un risque élevé de diabète de type 2, la modification du mode de vie et le traitement par la metformine réduisaient l’apparition du diabète de type 2 sur une période de 15 ans (7,8). Une revue systématique récente a confirmé ces résultats (9). Une autre étude de suivi de l’étude Da Qing DPS a examiné si une intervention intensive sur le régime alimentaire et/ou sur l’activité physique pouvait également prévenir la mortalité (cardiovasculaire), les événements cardiovasculaires et les complications microvasculaires (10).
Résumé
Population étudiée
- en 1986, dans 33 centres de santé de la ville chinoise de Da Qing, 110660 adultes (âgés de 25 ans et plus) ont été soumis à un dépistage du diabète sucré par détermination de la glycémie deux heures après la prise d’un petit déjeuner standard, suivie du test d’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) à 75 grammes (selon les critères de l’OMS de 1985) ; finalement, 577 personnes présentant une intolérance au glucose ont été incluses ; l’âge moyen était de 44,4 à 46,6 ans, il y avait 47 à 59% d’hommes, et le BMI moyen était de 25,3 à 26,2 kg/m².
Protocole de l’étude
- l’étude Da Qing DPS est une RCT avec randomisation en grappes, à quatre bras d’étude :
- intervention sur le régime alimentaire uniquement : restriction calorique (jusqu’à 25 à 30 kcal/kg de poids corporel par jour chez les personnes ayant un BMI < 25 kg/m² ; jusqu’à une perte de poids de 0,5 à 1 kg par mois pour atteindre un BMI de 23 kg/m² chez les personnes ayant un BMI ≥ 25 kg/m²) avec augmentation de la consommation de légumes et restriction de la consommation de sucre et d’alcool ; plus des conseils individuels ponctuels suivis de conseils lors de séances de groupe (une fois par semaine pendant le premier mois, une fois par mois pendant les trois mois suivants et une fois tous les trois mois pendant le reste de l’étude)
- intervention sur l’activité physique uniquement : augmentation de l’activité physique d’au moins une unité par jour, adaptée individuellement à l’âge, à la comorbidité et aux préférences ; plus des conseils lors de séances de groupe
- combinaison de l’intervention sur le régime alimentaire et de l’intervention sur l’activité physique
- groupe témoin : informations générales sur la nutrition et l’activité physique, sans instruction individuelle, au cours d’une séance annuelle de 2 heures
- après 6 ans, les participants ont été suivis pendant 30 ans dans le cadre d’une étude de cohorte prospective
- 261 participants étaient décédés, et 36 étaient perdus de vue ; l’âge moyen des 279 participants restants était de 70 à 72 ans, il y avait 26 à 47% d’hommes ; le BMI moyen était de 24,3 à 24,9 kg/m², et l’HbA1c moyenne, de 7,4 à 7,9% ; il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les bras d’étude en ce qui concerne le nombre de participants restants par bras d’étude, l’âge, le sexe, le BMI, la tension artérielle et la prise d’antihypertenseurs, de médicaments hypolipidémiants et de médicaments hypoglycémiants.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : incidence du diabète sucré de type 2
- critères de jugement secondaires :
- mortalité globale
- événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, mort subite, hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou accident vasculaire cérébral (AVC))
- mortalité cardiovasculaires (décès sur infarctus du myocarde, mort subite, insuffisance cardiaque ou AVC)
- critère de jugement composite combinant des complications microvasculaires : rétinopathie (cécité due à une maladie de la rétine, rétinopathie proliférative, photocoagulation), néphropathie (insuffisance rénale terminale, décès dû à une maladie rénale chronique, dialyse rénale, transplantation rénale) et neuropathie (ulcères cutanés, gangrène ou amputation d’un membre inférieur)
- suivi par entretiens, examens cliniques et consultation des dossiers médicaux par des chercheurs en aveugle.
Résultats
- résultats du critère de jugement principal après 30 ans (rapportés dans une autre publication (11)) : les personnes ayant bénéficié de l’intervention sur le régime alimentaire et/ou sur l’activité physique ont développé un diabète de type 2 environ 4 ans plus tard que celles du groupe témoin (médiane 3,96 ans avec IC à 95% de 1,25 à 6,67 ; p = 0,0042)
- résultats des critères de jugement secondaires après 30 ans (rapportés dans cette publication) (voir tableau) :
- par comparaison avec le groupe témoin, on a observé une réduction statistiquement significative de la mortalité globale, de la mortalité cardiovasculaire et des événements cardiovasculaires avec l’intervention sur le régime alimentaire et avec la combinaison de l’intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique
- avec l’intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique, on a également constaté une diminution significative du critère de jugement composite combinant rétinopathie, néphropathie et neuropathie
- aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre le groupe intervention et le groupe témoin.
Tableau. Incidence cumulative de la mortalité globale, de la mortalité cardiovasculaire, des événements cardiovasculaires et du critère de jugement composite combinant rétinopathie, néphropathie et neuropathie après un suivi de 30 ans des groupes d’étude originaux de l’étude Da Qing ; avec les différences relatives (hazard ratio, HR) entre l’intervention sur le régime alimentaire, l’intervention sur l’activité physique, l’intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique, d’une part, et le groupe témoin, d’autre part.
|
Contrôle (n = 135) |
Intervention sur le régime alimentaire (n = 135) |
Intervention sur les exercices physiques (n = 144) |
Intervention sur le régime alimentaire et sur les exercices physiques (n = 126) |
Mortalité globale |
IC : 56,26 (47,42 à 64,18) |
IC : 46,35 (37,73 à 54,52) HR de 0,77 (0,61 à 0,97) p = 0,026 |
IC : 49,08 (40,66 à 56,97) HR de 0,81 (0,63 à 1,04) p = 0,092 |
IC : 40,31 (31,69 à 48,75) HR de 0,64 (0,48 à 0,84) p = 0,002 |
Mortalité cardiovasculaire |
IC : 35,32 (26,37 à 44,20) |
IC : 25,49 (17,7 à 33,95) HR de 0,67 (0,46 à 0,97) p = 0,032 |
IC : 29,34 (21,56 à 37,55) HR de 0,80 (0,51 à 1,24) p = 0,313 |
IC : 21,66 (14,31 à 30,02) HR de 0,54 (0,30 à 0,97) p = 0,038 |
Événements cardiovasculaires |
IC : 66,52 (57,03 à 74,38) |
IC : 54,13 (44,51 à 62,79) HR de 0,72 (0,59 à 0,998) p = 0,028 |
IC : 54,46 (45,42-62,64) HR de 0,81 (0,61 à 1,06) p = 0,128 |
IC : 49,71 (40,08 à 58,60) HR de 0,68 (0,52 à 0,90) p = 0,007 |
Critère de jugement composite combinant rétinopathie, néphropathie et neuropathie |
IC : 34,04 (24,51 à 43,80) |
IC : 24,29 (16,35 à 33,09) HR de 0,69 (0,44 à 1,06) p = 0,088 |
IC : 30,32 (21,55 à 39,53) HR de 0,80 (0,50 à 1,29) p = 0,358 |
IC : 20,00 (12,57 à 28,68) HR de 0,48 (0,32 à 0,74) p = 0,001 |
IC : incidence cumulative (intervalle de confiance à 95%) ; HR : hazard ratio
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’intervention sur le régime alimentaire et l’intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique ont été associées de manière statistiquement significative à une réduction du risque de mortalité globale et cardiovasculaire et d’événements cardiovasculaires chez des personnes présentant un prédiabète, alors que cela n’a pas pu être observé avec une intervention sur l’activité physique uniquement. Cette observation laisse penser que les interventions sur le régime alimentaire pourraient exercer une influence plus fiable sur les complications vasculaires et la mortalité à long terme.
Financement de l’étude
L’étude a été soutenue par la National High Level Hospital Clinical Research Funding (numéro de financement 2022-NHLHCRF-YS-01).
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
L’une des forces méthodologiques de cette étude de cohorte longitudinale observationnelle est qu’elle est parvenue à limiter le nombre de participants initiaux perdus pour le suivi dans le groupe témoin, le groupe régime alimentaire, le groupe activité physique et le groupe régime alimentaire et activité physique après 30 ans de suivi. Ainsi, le taux de suivi de 94% était exceptionnellement élevé, sans différence statistiquement significative entre les bras de l’étude. Il n’y avait pas non plus de différences statistiquement significatives entre les groupes de l’étude initiaux après 30 ans pour certains facteurs de risque cardiovasculaire importants, tels que l’âge, le sexe, l’hypertension artérielle, l’hyperlipidémie, ce qui n’exclut pas que d’autres facteurs, tels que le tabagisme ou la comorbidité, ont peut-être influencé les résultats concernant la mortalité (cardiovasculaire) et les événements cardiovasculaires. Comme les auteurs de cette étude de suivi ne les ont pas recherchés, il n’est pas possible d’effectuer une correction pour en tenir compte. Une autre lacune méthodologique concernant l’inférence causale est que, malgré le maintien du type d’étude initial, à savoir avec randomisation en grappes, on ne sait pas pendant combien de temps les différents participants ont continué d’appliquer durant l’étude de suivi les interventions qui leur avaient été attribuées. En effet, après l’étude d’intervention de 6 ans, les participants n’ont pas reçu d’instructions supplémentaires, et l’observance des interventions sur le mode de vie n’a pas été vérifiée après 30 ans. Les chercheurs impliqués dans le suivi n’étaient toutefois pas informés de l’affectation initiale des participants à un groupe d’étude particulier.
Évaluation des résultats
L’intervention sur le régime alimentaire et l’intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique ont été associées à une diminution de la mortalité (cardiovasculaire) et une diminution des événements cardiovasculaires. Deux autres études randomisées contrôlées menées chez des personnes atteintes de prédiabète, l’étude sur la prévention du diabète menée en Finlande (Finnish DPS) (12) et l’étude DPP (13), n’ont pas pu confirmer l’effet positif d’une intervention intensive sur le régime alimentaire similaire à celle de l’étude Da Qing après respectivement 13 ans et 21 ans de suivi. Cela pourrait s’expliquer par la durée plus courte de l’intervention dans l’étude finlandaise et dans l’étude DPP (3 ans) par rapport à celle de l’étude menée à Da Qing (6 ans). Cela peut également être lié à la durée du suivi. Après 20 ans, l’étude menée à Da Qing n’avait pas non plus constaté d’effet statistiquement significatif sur la mortalité (cardiovasculaire) et sur les événements cardiovasculaires dans les groupes ayant modifié leur mode de vie, par comparaison avec le groupe témoin (5). Une autre explication réside dans le fait que l’étude a été réalisée en Chine. Les habitudes alimentaires en Chine sont différentes de celles des pays occidentaux et donc de la Belgique, ce qui fait que les interventions sur le mode de vie sont difficilement extrapolables. Néanmoins, les recommandations alimentaires données dans l’étude correspondent bien aux « Recommandations alimentaires » pour la population belge (14), qui constituent la base des recommandations alimentaires dans le prédiabète (15,16) : augmentation de la consommation de légumes, restriction de la consommation de sucre et d’alcool et restriction calorique modérée chez les participants en surpoids (BMI ≥ 25 kg/m²).
Une autre limite concernant l’extrapolation est le fait que, pour l’inclusion dans l’étude Da Qing, ce sont les critères de l’OMS de 1985 qui ont été suivis pour diagnostiquer le prédiabète (17). Or ces critères ont été remplacés par les critères de l’OMS de 1999 (18), où la limite de la glycémie à jeun a été abaissée, passant de 140 mg/dl à 126 mg/dl. Plusieurs participants entreraient donc maintenant dans la catégorie des diabétiques. En outre, le test d’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) n’est plus explicitement recommandé dans les guides de pratique belges en raison de sa lourdeur, de la nécessité de le réaliser dans des conditions strictement standardisées et de sa faible reproductibilité (1).
Enfin, nous devons mentionner qu’avec l’intervention sur l’activité physique uniquement, on n’a pas observé de diminution de la mortalité (cardiovasculaire) et des événements cardiovasculaires par rapport au groupe témoin. La tendance générale est toutefois positive. Il est possible que cette intervention ait été plus difficile à mettre en œuvre que l’intervention sur le régime alimentaire.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique belge de Domus Medica et de la SSMG sur le diabète de type 2 (1) ne formule pas de recommandation spécifique concernant les interventions sur le mode de vie chez les patients présentant un prédiabète. Le guide souligne implicitement leur importance en recommandant l’utilisation du score FINDRISC comme outil de dépistage chez les adultes asymptomatiques. Le FINDRISC comprend : l’âge, le BMI, le tour de taille, la prise de médicaments antihypertenseurs, la consommation quotidienne de fruits et légumes, l’activité physique quotidienne, les antécédents familiaux de diabète et les troubles transitoires du métabolisme du glucose. Selon les auteurs, questionner les patients à haut risque sur ces facteurs de risque offre la possibilité de commencer à leur prodiguer des conseils sur le mode de vie et d’aborder correctement les paramètres cardiovasculaires, même si les résultats de la prise de sang indiquent une glycémie normale. Les guides de pratique européens et américains préconisent également une modification du mode de vie comme première mesure de prévention du diabète sucré chez les personnes qui présentent un prédiabète (15,16,19,20).
Conclusion de Minerva
Cette étude observationnelle de suivi d’une étude avec randomisation en grappes chez des chinois présentant un prédiabète suggère qu’une intervention intensive sur le régime alimentaire pendant 6 ans et une intervention sur le régime alimentaire et sur l’activité physique réduisent le risque de mortalité globale et cardiovasculaire et d’événements cardiovasculaires, par comparaison avec un groupe témoin, après 30 ans.
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Auteurs
Van Hemelryck N.
diëtist
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
R73
A91
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