Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de l’exercice physique à domicile mis en œuvre via des outils numériques (e-santé) chez les personnes âgées ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 9 Page 217 - 221

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Solis-Navarro L, Gismero A, Fernández-Jané C, et al. Effectiveness of home-based exercise delivered by digital health in older adults: a systematic review and meta-analysis. Age Ageing 2022;51:1-10. DOI: 10.1093/ageing/afac243


Question clinique
Les qualités physiques (mobilité, force, équilibre) et la qualité de vie (prévention des chutes, HRQoL) des personnes âgées peuvent-elles être améliorées significativement grâce à l’intervention d’exercices physiques réalisés à domicile mis en œuvre par l’utilisation des outils numériques ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse présentant des limites méthodologiques et incluant de nombreuses études faibles méthodologiquement, montre un impact positif des programmes d’activités physique mis en place via l’utilisation de technologies en termes de mobilité des membres inférieurs, de capacité fonctionnelle, de réduction d’incidence des chutes et d'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées. En outre, pour les personnes âgées souffrant de maladies chroniques (malades), ils améliorent également l’équilibre et la mobilité. Cependant, les nombreuses questions relatives à l’interprétation des résultats n’offrent aucun outil pratique aux cliniciens.


Contexte

Avec l’avancée en âge, une perte de masse et de fonction musculaire commence dès 40 ans et peut entraîner des conséquences négatives telles que la fragilité, une morbidité accrue et une diminution de la qualité de vie (1). La sédentarité et l’inactivité physique contribuent à accélérer cet état de fragilité, dénommé sarcopénie (2). De plus, un niveau faible de condition physique est associé à un certain nombre de maladies chroniques qui surviennent chez les personnes âgées (maladie coronarienne, accident vasculaire cérébral, hypertension artérielle, cancer du côlon, diabète de type 2, ostéoporose) (3). À l’inverse, l’activité physique a des effets particulièrement bénéfiques chez les personnes âgées. Elle est un moyen efficace pour ralentir le processus de vieillissement et prévenir les conséquences qui lui sont associées (3). Être physiquement actif réduit également les risques de mortalité de toutes causes dues au vieillissement (4). Les programmes d’activité physique qui réduisent le mieux la fréquence des chutes chez les personnes âgées impliquent principalement des exercices d’équilibre et des exercices fonctionnels (5).
Dans le cadre de leur programme hebdomadaire de mise en forme, les recommandations internationales encouragent les personnes âgées à pratiquer des activités physiques variées et sollicitant plusieurs composantes de la condition physique, en mettant notamment l’accent sur l’équilibre fonctionnel et les exercices de force d’intensité modérée ou supérieure, 3 fois par semaine ou davantage, afin d’améliorer leur capacité fonctionnelle et de prévenir les chutes (6). Les possibilités ouvertes par les technologies, tels que le numérique et les usages qui en découlent, permettent d’envisager de nouvelles solutions pour l’assistance, la prise en charge, voire la « stimulation » des personnes âgées (7). Il est donc logique d’envisager des programmes à distance via ces technologies afin d’augmenter les capacités physique et la qualité de vie des personnes âgées (8). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique et méta-analyse.

Sources consultées

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion
    • RCTs 
    • personnes âgées de plus de 65 ans vivant à domicile
    • intervention : programmes d'exercices à domicile (home-based exercice - HBE) délivrés par des interventions de santé numériques (digital health intervention - DHI) qui incluent celles liés à Internet (par exemple l'utilisation des appels téléphoniques et des jeux vidéo, lorsque ceux-ci jouent un rôle important dans la mise en œuvre et le dosage du programme d'exercices)
    • pas de restriction de langue de publication
  • critères d’exclusion
    • ils ne sont pas clairement définis, mais ils comprennent tout ce qui n’est pas décrit dans les critères d’inclusion
  • au total, 26 essais contrôlés randomisés (RCTs) dont 11 se sont déroulés en Europe, 6 en Amérique du Nord, 6 en Asie et 4 en Océanie. 20 essais sont monocentriques et 6 multicentriques. 13 d’entre eux incluaient des pathologies cardiorespiratoires, 4 des troubles de l’équilibre, 2 des troubles musculosquelettiques, 2 des cancers et 1 d’autres troubles non précisés ; les DHI utilisés dans les articles sélectionnés étaient 9 applications mobiles, 6 appels téléphoniques, 3 sites Web, 3 DVD, 2 jeux d'exercices, 2 vidéoconférences et 1 agent conversationnel incarné *; les interventions d’exercice étaient composées de deux composantes ou plus comme la force, l’équilibre ou l’endurance dans 17 études, l’incitation à l’activité physique dans 3 études, l’équilibre dans 3 études, l’endurance dans 2 études et la force dans 1 étude.

 

Population étudiée

  • 5133 adultes de plus de 65 ans, personnes saines ou malades (porteuses de maladies chroniques identifiées), sédentaires ou non, vivant en dehors des institutions pour seniors (maisons de repos, maisons de repos et de soins) ; 2542 patients (66,4% femmes) ont été inclus dans le groupe expérimental et 2591 (65,0% femmes) dans le groupe contrôle ; âge compris entre 69,5 ± 4,0 et 83,0 ± 6,7. 

 

(*) Un agent conversationnel incarné (ACE) est un personnage virtuel interactif qui utilise les caractéristiques humaines, la parole, les gestes et les expressions faciales pour interagir naturellement avec les gens. Il peut s'agir par exemple d'un avatar ou d'un personnage en 3D.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement primaires :
  • critères de jugement secondaires :
    • capacité fonctionnelle 
    • chutes
    • qualité de vie via le questionnaire « Health-Related Quality of Life » (HRQL)
    • adhésion au traitement 
  • les résultats sont exprimés en différences de moyennes standardisées entre les personnes âgées saines et malades, en OR ou en secondes, selon les échelles analysées.

 

Résultats 

  • les résultats des critères primaires : 
    • pour la mobilité : N = 13 ; n = 717 dans le groupe intervention (GI) et 764 dans le groupe contrôle (GC)
    • pour la force musculaire : N = 7 ; n = 543 dans GI et 577 dans GC
    • pour l’équilibre : N = 10 ; n = 457 dans GI et 517 dans GC
  • les résultats des critères secondaires :
    • pour les capacités fonctionnelles, aucune différence statistiquement significative n’a été mise en évidence sauf pour le index Barthel : N = 3 ; n = 155 dans GI et 156 dans GC ; DM de 5,01 points avec IC à 95% de 0,24 à 9,79 points ; p = 0,04 : I2 = 39%
    • l'adhésion au programme a été mentionnée dans plus de la moitié des articles ; différentes formes ont été utilisées pour décrire l'adhésion, comme les séances effectuées et les patients ayant terminé le programme, avec un seuil d'exercice attendu ; aucun résultat n’est mentionné
  • dans l’analyse des sous-groupes, les personnes âgées atteintes de maladies améliorent leur mobilité (DMS de -0,23 avec IC à 95% de -0,45 à 0,01 ; p = 0,04) et leur équilibre (DMS de 0,28 avec IC à 95% de 0,09 à 0,48 ; p = 0,004).

 


Tableau. Résultats des groupes d'intervention par rapport aux groupes de contrôle en termes de mobilité, de force musculaire, d'équilibre, de prévalence des chutes et de qualité de vie, avec analyse des sous-groupes selon qu'il s'agit de personnes en bonne santé ou de personnes âgées.

 

Mesures

Sous-groupes

Nombre d’études

Différence de moyennes standardisées*

Intervalle de confiance à 95%

Différence entre les groupes expérimentaux et contrôles*

Intervalle de confiance à 95% (valeur de p)

I2

Mobilité

Personnes âgées saines

7

0

-0,12 à 0,12

DMS de -0,05

-0,16 à 0,05 (p=0,33)

0%

Personnes âgées malades

4

-0,23

-0,45 à -0,01

Force musculaire

Personnes âgées saines

6

0,51

0,08 à 0,95

-0,56 sec

-1,00 à -0,11 (p=0,01)

2%

Personnes âgées malades

1

2,00

-0,54 à 4,54

Equilibre

Personnes âgées saines

3

0,20

-0,76 à 1,17

DMS de 0,17

-0,12 à 0,45 (p=0,25)

64%

Personnes âgées malades

4

0,28

0,09 à 0,48

Prévalence des chutes

Personnes âgées saines

4

0,85

0,68 à 1,07

OR de 0,77

0,63 à 0,94 (p=0,007)

2%

Personnes âgées malades

3

0,60

0,42 à 0,87

Qualité de vie (HRQoL)

Personnes âgées saines

3

0,07

-0,26 à 0,40

DMS de 0,18

0,05 à 0,30 (p=0,004)

95%


* une différence de moyenne standardisée positive est en faveur des groupes expérimentaux ; une moyenne négative est en faveur des groupes contrôles.


Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les programmes d'exercices à domicile mis en œuvre par l'utilisation d’outils numériques semblent permettre une amélioration des fonctions physiques en termes de force musculaire et capacité fonctionnelle des membres inférieurs, de réduction d’incidence des chutes et d'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées. En outre, pour les personnes âgées souffrant de maladies chroniques (malades), ils améliorent également l’équilibre et la mobilité.

 

Financement de l’étude

Association des physiothérapeutes de Catalogne. 

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie 
Les auteurs ont consulté 6 bases de données. Les termes de recherches sont correctement décrits. La sélection des études a été réalisée par 2 chercheurs de façon indépendante et selon des critères d’inclusion bien définis. En cas de désaccord, un troisième chercheur permettait de trouver un consensus. L’extraction des données a également été réalisée par 2 chercheurs indépendants. Si des données venaient à manquer, les auteurs des articles originaux ont été consultés. L’évaluation de la qualité méthodologiques des études incluses a été réalisée en suivant les règles du the Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions par 2 chercheurs indépendants et un troisième chercheur est intervenu en cas de désaccord. La plupart ont montré un risque de biais modéré quant à la randomisation et l’attribution. L’insu a été jugé à risque de biais important pour plusieurs études. Pour chaque étude, les différences ont été rapportées en différences absolues. L’hétérogénéité a été mesurée par le I2. La revue systématique comporte des limites méthodologiques. Elle illustre parfaitement les difficultés secondaires au fait de ne pas définir précisément les critères d’exclusion. En effet, les études sélectionnées devraient confronter un groupe expérimental de personnes âgées qui vont pratiquer de l’activité physique via des outils numériques avec un groupe contrôle qui ne pratique pas d’activité spécifique. Pourtant dans certaines études sélectionnées dans la revue systématique (par exemple (9)), le groupe contrôle subi une autre intervention, dans laquelle le groupe contrôle participe à un programme d’exercice physique en groupe. Dans un autre article (10), les deux groupes pratiquent l’activité physique à distance via des outils numériques, la différence est que l’un d’entre eux utilise en plus des senseurs vibrotactiles lors de certaines séances. Ces études ne devraient donc pas rentrer dans les critères d’inclusions de la méta-analyse.
Une étude ne comporte que 18 patients au total pour les deux groupes étudiés. Il s’agit certes d’une RCT, ce qui respecte le critère d’inclusion « RCT », mais il s’agit d’une étude préliminaire. L’intérêt de l’inclure est questionnable. 

 

Évaluation des résultats

Les résultats tendent à montrent une efficacité – statistique – principalement pour les personnes malades. Cependant, les résultats ne sont pas faciles à interpréter. Les intervalles de confiance sont parfois très larges et les auteurs ne rappellent pas les différences reconnues comme étant cliniquement pertinentes des différentes échelles utilisées. La comparaison entre les résultats des études se réalise sur différents tests, comme pour l’équilibre où 3 tests très différents sont mis en avant dans les résultats de l’article (BBS, FRT, SPPB balance score). Ceux-ci n’étant pas comparables entre eux du fait de leurs natures différentes. Certains résultats d’études peuvent donner l’impression d’être sélectionnés de façon partiale. Certains résultats, parfois les plus favorables ou défavorables, sont pris en compte tandis que d’autres ne sont pas utilisés : par exemple, dans une étude, 1 seul des 16 tests d’équilibre a été pris en compte dans la méta-analyse, étant pourtant l’un des seul tests négatif (non significatif) alors que 5 autres tests sont significativement positifs. Cela permet aux chercheurs de réaliser une méta-analyse en respectant les échelles d’évaluation préspécifiées dans le protocole et en réalisant des différences de moyennes standardisées si nécessaire, mais des lecteurs plus spécialisés auraient apprécié voir également le rapportage des autres résultats, ne fût-ce que sous forme narrative. 
De plus aucune distinction n’a été faite entre les différentes maladies dans le calcul des résultats. Il est donc difficile de connaitre l’impact des programmes d’activités physique dispensés via les technologies de communication sur les différentes pathologies et maladies. 
Les interventions de santé numériques analysées dans les articles sélectionnés regroupaient des applications mobiles, des appels téléphoniques, des sites Web, des DVD, des jeux d'exercices, des vidéoconférences et 1 agent conversationnel incarné. Il est impossible de savoir quelle approche fonctionne le mieux. Cette méta-analyse, à vouloir brasser large, montre des résultats potentiellement intéressants au niveau des hypothèses de travail, mais n’offre aucun outil pratique pour le clinicien. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Selon Ebpracticenet, il est impératif de pouvoir offrir aux personnes âgées l’occasion de pratiquer de l’activité physique tout en leur prodiguant des conseils et encouragements personnalisés, ainsi que de leur proposer une forme d’activité physique qui rejoint leurs préférences et qui est facile à intégrer dans leurs habitudes quotidiennes (11). Afin de prévenir les chutes, une approche reposant sur plusieurs composantes d’intervention est recommandée, comprenant au moins deux interventions (par exemple : un programme d’exercice physique et un aménagement du cadre de vie) (12). 
Selon l’OMS, dans le cadre de leur programme hebdomadaire de mise en forme, les personnes âgées devraient pratiquer des activités qui mettent l’accent sur l’équilibre fonctionnel et des exercices de force d’intensité modérée ou supérieure, 3 fois par semaine ou davantage, afin d’améliorer leur capacité fonctionnelle et de prévenir les chutes (6). De plus, 150 à 300 minutes par semaines devraient être consacrées à une activité d’endurance, d’intensité modérée.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse présentant des limites méthodologiques et incluant de nombreuses études faibles méthodologiquement, montre un impact positif des programmes d’activités physique mis en place via l’utilisation de technologies en termes de mobilité des membres inférieurs, de capacité fonctionnelle, de réduction d’incidence des chutes et d'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées. En outre, pour les personnes âgées souffrant de maladies chroniques (malades), ils améliorent également l’équilibre et la mobilité. Cependant, les nombreuses questions relatives à l’interprétation des résultats n’offrent aucun outil pratique aux cliniciens. 

 

 


Références 

  1. Petermann-Rocha F, Balntzi V, Gray SR, et al. Global prevalence of sarcopenia and severe sarcopenia: a systematic review and meta-analysis. J Cachexia Sarcopenia Muscle 2022;13:86-99. DOI: 10.1002/jcsm.12783
  2. Mo Y, Zhou Y, Chan H, et al. The association between sedentary behaviour and sarcopenia in older adults: a systematic review and meta-analysis. BMC Geriatr 2023;23:877. DOI: 10.1186/s12877-023-04489-7
  3. Vuillemin A. Bénéfices de l’activité physique sur la santé des personnes âgées. Science Sports 2012;27:249-53. DOI: 10.1016/j.scispo.2012.07.006
  4. Woodcock J, Franco OH, Orsini N, Roberts I. Non-vigorous physical activity and all-cause mortality: systematic review and meta-analysis of cohort studies. Int J Epidemiology 2010;40:121-38. DOI: 10.1093/ije/dyq104
  5. Sherrington C, Fairhall NJ, Wallbank GK, et al. Exercise for preventing falls in older people living in the community. Cochrane Database Syst Rev 2019, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD012424.pub2
  6. Organisation Mondiale de la sante. Activité physique. WHO, October 2022. URL: 
    https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/physical-activity#:~:text=Les%20recommandations%20mondiales%20pr%C3%A9conisent%20au,d'intensit%C3%A9%20soutenue%20par%20semaine
  7. Bobillier-Chaumon ME, Ciobanu RO. Les nouvelles technologies au service des personnes âgées : entre promesses et interrogations - Une revue de questions. Psychologie Francaise 2009;54:271-85. DOI: 10.1016/j.psfr.2009.07.001
  8. Solis-Navarro L, Gismero A, Fernández-Jané C, et al. Effectiveness of home-based exercise delivered by digital health in older adults: a systematic review and meta-analysis. Age Ageing 2022;51:1-10. DOI: 10.1093/ageing/afac243
  9. Iliffe S, Kendrick D, Morris RW, et al. Multicentre cluster randomised trial comparing a community group exercise programme and home-based exercise with usual care for people aged 65 years and over in primary care. Health Technol Assess 2014;18:1-106. DOI: 10.3310/hta18490
  10. Bao T, Carender WJ, Kinnaird CR, et al. Effects of long-term balance training with vibrotactile sensory augmentation among community-dwelling healthy older adults: a randomized preliminary study. J Neuroeng Rehabil 2018;15. DOI: 10.1186/s12984-017-0339-6
  11. Bekkering T, Ayau B, Simons M. L'effet de l’activité physique sur la santé physique, émotionnelle et mentale des personnes souffrant de douleur chronique à la hanche et/ou au genou liée à l'arthrose - méthodes mixtes. Mis à jour: 12/08/2020. Screené par Ebpracticenet.
  12. Milisen K, Leysens G, Vanaken D, et al. La prévention des chutes chez les personnes âgées résidant à domicile. Mis à jour: 18/10/2017. Screené par Ebpracticenet. 

 




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