Revue d'Evidence-Based Medicine



Existe-t-il des données probantes étayant l’utilité de prescrire de passer du temps dans la nature (« prescription verte ») ?



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 4 Page 89 - 92

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Adewuyi FA, Knobel P, Gogna P, Dadvand P. Health effects of green prescription: a systematic review of randomized controlled trials. Environ Res 2023;236(Pt 2):116844. DOI: 10.1016/j.envres.2023.116844


Question clinique
Quels sont les avantages d’une ordonnance verte pour la santé, par comparaison avec un groupe témoin ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique d’études randomisées contrôlées examinant l’effet de la prescription verte sur divers aspects de la santé ne permet pas de tirer de conclusions d’une grande valeur probante. La présentation narrative des résultats de différentes études suggère que la prescription verte peut contribuer à diverses améliorations de la santé psychologique et physique et du bien-être. D’autres études randomisées contrôlées avec des populations spécifiques, des interventions bien définies et des instruments de mesure valides sont nécessaires pour prouver la valeur ajoutée de la prescription verte.


Contexte

Plus de la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain et n’a souvent pas ou que peu accès à la nature. Depuis plusieurs dizaines d’années, on commence à comprendre l’effet bénéfique de l’expérience de la nature sur la santé et le bien-être en général (1,2). C’est pourquoi de nombreuses initiatives se développent pour amener « la nature vers les gens et les gens vers la nature ». La « prescription verte » en est un exemple : non seulement l’agent de santé encourage une personne à marcher, à faire du vélo et à faire de l’exercice en plein air, mais les personnes souffrant de maladies mentales et/ou physiques se voient également conseiller, sur ordonnance, de participer à des activités individuelles ou supervisées en pleine nature. En Belgique, il existe l’« exercice sur ordonnance », le patient étant orienté par un prestataire de soins (médecin, kinésithérapeute, infirmier, podologue, ergothérapeute, pharmacien, travailleur social, diététicien, psychologue) vers un coach d’exercices qui établit ensuite un plan d’exercices remboursé (3), mais cette activité remboursée ne doit pas spécialement être effectuée dans la nature. 
Ces dix dernières années ont vu la publication d’un nombre croissant d’études examinant l’effet des prescriptions vertes sur divers aspects de la santé. Plusieurs études examinant l’impact des interventions liées à la nature ont également été publiées (4,5), mais elles ne portaient pas spécifiquement sur les prescriptions vertes et incluaient différentes conceptions d’étude. Une récente synthèse méthodique s’est appuyée exclusivement sur des études randomisées contrôlées pour examiner les avantages des prescriptions vertes pour la santé (6).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Synthèse méthodique 

 

Sources consultées

  • PubMed, Scopus et Web of Science
  • listes des références des articles trouvés 
  • depuis le 1er janvier 2001 jusqu’au 30 juin 2023.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : articles avec évaluation intercollégiale, publiés en anglais, faisant état d’études randomisées contrôlées,
  • évaluant les avantages des prescriptions vertes pour la santé
  • aucun critère d’exclusion n’était défini
  • finalement, inclusion de 31 études, publiées entre 2001 et 2010 (13%) et entre 2011 et 2022 (87%) ; menées en Asie (32%), en Europe (32%), en Australie (19%) et en Amérique du Nord (16%) ; avec une taille d’échantillon de < 50 participants (19%), de 50 à 100 participants (39%), de 100 à 150 participants (16%) et de > 150 participants (26%)
  • les prescriptions vertes orientaient vers les plans d’action suivants : 
    • « exercices dans la nature » : se promener, courir dans la nature (N = 10)
    • horticulture : jardinage et activités avec des plantes (N = 9)
    • sylvothérapie : faire l’expérience de la forêt avec tous ses sens pour arriver à un sentiment de paix et de bien-être (N = 8)
    • représentations visuelles de la nature sous forme de peintures murales apportant la paix et le calme dans les espaces des centres de santé (chambres d’hôpital, salles d’attente et salles d’entraînement) (N = 2)
    • se rendre dans des parcs et des espaces ouverts (N = 2)
  • la durée des plans d’action prescrits allait de 1 jour à 1 an ; la comparaison était faite avec l’absence de traitement ou une liste d’attente (N = 13) ; 3 études ont comparé différents types de prescriptions vertes (en groupe ou individuelles), 3 études ont comparé les prescriptions vertes seules et les prescriptions vertes accompagnées d’un élément supplémentaire (comme un podomètre), et 12 études ont comparé les prescriptions vertes et une autre intervention (comme la thérapie cognitivo-comportementale).

 

Population étudiée

  • 3 418 participants au total (14 à 330 par étude) ; leurs caractéristiques sociodémographiques de base n’étaient pas décrites
  • dans 15 études (48%), il s’agissait d’adultes en bonne santé ; les 16 autres études (52%) ont inclus des adultes ayant des problèmes de santé, tels que la fibromyalgie (N = 1), le cancer (N = 1), l’hypertension artérielle (N = 1), un accident vasculaire cérébral (N = 2), le diabète (N = 1), des troubles mentaux (2). 

 

Mesure des résultats 

  • santé psychologique et bien-être : dépression, angoisse, stress, limitation psychologique, limitation fonctionnelle, fonctions cognitives, humeur, sensation de burn out, fatigue, confiance en soi, solitude, sentiment de bonheur, bien-être psychosocial, psychopathologie et qualité de vie psychosociale
  • santé cardiométabolique : tension artérielle, BMI, biomarqueurs d’insuffisance cardiaque, facteurs pathologiques associés, perte de poids, rythme cardiaque
  • fonctions physiques
  • douleur, critères de jugement orthopédiques, syndrome de fatigue, biomarqueurs d’inflammation, cohésion sociale, fréquence du recours au système de soins de santé.

 

Résultats

  • dans 16 des 24 études portant sur l’effet sur la santé psychologique et sur le bien-être, une amélioration a été observée avec une prescription verte pour l’horticulture (N = 4 ; n = 373) (pas d’effet dans 2 études), pour la sylvothérapie (N = 7 ; n = 539) (pas d’effet dans 1 étude), pour des « exercices dans la nature » (N = 4 ; n = 818) (pas d’effet dans 3 études) et pour « se rendre dans des parcs » (N = 1 ; n = ?) (pas d’effet dans 1 étude), et aucune amélioration n’a été observée avec les propositions visuelles de nature
  • dans 5 des 9 études examinant l’effet sur la santé cardiométabolique, une amélioration a été observée avec une prescription verte pour des « exercices dans la nature » (N = 3 ; n = 260) (pas d’effet dans 3 études), pour la sylvothérapie (N = 2 ; n = 57), et aucune amélioration n’a été observée avec une prescription pour « se rendre dans des parcs » (N = 2, n = ?)
  • dans 8 des 9 études examinant l’effet sur l’activité physique, une amélioration a été observée avec une prescription verte pour des « exercices dans la nature » (N = 6 ; n = 968) (pas d’effet dans 1 étude), pour l’horticulture (N = 1, n = 227) et pour « se dans des parcs » (N = 2 ; n = 238)
  • dans 2 des 4 études, un effet positif a été observé sur le soulagement de la douleur avec une prescription verte pour des « exercices dans la nature » (pas d’effet dans 1 étude) et pour des « propositions visuelles » (pas d’effet dans 1 étude)
  • moins de recours aux soins de santé dans 1 étude avec prescription pour des « exercices dans la nature » (N = 1 ; n = 270) 
    pas de résultats significatifs au niveau des critères de jugement orthopédiques (N = 2), du burn out (N = 1), de la cohésion sociale (N = 1).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les prescriptions vertes peuvent être efficaces pour améliorer divers critères de jugement en matière de santé, mais des études de plus grande envergure avec des mesures objectives sont nécessaires. 

 

Financement de l’étude

Aucun subside particulier ; soutien uniquement par le ministère espagnol de la Science et de l’Innovation et l’Agence nationale de la Recherche.

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

L’intention des auteurs était de réaliser la première étude systématique sur ce thème en se basant uniquement sur des études randomisées contrôlées. L’application de critères d’inclusion limités a permis d’obtenir 31 études présentant une hétérogénéité clinique très importante en termes de population étudiée, de conception de l’étude et de mesures des résultats. Les auteurs n’ont donc pas pu réaliser une méta-analyse, et ils ont dû se limiter à une présentation narrative des résultats. Le nombre de chercheurs qui ont sélectionné indépendamment les 15 913 articles publiés en ligne (après suppression des doublons) n’est pas précisé. Un modèle a été utilisé pour l’extraction des données, mais il n’est nulle part fait mention de la manière dont les ambiguïtés ont été résolues. 
Pour détecter le risque de biais des différentes études, les auteurs ont suivi le manuel Cochrane pour les synthèses méthodiques portant sur des interventions (Cochrane Handbook for systematic reviews of Interventions). Aucune étude ne présentait un risque de biais globalement faible, et trois études présentaient un risque de biais globalement élevé. Pour une étude, le risque de biais dans le processus de randomisation était élevé, et, pour dix études, on peut douter que la randomisation ait été effectuée correctement. La mise en aveugle des participants et des chercheurs étant difficilement réalisable, voire impossible, aucune étude n’a pu exclure la possibilité qu’au cours de l’étude, des participants fassent preuve d’une observance de moins en moins bonne ou s’écartent du groupe d’étude auquel ils avaient été assignés. Le risque de subjectivité dans l’autodéclaration des résultats était élevé chez les participants qui connaissaient le bras d’étude auquel ils avaient été assignés. La présence d’un risque de biais dans la mesure des résultats était donc préoccupante dans la moitié des études incluses. Pour trois études, le risque de biais lié à la sélection des résultats était élevé, et, pour les autres études, le risque de biais pour cet élément n’a pas été exclu.
Enfin, dans certaines études, le nombre de participants est parfois mal indiqué, ce qui remet en question la fiabilité de l’article. 
 

Évaluation des résultats

Nous ne pouvons pas dire avec certitude quels résultats étaient statistiquement significatifs. À plusieurs reprises, les résultats ont été présentés comme significatifs, alors que, dans les études originales, il n’y avait pas de différence entre le groupe intervention et le groupe témoin. Nous ne pouvons pas non plus nous prononcer sur la pertinence clinique des résultats rapportés. Les instruments de mesure utilisés dans les études incluses n’étaient pas précisés. La mesure du bien-être et de la santé sur le plan psychologique, tout comme la mesure des fonctions physiques reposaient principalement sur l’autodéclaration, ce qui peut avoir causé des surestimations et des sous-estimations. Seules trois études ayant examiné l’impact sur les fonctions physiques ont utilisé des outils de mesure objectifs tels que des accéléromètres et des podomètres. 
De nombreuses études ont comparé deux groupes ayant reçu une prescription verte, mais dont certains aspects de la prescription différaient (par exemple, prescription verbale ou écrite, prescription d’activités individuelles ou de groupe). Cette étude a montré une amélioration entre le début et la fin de la mesure, mais sans différence entre les groupes. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’amélioration est due à la prescription verte elle-même ou à l’évolution normale des symptômes, à d’autres mesures de santé ou à des changements dans la communauté. En l’absence d’un véritable groupe témoin, tel qu’une prescription avec « exercice sur ordonnance », il est également difficile de vérifier la valeur ajoutée de l’« exercice vert » sur ordonnance. 
Bien que les études aient été menées principalement dans des pays riches d’Asie, d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Océanie, l’extrapolation à la pratique belge rencontre certaines difficultés. Ainsi, les populations étudiées étaient cliniquement très hétérogènes : elles comprenaient à la fois des enfants et des personnes âgées, et il existait également de grandes différences en termes de comorbidité (fibromyalgie (N = 1), cancer (N = 1), hypertension artérielle (N = 1), AVC (N = 2), diabète (N = 1), troubles mentaux (N = 2). On ne sait rien des différences entre les participants quant à leur statut socio-économique et leur environnement. Les plans d’intervention sur ordonnance varient considérablement et durent de 1 jour à 1 an. Nous ne savons pas non plus si, comme dans le cas de l’exercice sur ordonnance, une compensation financière était prévue pour les superviseurs de ces activités. Par ailleurs, nous ne disposons pas non plus d’une analyse coûts-bénéfices appropriée.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il existe de nombreuses preuves que l’« exercice » est une importante thérapie préventive et curative non médicamenteuse pour l’hypertension artérielle, l’obésité, le diabète, les événements cardiovasculaires, etc. (7,8). Il s’agit alors de marcher, de nager, de faire du vélo, de sortir en fauteuil roulant, de faire des travaux ménagers plus intenses comme laver les vitres ou jardiner. Bien que les prescriptions vertes puissent entrer dans ce cadre (exercice dans la nature, jardinage...), il n’en est fait mention nulle part dans les guides de pratique clinique. En Flandre et à Bruxelles, il existe un remboursement partiel de l’« exercice sur ordonnance » (3). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique d’études randomisées contrôlées examinant l’effet de la prescription verte sur divers aspects de la santé ne permet pas de tirer de conclusions d’une grande valeur probante. La présentation narrative des résultats de différentes études suggère que la prescription verte peut contribuer à diverses améliorations de la santé psychologique et physique et du bien-être. D’autres études randomisées contrôlées avec des populations spécifiques, des interventions bien définies et des instruments de mesure valides sont nécessaires pour prouver la valeur ajoutée de la prescription verte.

 

 

 

Références 

  1. Urban green spaces: a brief for action. World Health Organization, 2017. Available from: https://www.who.int
  2. White MP, Alcock I, J. Grellier J, et al. Spending at least 120 min a week in nature is associated with good health and wellbeing. Sci Rep 2019;9:7730. DOI: 10.1038/s41598-019-44097-3
  3. Bouger sur prescription. (Bewegen op verwijzing.) Vlaams Instituut Gezond Leven (website geraadpleegd op 28/04/2025).
  4. Kondo MC, Fluehr JM, McKeon T, Branas CC. Urban green space and its impact on human health. Int J Environ 2018;15:445. DOI: 10.3390/ijerph15030445
  5. Nguyen PY, Asteli-Burt T, Rahimi-Ardabili H, Feng X. Effect of nature prescriptions on cardiometabolic and mental health and physical activity : a systematic review. Lancet Planet Health 2023;7:e313-e328. DOI: 10.1016/S2542-5196(23)00025-6
  6. Adewuyi FA, Knobel P, Gogna P, Dadvand P. Health effects of green prescription: a systematic review of randomized controlled trials. Environ Res 2023;236 (Pt 2):116844. DOI: 10.1016/j.envres.2023.116844
  7. Cardiovasculair risicomanagement. NHG standaard (M84). Gepubliceerd: juni 2019, laatste aanpassing: september 2024.
  8. Van Binsbergen JJ, Langens FN, Dapper AL, et al. Obesitas. NHG standaard (M95). Gepubliceerd: oktober 2010, laatste aanpassing: september 2020.

 


Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

Glossaire

Code


F32, F41
P74, P76


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