Revue d'Evidence-Based Medicine
Courrier des lecteurs
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 2 Page 33 - 35
Professions de santé
À la rédaction
Nous avons lu, avec beaucoup d’intérêt, le numéro thématique de Minerva consacré à l’hypercholestérolémie 1, avec intérêt mais aussi quelque étonnement à cause du peu, voire d’absence, de discussion de « l’évaluation du risque cardiovasculaire global », c’est-à-dire de la détermination du risque absolu d’une personne de présenter une affection cardiaque ou vasculaire dans un laps de temps déterminé. C’est une approche relativement nouvelle qui soutient que l’attention doit être prioritairement portée aux patients qui présentent un risque élevé en termes absolus. Ce calcul se fait en fonction de plusieurs facteurs de risque. Une cholestérolémie élevée est un facteur de risque comme la pression sanguine (élevée), l’âge et le sexe, le tabac, le diabète, une anamnèse de pathologie cardiaque ou vasculaire, une anamnèse familiale suggestive (père, avant l’âge de 55 ans, ou mère, avant l’âge de 65 ans, ayant présenté la pathologie).
Le numéro thématique fait référence, en page 102, aux tables d’évaluation du risque du « New Zealand Heart Foundation » 2. « L’évaluation du risque cardiovasculaire global » est cependant fort différente de ce qui est proposé dans le texte. Dans le numéro thématique, la cholestérolémie reste le point de départ et la cible. Les tables de risque ne sont utilisées que pour déterminer la nécessité de traiter une hypercholestérolémie. La méthode globale, par contre, se sert des valeurs repères pour tenir compte de tous les facteurs et a pour but de traiter tous les facteurs modifiables. Sont ainsi évalués des patients ayant une cholestérolémie normale mais qui sont, par exemple, diabétiques, hypertendus et/ou fumeurs. Nous évaluons et traitons donc un groupe de patients beaucoup plus large. Les tables de risque nous montrent qu’il est important de prendre tous les facteurs de risque en considération et de ne pas se focaliser aveuglément et uniquement sur une pression artérielle élevée ou une hypercholestérolémie. L’importance de la prise en compte de la sévérité d’un facteur de risque et de l’agressivité de sa prise en charge dépendent de l’évaluation du risque absolu. C’est l’ensemble des facteurs de risque qui détermine la prise en charge des différents facteurs de risque considérés individuellement. En poursuivant notre raisonnement, nous pourrions envisager le peu, voire l’absence, d’utilité de recommandations pour la prise en charge de l’hypercholestérolémie. Des enquêtes montrent que la majorité des personnes ayant une cholestérolémie élevée ne présente pas de maladies cardiovasculaires. Par contre, la majorité des cardiaques ont une cholestérolémie semblable à celle de la moyenne de population belge 3. Pour ces personnes à risque, cette cholestérolémie est cependant toxique, alors qu’elle n’est pas dangereuse pour d’autres personnes (qui n’ont pas de risque augmenté). L’indication réelle d’un médicament hypolipidémiant dépend donc, non pas de la triglycéridémie ou de la cholestérolémie, mais bien du risque absolu d’incident coronarien évalué à partir de différents facteurs. Toutes les statines actuellement connues diminuent le risque d’incident cardiovasculaire, indépendamment de la cholestérolémie. Le problème ne réside pas dans un manque de preuve de l’efficacité des statines mais est bien lié au coût élevé qu’entraînerait un traitement de toute la population, de manière essentiellement aveugle. C’est ainsi que les recommandations britanniques du NHS fixent un seuil de traitement pour un risque absolu supérieur à 30 % à 10 ans 4. Les Joint British Societies recommandent un traitement par statine, en prévention primaire, si le risque dépasse 15 % 5 , tandis que la Task Force Européenne de Prévention Coronaire choisit un seuil d’action de 20 % 6 . D’autres points de divergence existent. Nous connaissons une étude comparative entre les valeurs prédictives de ces différentes tables qui arrive à la conclusion que les tables des Joint British Societies sont les plus adéquates. Toutes ces méthodes sont basées sur la formule du risque de Framingham. La controverse persiste sur la transposition sans adaptation de ces données aux populations occidentales et différentes corrections sont proposées 8. De manière fort convaincante, il est également démontré que l’évaluation du risque peut être affinée en incluant le HDL-cholestérol comme facteur de risque dans les calculs 7, 9.
Si la stratification du risque doit être la base rationnelle de la décision d’initiation d’un traitement hypolipidémiant, la discussion concerne la mise à disposition de méthodes et instruments fiables pour l’évaluation du risque. Le débat porte surtout sur les nouvelles méthodes et sur les instruments développés pour appliquer cette stratification du risque. Différentes tables de risque existent, la table Néo Zélandaise 2 n’étant qu’un exemple parmi d’autres. Ensuite, le débat porte aussi sur les questions de la population cible, de la détermination du risque et de l’implantation de la stratification du risque cardiovas culaire dans la pratique. Devons nous, par exemple, faire une prise de sang à toute personne âgée de 30 à 70 ans ? Ou pouvonsnous, sur base clinique, isoler un groupe de patients à risque faible sans nécessairement connaître leurs cholestérolémies ?
Enfin, une question-clé reste sans réponse : « Une prise en charge individualisée et ciblée des risques cardiovasculaires sur base d’une évaluation soigneuse du risque global permet-elle une diminution plus importante du nombre d’incidents cardiovasculaires ? » Seule une étude prospective pourrait apporter une réponse. D’autres recherches sont donc importantes, également (et probablement surtout) en première ligne. Débarrassons-nous de l’évaluation d’un seul facteur de risque et organisons un consensus sur l’utilisation de la méthode globale 10 . Nous espérons un débat animé et passionnant sur ce sujet.
G. Goderis*, J. Degryse **, J. Heyrman**
(*) Ecole de Santé Publique, Université Catholique de Louvain.
(**) Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Katholieke Universiteit Leuven.
Références
- Themanummer hypercholesterolemie. Huisarts Nu (Minerva) 2002;31(2).
- National Heart Foundation. Clinical guidelines for the assessment and management of dyslipidaemia. NZ Med J 1996;109:224-32.
- Tunstall-Pedoe H, Vanuzzo D, Hobbs M, et al. Estimation of contribution of changes in coronary care to improving survival, event rates, and coronary heart disease mortality across the WHO MONICA Project populations. Lancet 2000;355:688-700.
- Department of Health.National service framework for coronary heart disease: modern standards and service. London: Department of Health, 2000.
- British Cardiac Society. Joint British recommendations on prevention of coronary heart disease in clinical practice. Heart 1998;80:S1-S29.
- Pyorala K,Wood D. Prevention of coronary heart disease in clinical practice. European recommendations revised and reinforced. Eur Heart J 1998;19:1413-5.
- Jones AF, Walker J, Jewks C, et al. Comparative accuracy of cardiovascular risk prediction methods in primary care patients. Heart 2001;85:37-43.
- Haq IU, Ramsay LE, Yeo WW, et al. Is the Framingham risk function valid for northern European populations? A comparison of methods for estimating absolute coronary risk in high risk men. Heart 1999;81:40-6.
- Durrington PN, Prais H, Bhatnagar D. Indications for cholesterol lowering medication: comparison of risk-assessment methods. Lancet 1999;353:278-81.
- http://www.achg.kuleuven.ac.be/cvrisk
Réponse de la rédaction
Chers confrères,
La discussion sera peu animée dans la mesure où le point de vue de la rédaction de Minerva est totalement concordant avec celui de votre lettre. Nous citons : « nous traitons un patient ayant un profil de risque défavorable et non une cholestérolémie » (1). Vous aurez également remarqué que « l’hypercholestérolomanie » est devenue une affection dangereuse qui touche des couches toujours plus larges de la population. Le moteur principal de l’extension de cette calamité est, avant tout, l’industrie alimentaire pour laquelle tout moyen est bon pour faire passer le message. Pour ce motif, une prise en charge pondérée, multifactorielle, accordant un rôle important à des interventions non médicamenteuses comme l’arrêt du tabagisme, l’exercice physique, un régime, disparaît du champ de vision du patient comme de celui du médecin. Dans votre lettre, vous placez le doigt sur le point sensible de l’évaluation du risque cardiovasculaire global. Tous les profils du risque sont dans une grande mesure, basés sur des données de l’enquête Framingham aux E.U. La question demeure de leur transposition sur des populations d’autres régions. Le « paradoxe méditerranéen » est un argument presque suffisant pour considérer que des groupes différents de population ont des profils de risque cardiovasculaires également non semblables. Le choix de l’Ecosse comme population pour une des études sur les statines en prévention primaire n’est pas dû au hasard : les Écossais ont en effet un risque cardiovasculaire très élevé. La détermination du risque absolu de pathologies cardiovasculaires devrait donc tenir compte, au mieux, de données épidémiologiques régionales. Il n’est pas souhaitable que des données nord-américaines soient utilisées comme normes universelles. Des études épidémiologiques locales prospectives sont donc nécessaires.
Le seuil d’action reste cependant en question. Tout déplacement de ce seuil, de 5 % vers le haut ou vers le bas, entraîne une intervention, en plus ou en moins, pour un groupe important, avec toutes ses conséquences en terme d’économie de la santé, surtout quand le seuil s’abaisse. Nous ne disposons pas d’étude clinique expérimentale d’intervention multifactorielle avec buts thérapeutiques précis. Quand on intervient sur un facteur de risque, c’est le risque absolu qui diminue. L’arrêt du tabagisme est, dans ce domaine, l’intervention la plus efficiente, entraînant une diminution de risque de plus de 10 %. Une semblable diminution ne peut jamais être atteinte par une intervention médicamenteuse.
Pour les statines, les études en prévention primaire n’ont pas fait de stratification du risque en fonction du risque cardiovasculaire absolu 2, 3. Si nous examinons le risque pour le critère de jugement primaire (infarctus fatal ou non) dans le groupe placebo des différentes RCTs étudiant l’efficacité des statines, nous estimons le risque cardiovasculaire absolu de ces populations d’étude. Comme la durée des études en prévention primaire est de 5 ans seulement et le risque absolu faible (7,5 % 2 et 5,5 % 3 ) nous ne connaissons pas le risque absolu après 10 ans, ni dans quelle catégorie ces patients se situent pour les recommandations. Si nous examinons les résultats de la Heart Protection Study 4 , nous y observons un risque absolu de décès et de morbidité cardiovasculaires de 25,1 % à 5 ans. Les critères d’inclusion ont permis de placer dans cette étude des sujets qui auraient pu figurer dans les études en prévention primaire. Etant donné le risque élevé à 5 ans, la plupart atteignent le seuil de recommandation d’un médicament hypolipidémiant. Les trois études portant sur l’efficacité des statines en prévention secondaire montraient un risque absolu de 36,4 % 5, 13,2 % 6 et 15,9 % 7 respectivement. Le suivi de ces études variait de 5 à 6 ans. De très nombreux sujets de ces études atteignent donc également les seuils cités dans votre lettre.
Où se situe donc la discussion sur l’évaluation du risque cardiovasculaire global ? La survenue d’une affection cardiovasculaire se manifestant chez un patient est un argument important pour initier un traitement hypolipidémiant par statine vu le risque absolu élevé de récidive. La morbidité cardiovasculaire sélectionne les patients à haut risque. Le problème ne se situe pas là. La difficulté se localise aux patients non malades mais qui ont cependant quelques risques. Comment évaluer ces risques et comment pondérer l’effet des différentes interventions ? Nous ne disposons pas encore de tables de risque prenant en considération des différences culturelles et éventuellement génétiques, ni d’un instrument évaluant le risque d’un patient de manière précise et suffisamment reproductible tout en établissant des priorités pour des interventions médicamenteuses. Une recherche stratifiant selon le risque absolu et pondérant les différentes interventions peut nous apporter quelque lumière. Les occidentaux considèrent aussi la pathologie cardiovasculaire comme leur exclusivité, comme une pathologie typiquement liée à leur culture. Ceci ne correspond pas à la réalité ; 80 % de la pathologie cardiovasculaire survient dans les pays en voie de développement qui ne disposent ni de tables de risque, ni de structures logistiques indispensables pour y remédier 8.
La Rédaction
Références
- van Driel M, Lemiengre M, Christiaens T. Hypercholesterolemie: ‘state of the art’ anno 2002. Huisarts Nu (Minerva) 2002;31(2):101-4.
- Shepperd J, Cobbe SM, Ford I, et al, for the West of Scotland coronary prevention group. Prevention of coronary heart disease with pravastatin in men with hypercholesterolemia. N Engl J Med 1995;333:1301-7.
- Down JR, Clearfield M,Weis S, et al. Primary prevention of acute coronary events with lovastatin in men and women with average cholesterol levels. JAMA 1998; 279:1615-22.
- Heart Protection Study Collaborative Group. MRC/BHF Heart Protection Study of cholesterol lowering with simvastatin in 20.536 high-risk individuals: a randomised placebo controlled trial. Lancet 2002;360:7-22.
- Sandinavian Simvastatin Survival Study Group. Randomised trial of cholesterol lowering in 4444 patients with coronary heart disease: The Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Lancet 1994;344:1383-9.
- Sacks FM, Pfeffer MA, Moye LA, et al. The effect of pravastatin on coronary events after myocardial infarction in patients with average cholesterol levels. N Engl J Med 1996;335:1001-9.
- The Long-term Intervention with Pravastatin in Ischaemic Diseases (LIPID Study Group). Prevention of cardiovascular events and death with pravastatin in patients with coronary heart disease and a broad range of initial cholesterol levels. N Engl J Med 1998;339:1349-57.
- Yusuf S. Two decades of progress in preventing vascular disease. Lancet 2002;360:2-3.
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