Analyse


Quelles interventions sont les plus efficaces dans le traitement des douleurs chroniques secondaires à des troubles temporomandibulaires ?


27 06 2024

Professions de santé

Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Yao L, Sadeghirad B, Li M, et al. Management of chronic pain secondary to temporomandibular disorders: a systematic review and network meta-analysis of randomised trials. BMJ 2023;383:e076226. DOI: 10.1136/bmj-2023-076226


Question clinique
Chez les personnes atteintes de douleurs chroniques associées aux troubles temporomandibulaires, quelles thérapies sont plus efficaces que le placebo ou les soins habituels pour réduire la douleur et améliorer les fonctions physiques ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau, bien construite méthodologiquement, montre que les interventions favorisant l’adaptation et encourageant le mouvement et l’activité sont les plus efficaces pour réduire la douleur et améliorer le fonctionnement physique des patients souffrant de douleurs chroniques secondaires de l’articulation temporomandibulaire. Des preuves de niveau modéré à élevé à ce sujet sont disponibles. Pour les autres traitements, la force des preuves est faible à très faible.


Contexte

Les troubles temporomandibulaires constituent la seconde cause de douleurs orofaciales, après les maux de dents, et touchent 6 à 9% d’adultes (1,2), avec une prévalence plus importante chez les femmes (3). Ils affectent les muscles de la mastication, l’articulation temporomandibulaire et les structures associées. Beaucoup de traitements existent à ce jour, pouvant être répartis en trois types : 

  • conservateurs : exercices de mobilisation, thérapie cognitivo-comportementale, relaxation, médication, gouttières amovibles, …
  • invasifs : arthrocentèse, injection d’anesthésiants avec ou sans stéroïdes ou d’acide hyaluronique, …
  • irréversibles : chirurgie articulaire, prothèses, orthodontie… 

Malheureusement, leur efficacité comparative n’est pas encore clairement déterminée, car les méta-analyses traitant de ce sujet comportent de nombreuses limites (4,5). 
Cette étude a donc pour but de comparer l’efficacité de ces différentes thérapies et de déterminer lesquelles sont les plus efficientes (6). Notons qu’une analyse Minerva, publiée en 2024, a mis en évidence une efficacité significative des exercices de mobilisation (traitement conservateur) (7,8) et qu’associés au port d’une gouttière, ils se montraient plus efficaces que le seul port d’une gouttière ou toute autre thérapie. 

 

 

Résumé 

 

Méthodologie

 

Revue systématique et méta-analyse en réseau.

 

Sources consultées

  • Medline, Embase, CINHAL, CENTRAL, Scopus.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : 
    • études rédigées en anglais 
    • traitant de patients adultes (> 18 ans) souffrant de douleurs chroniques associées à une douleur TMD depuis 3 mois ou plus ou définies par les auteurs comme « chroniques » 
    • randomisées avec un traitement actif ou alternatif, un placebo, une procédure fictive ou des soins habituels 
    • études incluant minimum 10 participants dans chaque groupe de traitement
  • critères d’exclusion : aucun critère d’exclusion n’est stipulé
  • au total, 233 essais ont été sélectionnés, dont 153 ont été utilisés pour réaliser les méta-analyses en réseau, explorant 59 interventions ou combinaisons d'interventions.

 

Population étudiée 

  • les patients adultes (18 ans et plus) souffrant de douleurs chroniques associées à un trouble temporomandibulaire depuis 3 mois ou plus.
  • au total, 8713 participants ont été inclus.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement  : efficacité sur la douleur et sur le fonctionnement physique 
    • les différentes échelles de douleur ont été transformées respectivement en une échelle EVA de 10 cm pour la douleur et un score fonctionnel de 100 points pour la composante physique du questionnaire SF-36
    • ensuite pour chaque traitement la différence moyenne (avec IC à 95%) dans le score VAS et le score fonctionnel a été calculée entre la ligne de base et la fin du suivi avec un modèle à effets aléatoires
    • enfin, le risque de différence (RD) a été calculé pour chaque traitement afin d'obtenir la différence clinique minimale pertinente de 1 cm sur l'échelle VAS pour la douleur et de 5 points sur l'échelle fonctionnelle
  • événements indésirables.

 

Résultats 

  • efficacité des traitements contre la douleur
    • les trois thérapies les plus efficaces sont (niveau de preuve modéré à élevé) : 
      • les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) associées à un biofeedback ou à de la relaxation (RD de 36% avec IC à 95% de 33 à 39%)
      • mobilisation de la mâchoire assistée par un thérapeute (RD de 36% avec IC à 95% de 31 à 40%)
      • thérapie des points de déclenchement manuelle (RD de 32% avec IC à 95% de 29 à 34%)
    • interventions moins efficaces mais toujours supérieures au placebo (RD de 23% à 30 %) :
      • TCC seule, exercices posturaux supervisés, exercices et étirements de la mâchoire supervisés avec ou sans
      • thérapie des points de déclenchement manuelle, soins habituels (comme des exercices à domicile, des étirements auto-administrés, des automassages, du réconfort)
  • efficacité des traitements sur l’amélioration physique 
    • les thérapies probablement efficaces (certitude modérée) sont :
      • les exercices et étirements de la mâchoire supervisés (RD de 43% avec IC à 95% de 33 à 51%)
      • les manipulations (RD de 43% avec IC à 95% de 25 à 56%)
      • l’acupuncture (RD de 42% avec IC à 33 à 50%)
      • les exercices et mobilisations de la mâchoire supervisés (RD de 36% avec IC à 95% de 19 à 51%)
  • événements indésirables : 
    • concernent 31 études et 1987 patients
    • aucun n’est relaté.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que lorsqu’on se limite à un niveau de certitude modéré ou élevé de preuves, les interventions qui favorisent l’adaptation et encouragent le mouvement et l’activité se sont avérées être les plus efficaces pour réduire la douleur chronique des troubles temporomandibulaires.

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par le « Chronic Pain Centre of Excellence for Canadian Veterans ». De plus, un auteur est en partie subventionné par une « Canadian Institutes of Health Research Canada Research Chair in Prevention and Management of Chronic Pain ». 

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Tous les auteurs ont complété le formulaire de divulgation uniforme ICJME et déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette étude semble méthodologiquement bien construite. Elle offre une synthèse complète des avantages et inconvénients des différentes interventions possibles en cas de douleurs chroniques associées aux troubles temporomandibulaires. Les auteurs ont suivi les recommandations de PRISMA et ont prépublié leur protocole dans PROSPERO. Ils ont consulté de nombreuses bases de données et ont défini précisément la problématique (le public cible, les différents types de TMD, leurs conséquences, et les différentes thérapies existantes). Les auteurs n’ont pas décrit de critères d’exclusion ce qui élargit de facto les résultats obtenus. Les différents articles ont été sélectionnés et analysés en aveugle par des experts. L’outil de la Cochrane a également été utilisé pour évaluer les risques de biais. 87% des essais étaient à risque de présenter des biais dans au moins un domaine. De plus, l’échelle de GRADE a été utilisée afin de vérifier la qualité des preuves. Les interventions ont alors pu être classées selon différents niveaux de qualité : haut, modéré, bas, très bas. Enfin, notons que 3 patients ont contribué activement aux recherches, en sélectionnant et priorisant les objectifs de l’étude, donnant des feedbacks et interprétant les résultats (ce qui rend l’étude plus relevante encore, car les personnes concernées y ont été impliquées). 

 

Évaluation des résultats

Malgré une méthodologie rigoureuse, cette étude présente quelques limites qui doivent être prises en compte lors de l’interprétation des résultats. En dépit du grand nombre d’essais et de participants, la certitude des preuves pour la plupart des interventions s’avère faible. De plus, les auteurs supposaient que les effets des différents traitements seraient comparables d’un sous-type de TMD à l’autre, mais la plupart des études incluaient un mélange de ces sous-types ou ne détaillaient pas lesquels étaient présents ni dans quelle proportion. Il n’a donc pas été possible d’évaluer les effets de sous-groupe en fonction des sous-types de TMD. Notons d’ailleurs que les critères diagnostiques de ces sous-groupes semblaient relativement subjectifs. Concernant la question PICO, il n’a jamais été mentionné ce que les auteurs entendaient par douleurs « chroniques » même si le protocole précise qu’il s’agit de douleurs de plus de 3 mois. De même, nous ne savons pas en quoi consistent les « traitements habituels » (peu d’informations) ou « fictifs », auxquels les autres thérapies sont comparées, ni ce que les auteurs entendent par « événements indésirables ». 
Nous retenons cependant que plusieurs interventions (études de niveau de certitude moyen à élevé) sont bénéfiques concernant la douleur et le fonctionnement physique (bien que les comparaisons concernaient principalement les traitements conservateurs et les traitements invasifs, sans faire mention des traitements définitifs). Celles-ci existent en Belgique et sont tout à fait transférables dans la prise en charge des troubles temporomandibulaires.  Beaucoup sont d’ailleurs déjà utilisées par de nombreux professionnels. À la suite de cette méta-analyse, il semblerait que la prise en charge de ces troubles puisse être pluridisciplinaire, car les interventions présentes dans les diverses études peuvent aussi bien être pratiquées par des psychologues, que par des kinésithérapeutes ou des logopèdes (selon leurs compétences respectives). 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ni Ebpracticenet, ni WOREL, ni la KCE ne contiennent de guides de pratique relatifs aux troubles de l’articulation temporomandibulaire. Cependant, dans ce contexte, le BMJ (9) recommande fortement plusieurs types de thérapies qui pourraient être bénéfiques à tous les patients concernés : la thérapie cognitivo-comportementale (augmentée ou non), des exercices de mobilisation et/ou d’étirement de la mâchoire, les triggers points (ou l’association des trois : trigger points + étirements + mobilisations), les exercices posturaux, les soins habituels. Au contraire, la pose irréversible d’un appareil, la discectomie et l’association d’opioïdes à des anti-inflammatoires non-stéroïdiens sont totalement contre-indiqués.
Le Collège Royal des Chirurgiens (10) recommande quant à lui de recourir à un traitement médicamenteux associé à un programme d’autosoin, dans un premier temps. Si les douleurs diminuent considérablement après quelques semaines, le patient doit continuer de respecter les nouvelles règles d’hygiène qu’il a mises en place. Si les douleurs diminuent légèrement, il sera plutôt recommandé de tester l’acupuncture, la physiothérapie, le port d’un appareil ou de suivre une thérapie contre l’anxiété. Par contre, si les médicaments n’ont pas du tout aidé à réduire la douleur, il faudra faire appel à un avis spécialisé.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau, bien construite méthodologiquement, montre que les interventions favorisant l’adaptation et encourageant le mouvement et l’activité sont les plus efficaces pour réduire la douleur et améliorer le fonctionnement physique des patients souffrant de douleurs chroniques secondaires de l’articulation temporomandibulaire. Des preuves de niveau modéré à élevé à ce sujet sont disponibles. Pour les autres traitements, la force des preuves est faible à très faible.

 

 


Références 

  1. Macfarlane TV, Glenny AM, Worthington HV. Systematic review of population-based epidemiological studies of oro-facial pain. J Dent 2001;29:451-67. DOI: 10.1016/S0300-5712(01)00041-0 
  2. Maixner W, Diatchenko L, Dubner R, et al., Orofacial pain prospective evaluation and risk assessment study - the OPPERA study. J Pain 2011;12(11 Suppl):T4-11.e1-2. DOI: 10.1016/j.jpain.2011.08.002
  3. Sharma S, Ohrbach R. Definition, aetiology, and epidemiology of temporomandibular disorders. Handspring Publishing 2018.
  4. Al-Moraissi EA, Farea R, Qasem KA, et al. Effectiveness of occlusal splint therapy in the management of temporomandibular disorders: network meta-analysis of randomized controlled trials. Int J Oral Maxillofac Surg 2020;49:1042-56. DOI: 10.1016/j.ijom.2020.01.004
  5. Li J, Zhang Z, Han N. Diverse therapies for disc displacement of temporomandibular joint: a systematic review and network meta-analysis. Br J Oral Maxillofac Surg 2022;60:1012-22. DOI: 10.1016/j. bjoms.2022.04.004
  6. Yao L, Sadeghirad B, Li M, et al. Management of chronic pain secondary to temporomandibular disorders: a systematic review and network meta-analysis of randomised trials. BMJ 2023;383, e076226. DOI: 10.1136/bmj-2023-076226
  7. Levaux, E. Les exercices thérapeutiques temporomandibulaires sont efficaces pour traiter les troubles temporomandibulaires. Minerva Analyse 15/02/2024.
  8. Idanez-Robles, A., Obrero-Gaitan, E., Lomas-Vega, R., et al. Exercice therapy improves pain and mouth opening in temporomandibular disorders : a systematic review with meta-analysis. Clinical Rehabilitation. DOI: 10.1177/02692155221133523
  9. Busse JW, Casassus R, Carrasco-Labra A, et al. Management of chronic pain associated with temporomandibular disorders: a clinical practice guideline. BMJ 2023;383:e076227. DOI: 10.1136/bmj-2023-076227
  10. Beecroft E, Palmer J, Penlington C, et al. Management of painful temporomandibular disorder in adults. NHS England Getting It Right First Time (GIRFT) and Royal College of Surgeons’ Faculty of Dental Surgery 2023. Available from: https://www.rcseng.ac.uk/dental-faculties/fds/publications-guidelines/clinical-guidelines/

 




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