Revue d'Evidence-Based Medicine
Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences
Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone
Contexte
En 2050, 115 millions de patients devraient souffrir de démence à travers le monde (1). Les symptômes comportementaux et psychologiques liés à la démence toucheraient jusqu’à 88 % de ces patients (2). Ces symptômes sont les plus difficiles à gérer pour les aidants familiaux et sont à l’origine de la plupart des décisions d’institutionnalisation (3). Les résultats des études des approches médicamenteuses ne sont pas convaincants (4). L’OMS précise que parmi les objectifs de la prise en charge de la démence figurent la détection et le traitement des symptômes psychologiques et comportementaux ainsi que la fourniture d'informations et d’un soutien à long terme aux personnes qui prodiguent les soins (1). Une synthèse méthodique avec méta-analyses des approches thérapeutiques non pharmacologiques hors institutionalisation, évaluant l’efficacité des interventions des aidants familiaux dans la gestion du comportement et des symptômes psychologiques survenant chez les patients souffrant de de démence n’avait jamais été réalisée.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses
Sources consultées
- MEDLINE, PsycINFO, PubMed, EMBASE et Scopus (1985 à juillet 2010).
Etudes sélectionnées
- 23 études dont 16 RCTs et 7 « RCTs » sans description de la méthode de randomisation évaluant une approche thérapeutique non pharmacologique
- incluant au minimum 6 patients
- l’aidant naturel devant être un membre de la famille
- 6 catégories d’interventions sont définies : formation professionnelle des soignants, éducation des aidants familiaux, planification des activités et actions sur l’environnement, amélioration du soutien aux aidants familiaux, techniques auto-délivrées par les aidants familiaux et divers ; avec sous-catégories pour chacune de ces interventions
- la durée des études : de 6 semaines à 24 mois
- exclusion des études concernant : les interventions avec des personnes externes accordant un répit aux aidants naturels, les approches médicamenteuses, les articles de revues de la littérature, les symptômes liés aux troubles comportementaux ou psychologiques étudiés de façon non séparées ou non quantitatives
- restriction à la langue anglaise.
Population étudiée
- patients souffrant de démence
- patients exclus : patients souffrant de schizophrénie, de troubles bipolaires.
Mesure des résultats
- critères de jugement
- pour les patients : sévérité (the Behavioral Pathology in Alzheimer’s Disease rating Scale) ou fréquence (the Revised Memory and Behavior Problem Checklist) des symptômes comportementaux, psychologiques ou les 2 (the Neuropsychiatry Inventory)
- pour les aidants familiaux : réduction de la sévérité de leurs réactions aux symptômes des patients (the Neuropsychiatry Inventory ; the Revised Memory and Behavior Problem Checklist).
- méta-analyse si possible avec analyse des résultats sommés en modèle d’effets aléatoires.
Résultats
- réduction des symptômes comportementaux et psychologiques : ampleur d’effet (d de Cohen) de 0,34 avec IC à 95 % de 0,20 à 0,48 ; score z = 4,87 ; p < 0,01
- amélioration des réactions des aidants familiaux à ces symptômes comportementaux et psychologiques : ampleur d’effet de 0,15 avec IC à 95 % de 0,04 à 0,26 ; score z = 2,76 ; p = 0,006.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les approches thérapeutiques non médicamenteuses de la démence, prestées par les aidants familiaux, réduisent la fréquence et la sévérité des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence avec une ampleur d’effet au moins équivalente à celle des approches thérapeutiques médicamenteuses, et réduisent aussi les réactions indésirables chez les aidants familiaux. Les interventions les plus efficaces comportent entre 9 et 12 sessions centrées sur les besoins des patients et des aidants familiaux, se déroulent individuellement à domicile avec de multiples composantes sur une période comprise entre 3 et 6 mois.
Financement
Aucun n’est mentionné.
Conflits d’intérêt
L’auteur principal a reçu des honoraires de plusieurs firmes pharmaceutiques ; le 2ème auteur n’en déclare aucun.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La recherche systématique dans la littérature a été réalisée dans 4 bases de données par 1 chercheur tandis que le second a vérifié de façon indépendante 15 études selon un processus standardisé afin de comparer la fiabilité du niveau de preuve des études incluses, ce qui ne rejoint pas les recommandations actuelles de sélection et d ‘évaluation de la méthodologie des études. La langue de recherche s’est limitée à l’anglais. Les termes de recherche sont clairement décrits. Ils ont été limités aux titres et abstracts. Une étude est acceptée dès lors qu’elle inclut 6 patients au moins, ce qui ne permet pas de satisfaire aux critères de fiabilité des résultats statistiques. La définition de la démence n’est pas cliniquement précisée. Les outils pour déterminer la sévérité et la fréquence de la démence en début d’étude et son évolution en cours d’étude sont décrits et sont disponibles en ligne. Les comparateurs (soins usuels ou autres) ne sont pas décrits. Nous ignorons si les évolutions sont évaluées par le patient, par l’aidant familial ou par un chercheur/clinicien indépendant. Aucune comorbidité n’est décrite.
Interprétation des résultats
Dans une méta-analyse, l’importance quantitative de l’efficacité d’une intervention peut être exprimée par une mesure appelée ampleur d‘effet (alias taille de l’effet) observée. Les résultats des différentes études reprises dans la méta-analyse peuvent dans ce cas, être sommés avec une ampleur d’effet standardisée pour chaque étude (5). Le d de Cohen est une des 5 méthodes utilisées pour calculer une ampleur d’effet. Il est plus particulièrement utilisé quand une étude rapporte l’efficacité d’une intervention à l’aide d’une mesure continue, comme un score sur une échelle (5). Dès lors, le choix des instruments de mesure fait par les auteurs est important. Dans cette méta-analyse les auteurs ont choisi the Revised Memory and Behavior Problem Checklist dans laquelle 24 items sont étudiés dont 1/3 concernent les activités quotidiennes, 1/3 les symptômes dépressifs et 1/3 les troubles comportementaux. Un effet important sur les troubles comportementaux peut dès lors avoir été dilué par un moindre effet sur les 2 autres items, limitant l’ampleur de l’effet mesuré. Par convention, un d de Cohen de 0,2 montre un effet faible ; autrement dit, 58 % des patients suivis par des soins habituels vont présenter un score moindre que celui observé dans le groupe intervention (5). Les auteurs signalent d’autres difficultés d’interprétation. Par exemple, toutes les études incluses n’avaient pas comme critère de jugement les troubles du comportement, les interventions sont multiples et le suivi à long terme de leur impact n’est pas étudié. Dès lors, tirer des conclusions pertinentes pour la pratique clinique est difficile.
Cette méta-analyse illustre un problème déjà souligné dans certains éditoriaux de la revue Minerva (6-7). Quel était l’objectif des soins : amélioration de la qualité de vie des aidants familiaux et/ou des patients déments ? Nombre d’institutionnalisations ou délai avant celles-ci ? Cette méta-analyse-ci concerne le premier objectif et nous montre qu’une intervention multifactorielle est efficace dans ce domaine, sans pouvoir préciser quels éléments particuliers de cette intervention multifactorielle sont plus performants. Il reste à évaluer si les moyens (financiers et humains) actuellement disponibles en Belgique sont suffisants pour y réaliser de telles interventions.
Autres études
Le KCE a publié en 2011 un rapport (8) de très bonne qualité méthodologique ayant pour objectif d’analyser l’efficacité des traitements non pharmacologiques proposés dans le cadre de la démence au domicile et en institution. Les experts consultés ont jugé (recommandation de niveau 1B) que les interventions ayant pour objectif de développer les capacités des aidants (contrôle du stress, stratégies pour faire face aux problèmes de comportement, diminution de la charge de travail, augmentation de la satisfaction), sont généralement efficaces. Elles augmentent le délai d’institutionnalisation et améliorent l’humeur du soignant, son bien-être et sa qualité de vie. Deux conditions sont néanmoins à remplir : les interventions doivent être multifactorielles et ne peuvent pas être ponctuelles. Des sessions de conseils de 30 à 90 minutes, la participation à des groupes de support, des conseils par téléphone, l’évaluation de la situation individuelle du patient, une référence à un psychiatre, l’instauration d’un réseau entre familles sont différentes composantes utiles bien que la fréquence optimale de ces interventions ne soit pas documentée. Par ailleurs, les interventions doivent être adaptées aux patients et aux aidants ainsi qu’à leur milieu de vie, ce qui nécessite une certaine adaptation, voire individualisation des interventions (8). Ceci pose la question de l’organisation des soins en Belgique, du rôle de chaque professionnel de la santé et des aidants familiaux ainsi que de l’approche pluridisciplinaire concertée autour des maladies chroniques comme les démences.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique de la littérature, de qualité méthodologique moyenne, relative à la prise en charge non médicamenteuse au domicile, par les aidants familiaux, des symptômes psychologiques et comportementaux liés à la démence confirme la nécessité d’interventions multifactorielles et non ponctuelles, centrées sur les besoins des aidants.
Pour la pratique
Il n’existe actuellement pas de guide de pratique belge clair et détaillé concernant l’efficacité clinique des approches thérapeutiques non pharmacologiques des symptômes psychologiques et comportementaux de patients souffrant de démence délivrées par les aidants familiaux. Le NHG-standaard concernant la démence (9) fait des recommandations précises pour des interventions psychosociales de soutien à l’aidant naturel.
Cette méta-analyse renforce le rapport du KCE publié en 2011 (8) concernant ce domaine, rapport concluant que des interventions multifactorielles et non ponctuelles sont jugées efficaces tant pour retarder une institutionnalisation des patients déments que pour améliorer l’humeur, le bien-être et la qualité de vie des aidants/soignants et ce au prix d’une adaptation des interventions aux besoins des aidants.
Références
- OMS. La démence. Aide-mémoire N°362. Avril 2012. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs362/fr/ (consulté le 01/09/2013).
- Mega MS, Cummings JL, Fiorello T, et al. The spectrum of behavioral changes in Alzheimer's disease. Neurology. 1996;46:130-5.
- World Health Organization: Dementia: A Public Health Priority. Geneva, Switzerland, World Health Organization, 2012.
- Chevalier P. Maladie d’Alzheimer : donépézil + mémantine ? Minerva online 28/09/2012.
- Mc. Gough J, Faraone V. Estimating the size of treatment effects: moving beyond p values. Psychiatry (Edgemont) 2009;6:21–9.
- De Jonghe M. Vers une individualisation des soins ou une prise en compte des objectifs de soins ? MinervaF 2013;12(7):79.
- De Maeseneer J, Boeckxstaens P, De Sutter A. Multimorbidité : d’une « prise en charge axée sur les problèmes » à une « prise en charge orientée vers des objectifs ». MinervaF 2013;12(4);40.
- Kroes M, Garcia-Stewart S, Allen F, Eyssen M, Paulus D. Démence: quelles interventions non pharmacologiques? Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2011. KCE Reports 160B. D/2011/10.273/36.
- Moll van Charante E, Perry M, Vernooij-Dassen MJ, et al. NHG-Standaard Dementie (derde herziening). Huisarts Wet 2012;55:306-17.
Auteurs
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires