Revue d'Evidence-Based Medicine
La vitamine D et les acides gras oméga-3 améliorent-ils les performances physiques ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 4 Page 93 - 96
Professions de santé
Diététicien, Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PharmacienContexte
Depuis la mise en lumière, il y a plus d’un siècle, du rôle essentiel de la vitamine D dans la prise en charge du rachitisme et de l’ostéomalacie, on continue d’attribuer à la vitamine D un potentiel thérapeutique important pour la prévention et le traitement de nombreuses affections médicales (1). Plus de la moitié de la population mondiale présente un faible taux sanguin de vitamine D, surtout pendant les mois d’hiver (1). En ce qui concerne la supplémentation en vitamine D et en acides gras oméga-3, les données sont contradictoires quant à leur effet sur les performances physiques. Minerva a traité en 2020 d’une étude randomisée contrôlée, multicentrique, en double aveugle, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, de conception selon un plan factoriel, montrant que la vitamine D3 et les acides gras oméga-3, après trois ans, n’avaient pas d’effet sur les performances physiques, sur la fonction cognitive et sur l’incidence des fractures autres que les fractures vertébrales chez les personnes âgées de 70 ans et plus qui sont en bonne santé (2,3). À peu près au même moment, une autre étude menée à grande échelle, randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo, a été mise en place pour examiner l’effet de la vitamine D et des acides gras oméga-3 dans la prévention primaire du cancer et des maladies cardiovasculaires (4-7). Une sous-étude de cette étude « VITamin D and OmegA-3 TriaL » (VITAL) a également étudié l’effet de la vitamine D et/ou des acides gras oméga-3 sur les performances physiques (8).
Résumé
Population étudiée
- l’étude VITAL originale a recruté à partir de 2012, par le biais d’une liste de diffusion commerciale, d’une liste d’abonnement à des magazines, d’annonces dans des journaux et des magazines, des hommes ≥ 50 ans et des femmes ≥ 55 ans, dans 50 États des États-Unis, en excluant les personnes atteintes de ou ayant des antécédents de cancer ou de maladie cardiovasculaire, d’hypercalcémie, d’hypoparathyroïdie ou d’hyperparathyroïdie, d’insuffisance rénale, de maladie hépatique grave, de sarcoïdose ou d’une autre maladie granulomateuse, d’une autre maladie grave, d’allergie au soja ou au poisson ; finalement l’étude a inclus 25 871 personnes ayant en moyenne 67,1 ans (écart-type (ET) 7,1 ans), dont 50,6% étaient des femmes et 20% étaient des Noirs ; le BMI moyen était de 28 kg/m² ; 42,6% prenaient déjà des suppléments de vitamine D < 800 UI
- un sous-groupe de 1054 participants a accepté une invitation à se rendre au Centre des sciences cliniques et translationnelles (Clinical and Translational Science Centre, CTSC) Harvard Catalyst à Boston entre janvier 2012 et mars 2014 pour des mesures anthropomorphiques, des prélèvements sanguins et des tests physiques ; l’âge moyen de ce sous-groupe était de 64,9 ans (ET 6,5 ans), 48,9% étaient des femmes, et 8,5% étaient des Noirs ; le taux sanguin moyen de 25-hydroxyvitamine D (calcitriol) était de 28,1 ± 9 ng/ml, et l’indice oméga-3 moyen était de 2,9%.
Protocole d’étude
Sous-étude de l’étude VITAL, une étude randomisée menée en double aveugle, contrôlée par placebo avec un plan factoriel 2x2 :
- les participants ont reçu des suppléments de vitamine D (2 000 UI/jour) et/ou d’acides gras oméga (1 g/jour contenant 840 mg d’acides gras oméga-3 marins, dont 460 mg d’EPA et 380 mg de DHA) selon un plan factoriel 2x2 ; il y a eu finalement 4 groupes d’étude : un groupe vitamine D + oméga-3, un groupe vitamine D + placebo, un groupe placebo + oméga-3 et un groupe placebo + placebo ; chaque groupe comptait environ 6400 participants
- une période de pré-inclusion de 3 mois a été prévue, au cours de laquelle les participants devaient prendre au moins les deux tiers des comprimés de placebo ; pendant cette période de pré-inclusion et pendant la période d’intervention, les participants n’étaient pas autorisés à prendre quotidiennement plus de 800 UI de vitamine D ou plus de 1200 mg de calcium via des suppléments, et ils ne pouvaient prendre aucun supplément d’huile de poisson
- dans la sous-étude, il y avait environ 250 participants par bras d’étude.
Mesure des résultats
- différence entre la prise de vitamine D ou d’oméga-3 et le placebo en termes de changement dans les performances physiques après deux ans de suivi : force de préhension (mesurée à l’aide d’un dynamomètre manuel numérique), test TUG (Timed Up and Go), vitesse de marche, équilibre en position debout et test de levers de chaise enchaînés (chair stand test) (nombre de fois où l’on se lève de son siège et où l’on se rassied) ; avec correction pour tenir compte de l’âge et du sexe
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- le pourcentage de participants au suivi après 2 ans et après 4 ans était respectivement de 92% et de 67%
- après 2 ans, le taux de 25-OH-vitamine D avait augmenté dans le groupe avec supplémentation en vitamine D, passant de 27,6 ± 0,40 ng/ml à 40,0 ± 0,41 ng/ml, tandis qu’il n’était pas modifié dans le groupe sans supplémentation en vitamine D ; l’indice oméga-3 a également augmenté dans le groupe prenant des oméga-3, passant de 2,97% à 4,32%, tandis qu’il n’était pas modifié dans le groupe sans supplémentation en oméga-3
- le groupe recevant de la vitamine D, le groupe recevant des oméga-3 et le groupe placebo ont enregistré des diminutions minimes similaires de la vitesse de marche et du test TUG ; il n’y avait pas de différence entre les groupes en ce qui concerne la force de préhension, le temps de maintien de l’équilibre en position debout et le résultat du test de levers de chaise enchaînés
- les résultats ne varient pas en fonction du sexe, de l’âge, du BMI, de la consommation de poisson gras et de l’indice oméga-3 au départ (ceci ne valant que pour la comparaison entre la supplémentation en oméga-3 et le placebo)
- avec la combinaison de la supplémentation en oméga-3 et en vitamine D, on a constaté une diminution moins importante de la vitesse de marche par rapport au placebo (-0,04 ± 0,01 m/s contre -0,08 ± 0,01 m/s ; p = 0,02)
- pour le test TUG, une augmentation statistiquement significative a été observée avec la vitamine D par rapport au placebo lorsque le taux médian de vitamine D au départ était ≥ 28 ng/ml (p = 0,01) ; pour les autres tests, il n’y avait pas de relation statistiquement significative entre, d’une part, le taux médian de vitamine D au départ et, d’autre part, l’effet de la vitamine D par rapport au placebo.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que ni les suppléments de vitamine D3 ni les suppléments d’acides gras oméga-3 pendant deux ans n’ont amélioré les performances physiques d’une population adulte en bonne santé.
Financement de l’étude
Institut national de l’arthrite, des maladies de la peau et de l’appareil locomoteur (National Institute of Arthritis Musculoskeletal and Skin Diseases, NIAMS), National Institutes of Health.
Conflits d’intérêt des auteurs
L’un des auteurs a fait état de liens financiers et matériels avec Pharmavite.
Discussion
Évaluation méthodologique
Cette étude a été menée par un centre des sciences cliniques et translationnelles de Catalyst. Ce type de centre de recherche vise principalement à convertir (catalyser) plus rapidement et plus efficacement les découvertes scientifiques fondamentales en techniques (diagnostiques) et traitements innovants dans le domaine des soins de santé. Ils soutiennent ainsi la recherche translationnelle en facilitant la collaboration entre les chercheurs : partage d’installations de recherche, de bases de données et de soutien statistique ou méthodologique. En outre, la communauté élargie est souvent impliquée dans la formulation de questions de recherche pertinentes, et c’est peut-être la raison pour laquelle cette sous-étude a été réalisée. Nous ne pouvons certainement pas exclure un intérêt commercial car, bien que l’étude ait été financée par des institutions universitaires et gouvernementales, l’un des auteurs avait des liens financiers avec Pharmavite (une société américaine de vitamines et de compléments alimentaires).
Étant donné que l’étude VITAL originale n’a pas procédé à une randomisation par État, nous pouvons nous demander dans quelle mesure la randomisation a été préservée dans la sous-étude examinée ici. Les chercheurs ont utilisé plusieurs tests statistiques pour évaluer s’il y avait des différences entre les groupes randomisés. Il n’y avait pas de différence dans les caractéristiques de base entre les groupes qui prenaient des suppléments de vitamine D et ceux qui n’en prenaient pas, ni entre les groupes qui prenaient des suppléments d’oméga-3 et ceux qui n’en prenaient pas. Le deuxième problème est que la puissance de l’étude originale n’est pas adaptée à cette sous-étude, que nous pouvons considérer en soi comme une analyse de sous-groupe de l’étude VITAL, plus vaste (9). La taille de l’échantillon de l’étude VITAL originale a été calculée pour démontrer, avec une puissance de 80 à 90%, après un suivi médian de 5 ans avec la vitamine D ou les oméga-3, une réduction du risque relatif de 15% de l’incidence du cancer et de 20% d’un critère composite combinant infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral et mortalité cardiovasculaire. Étant donné qu’aucun calcul de puissance distinct n’a été effectué pour les critères de jugement de la sous-étude, la prudence est de rigueur pour l’interprétation de tous les résultats. Le fait que le test TUG n’ait été ajouté qu’au cours de la phase d’inclusion de l’étude originale et que, par conséquent, les résultats de ce test soient manquants pour un certain nombre de participants ne contribue évidemment pas non plus à la puissance de l’étude.
Discussion des résultats
L’étude VITAL originale n’a pas pu montrer une réduction statistiquement significative de l’incidence du cancer ou de la survenue d’un critère de jugement cardiovasculaire composite (6,7). La sous-étude dont il est question ici n’a pas permis de constater, après deux ans, une amélioration des performances physiques, que ce soit avec la supplémentation en vitamine D ou avec la supplémentation en oméga-3, par rapport au groupe placebo. Après quatre ans non plus, on n’a pas observé de différence entre les deux groupes. Cette constatation cadre avec les résultats de l’étude DO-HEALTH-RCT (3,4).
Il s’agissait d’une population d’adultes en bonne santé, d’âge moyen, dont le taux sanguin de vitamine D était en moyenne de 28 ng/ml. Pour vérifier l’influence du taux de vitamine D de départ sur les résultats, la comparaison portait sur un taux médian initial de < 28 ng/ml et de ≥ 28 ng/ml. Cependant, la question est de savoir si l’on peut considérer 28 ng/ml comme un seuil de carence. Une étude précédente qui n’a pas pu démontrer un effet modérateur statistiquement significatif du taux de vitamine D de départ sur l’incidence des fractures entre la vitamine D et le placebo utilisait, en plus d’un seuil de < 30 ng/ml, également < 12 ng/ml et < 20 ng/ml comme seuils de carence (10). On peut donc légitimement se demander s’il n’aurait pas été plus pertinent sur le plan clinique d’étudier l’effet d’une supplémentation en vitamine D chez des patients présentant une carence sévère en vitamine D (< 12 ng/ml) que d’essayer de démontrer à nouveau un effet chez des adultes en bonne santé ne présentant pas de carence manifeste (1). Lors de l’interprétation des résultats, nous devons également garder à l’esprit que les participants à la sous-étude étaient en moyenne deux ans plus jeunes et qu’ils comptaient environ 10% de Noirs en moins. En effet, les chercheurs à l’origine de l’étude VITAL avaient envisagé d’inclure 20% de Noirs parce que les carences en vitamine D sont plus fréquentes dans cette population (4,5).
Outre le fait que l’on n’a pas pu démontrer que la vitamine D présentait un quelconque avantage, on peut également se demander s’il était sain de prendre un supplément de vitamine D dans cette population d’étude. Rappelons que 46% des participants du groupe placebo et 44% de ceux du groupe d’intervention prenaient déjà des suppléments quotidiens de vitamine D en plus des médicaments de l’étude. Il a été constaté que la supplémentation en vitamine D détériorait les temps au test TUG chez les personnes dont le taux initial de vitamine D était supérieur au taux médian (p = 0,01) ; ceci n’a pas été observé chez celles dont le taux de vitamine D était plus faible au départ (p = 0,003 pour l’interaction). Pour la force de préhension chez les femmes, on a constaté précisément le contraire (p = 0,003 pour l’interaction). Bien que ces résultats puissent relever du hasard, ils appellent à la vigilance. En effet, l’étude DO-HEALTH a également permis de constater une détérioration des fonctions des membres inférieurs après 1 an (et non après 2 et 3 ans) dans le groupe ayant reçu de la vitamine D. Il est donc au moins aussi utile de poursuivre les recherches sur les effets indésirables d’un « surdosage » de vitamine D.
Que disent les guides de pratique clinique ?
« Eetexpert » ne recommande pas de supplémentation en vitamine D de manière générale. Toutefois, dans certaines circonstances, telles que l’anorexie mentale ou après une chirurgie bariatrique, des suppléments de vitamine D sont recommandés (11). L’administration systématique de suppléments de 800 UI de vitamine D et de 1500 mg de calcium (via l’alimentation et les suppléments) est également recommandée chez les personnes âgées fragiles (présentant un risque accru de chute) (12).
La détermination du taux de vitamine D (et une supplémentation en vitamines si nécessaire) est indiquée chez les personnes peu exposées à la lumière du soleil, telles que les personnes âgées et les personnes vivant en institution. La détermination du taux de vitamine D se justifie aussi en cas de suspicion d’ostéomalacie ou de rachitisme et chez les personnes sous antiépileptiques à long terme (13). Cependant, la limite entre « taux normal » et « déficit » n’est pas encore clairement définie.
Conclusion de Minerva
Cette sous-étude d’une vaste étude randomisée en double aveugle contre placebo avec un plan factoriel 2x2 montre que ni la vitamine D ni les acides gras oméga-3 n’ont d’effet positif sur les performances physiques de personnes en bonne santé âgées de 65 ans qui, souvent, prenaient déjà des suppléments de vitamine D et dont le taux sanguin de vitamine D initial était en moyenne d’environ 28 ng/ml. En outre, on peut également s’interroger sur la valeur méthodologique de cette sous-étude pour laquelle une taille d’échantillon distincte n’a pas été calculée.
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- Laekeman G. La vitamine D, des acides gras oméga-3 et des exercices de renforcement musculaire : est-ce inutile chez les personnes de 70 ans et plus en bonne santé ? Minerva Analyse 15/10/2021.
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Auteurs
Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :
Glossaire
indice oméga-3Code
R68
A29
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