Analyse
Les exercices thérapeutiques temporomandibulaires sont efficaces pour traiter les troubles temporomandibulaires
15 02 2024
Professions de santé
Dentiste, Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généralisteContexte
Les troubles temporomandibulaires sont les principales causes de douleurs non dentaires se situant au niveau de la tête et de la sphère orofaciale (1). Ces douleurs, liées aux muscles masticatoires, à l’articulation temporomandibulaire ou à d’autres structures, apparaissent chez 31% des adultes et 11% des enfants, et sont plus fréquentes chez les femmes (2,3). Ceux-ci seraient dus à des facteurs de prédisposition (4), des conditions psychologiques (5), des comorbidités liées aux cancers de la gorge et de la tête (6) ou des parafonctions (mauvaises habitudes telles que mâcher du chewing-gum, mordre ses lèvres ou grincer des dents) (7). Pour traiter ces troubles, il existe trois possibilités : 1) la thérapie pharmacologique pour réduire l’inflammation de l’articulation et la douleur (8), 2) l’usage d’une gouttière pour repositionner correctement l’articulation (9), 3) la physiothérapie, dont des exercices thérapeutiques visant à entrainer les muscles des mâchoires, la coordination, la mobilité et la posture (10).
Cette méta-analyse a pour but de mettre à jour les connaissances liées à l’efficacité des exercices thérapeutiques sur la douleur et sur l’ouverture active et passive de la mâchoire, chez les patients atteints de troubles temporomandibulaires. De plus, les auteurs souhaitent déterminer si les exercices thérapeutiques se montrent plus efficaces que les gouttières ou d’autres méthodes de physiothérapie (thérapie manuelle, laser,…) (11).
Résumé
Méthodologie
Revue systématique avec méta-analyse
Sources consultées
- PubMed Medline, Web of Science, Scopus, CINAHL Complete, PEDRO (Physiotherapy Evidence Database), littérature grise, documents spécialisés.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion :
- essais randomisés contrôlés ou essais pilotes randomisés
- patients atteints de troubles temporomandibulaires diagnostiqués sur base de : Research Diagnostic Criteria for Temporomandibular Disorders assessment, imagerie par résonnance magnétique ou sur base de l’expérience clinique
- comparant deux groupes :
- intervention : exercices thérapeutiques temporomandibulaires
- comparateur : pas de thérapie ou thérapie différente (thérapie manuelle, conseils, éducation thérapeutique, etc.)
- et donnant des résultats quantitatifs sur des critères de jugement intéressants pouvant être exploités dans une méta-analyse
- critères d’exclusion : essais randomisés contrôlés parlant de patients atteints de troubles temporomandibulaires avec d’autres pathologies ; patients diagnostiqués avec un cancer de la nuque ou de la tête ayant des répercussions temporomandibulaires ; études dont les résultats ne sont pas exploitables dans une méta-analyse
- au total, 16 études réalisées entre 2001 et 2021 ont été sélectionnées s’étant déroulées en Asie, Europe, Australie et en Amérique.
Population étudiée
- 812 patients présentant des troubles temporomandibulaires souffrant de douleurs et de difficultés pour ouvrir et fermer la bouche de façon active et passive ; âge moyen de 29,01 ans (+/-7,64 ans) dont 77% de femmes ; avec différents troubles temporomandibulaires dont le plus fréquent est le déplacement du disque temporomandibulaire avec ou sans réduction.
Mesure des résultats
- critères de jugement
- douleur temporomandibulaire : mesurée à l’aide de 3 échelles : Visual Analogue Scale (VAS), Numeric Pain Rating Score et physical pain dimension of Oral Health Impact Profile short form
- seuil de pression douloureuse : mesuré à l’aide d’un algomètre
- ouverture et fermeture maximales de la bouche : mesurées par la distance, en mm, entre les incisives supérieures et inférieures
- pour estimer l’effet des interventions, la différence de moyenne standardisée de Cohen a été utilisée, avec un intervalle de confiance à 95% : pas d’effet = 0 ; petit effet = 0,2 ; effet modéré = 0,5 et effet large >0,8
- des analyses de sensibilité utilisant la méthode « leave-one-out » ont pour but d’évaluer la contribution des différentes études sur l’effet global groupé
- enfin, des analyses en sous-groupes ont été réalisées pour mesurer l’effet des exercices thérapeutiques quand ils sont utilisés seuls ou associés à d’autres méthodes, en comparaison aux autres méthodes.
Résultats
- les exercices thérapeutiques temporomandibulaires montrent des résultats statistiquement significatifs pour :
- réduire la douleur : SMD de -0,58 avec IC à 95% de -1,01 à -0,12 ; p = 0,014 ; I2 = 8%
- augmenter le seuil de pression douloureuse : SMD de 0,45 avec IC à 95% de 0,14 à 0,76 ; p = 0,005 ; I2 = 0%
- amélioration de l’ouverture et la fermeture maximales (active et passive) de la bouche : SMD de 0,43 avec IC à 95% de 0,14 à 0,71 ; p = 0,003 et SMD de 0,4 avec IC à 95% de 0,06 à 0,75 ; p=0,022 ; I2 = 9,83%
- les analyses en sous-groupes montrent que :
- des exercices thérapeutiques temporomandibulaires associés au port d’une gouttière ont un effet plus significatif que le port de la gouttière seul, sur la douleur (SMD de -0,5 avec IC à 95% de -0,73 à -0,26) et l’ouverture/fermeture maximales de la bouche (SMD de 1,14 avec IC à 95% de 0,22 à 2,07 et SMD de 0,56 avec IC à 95% de 0,06 à 1,06)
- les exercices thérapeutiques temporomandibulaires montrent des résultats statistiquement significatifs comparés aux autres approches physiothérapeutiques (thérapie manuelle, électro-thérapie), concernant le seuil de la douleur (SMD de 0,48 avec IC à 95% de 0,09 à 0,87).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les exercices thérapeutiques temporomandibulaires sont efficaces pour réduire la douleur, améliorer le seuil de pression douloureuse ainsi que l’ouverture et la fermeture active et passive maximales de la bouche, chez des patients atteints de troubles temporomandibulaires.
Financement de l’étude
Aucun n’est mentionné
Conflits d’intérêts des auteurs
Aucun n’est mentionné.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique. Pour la construire, les auteurs ont utilisé le guide PRISMA et la deuxième édition du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions. De plus, le protocole a été prépublié dans la base de données Prospero. Deux auteurs ont recherché des études dans 5 bases de données différentes. Ensuite, les titres des articles ont été passés en revue, les données ont été sélectionnées et un 3ème auteur est intervenu en cas de désaccord. Deux autres auteurs ont par la suite évalué le risque de biais à l’aide de l’échelle PEDro. Deux auteurs ont réalisé la méta-analyse avec le logiciel Comprehensive Meta-analysis 3.0. Ils ont utilisé un modèle à effet aléatoire pour estimer l’effet des interventions à l’aide d’une différence de moyenne standardisée (intervalle de confiance à 95%). Le test d’Eggers a également servi à écarter les risques de biais de publication et l’I² a été utilisé pour calculer l’hétérogénéité des études. Le niveau des preuves a été évaluée avec GRADE. Notons que les critères d’inclusion et d’exclusion sont clairs et précis. De plus, les études choisies proviennent de presque tous les continents, sauf de l’Afrique. Les tests I² ne mettent pas en évidence une importante hétérogénéité entre les études. Il nous semble cependant qu’il existe des différences en termes de durée thérapeutique. En effet, cela va de 2 à 3 séances par jour à 2 séances par semaine, pour une durée variant de 1 à 3 mois.
Évaluation des résultats
Le seuil de pertinence clinique de réduction de la douleur est fixé à une réduction minimale de 0,9 point sur une échelle VAS de 10 points et les résultats ont constaté une réduction de 1 point (avec IC à 95% de -1,67 à -0,29; p = 0,005), ce qui se traduit par un effet modéré des exercices temporomandibulaires. Ce résultat est basé sur 11 études. Il en est de même pour l’efficacité sur le seuil de pression douloureuse. Ces résultats sont néanmoins à considérer avec plus de prudence vu le faible nombre d’études incluses (N=4). Les résultats observés sur l'ouverture/fermeture maximales de la bouche montrent également un effet modéré et sont renforcés par les analyses de sous-groupe (N=10). Les auteurs ne signalent pas de différences statistiques entre les groupes quant aux caractéristiques des patients inclus.
Dans le contexte belge, ce type de thérapie est tout à fait transférable. De nuit, il est fréquent que les logopèdes (ou dentistes/orthodontistes) proposent aux patients le port d’une gouttière, pour réduire passivement les symptômes. Mais de jour, afin de travailler activement et consciemment sur l’articulation temporomandibulaire, des exercices réguliers peuvent être proposés aux patients pour soulager la douleur et rendre les mouvements plus souples/fluides. Des conseils de prévention peuvent également être prodigués à d’autres patients qui seraient susceptibles de développer des troubles, suite à de mauvaises habitudes / parafonctions (mâcher du chewing-gum, serrage dentaire, bruxisme, etc.). Ceci est d’ailleurs monnaie courante dans les cabinets de logopédie, même si les troubles de l’articulation temporomandibulaire semblent plutôt dévolus aux kinésithérapeutes. En effet, ce trouble peut être considéré comme un trouble de la sphère orofaciale (pris en charge par des logopèdes), et/ou comme un trouble articulatoire (pris en charge par les kinésithérapeutes). Chez les logopèdes belges, ces exercices peuvent être proposés dans le cadre d’une prise en charge myofonctionnelle. L’INAMI permet aux patients de bénéficier une fois dans leur vie de 20 séances de rééducation myofonctionnelle remboursées. Ces séances visent à corriger les fonctions liées à la langue, la respiration, la déglutition et l’articulation qui risqueraient de nuire à la bonne croissance et au bon fonctionnement des mâchoires, ainsi qu’au positionnement correct de la dentition (en partenariat avec un dentiste/orthodontiste).
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Ni Ebpracticenet, ni WOREL, ni l’ASHA (American Speech Language Hearing Association) ne contiennent de guides de pratique relatifs aux troubles de l’articulation temporomandibulaire. Puisque cela n’apparait pas dans les ressources de l’ASHA, cela signifie que les logopèdes ne sont pas considérés comme professionnels de santé prenant en charge ce trouble (en Amérique, du moins). Bien que les troubles temporomandibulaires coexistent régulièrement avec des troubles oromyofonctionnels, pris en charge par les logopèdes, il semble que la kinésithérapie soit plus à même de traiter les troubles en question.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre que les exercices thérapeutiques temporomandibulaires dans le cadre d’un trouble de l’articulation temporomandibulaire permettent de réduire la douleur, d’augmenter le seuil de pression douloureuse et d’augmenter l’ouverture et la fermeture maximales, active et passive, de la bouche. De plus, ces exercices associés au port d’une gouttière se montrent plus efficaces que la gouttière seule ou que d’autres méthodes de physiothérapie. Cela permet de confirmer l’intérêt de la prise en charge active de ces troubles.
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Auteurs
Levaux E.
logopède
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
K07
D82
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