Analyse


Effet bénéfique des statines en cas d’insuffisance rénale chronique sans épuration extra-rénale


27 06 2024

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Tunnicliffe DJ, Palmer SC, Cashmore BA, et al. HMG CoA reductase inhibitors (statins) for people with chronic kidney disease not requiring dialysis. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD007784.pub3


Question clinique
Quels sont les bénéfices et les inconvénients des statines par rapport à un placebo, à l'absence de traitement, aux soins standards ou à une autre statine chez les adultes atteints d'insuffisance rénale chronique ne nécessitant pas de dialyse ?


Conclusion
Les auteurs ont conclu que des preuves de qualité moyenne à élevée soutiennent actuellement l’utilisation généralisée des statines chez les personnes atteintes d’IRC non dialysées afin de prévenir les décès et les événements cardiovasculaires, y compris les personnes sans maladie cardiovasculaire existante. Les statines réduisent les décès et les événements cardiovasculaires, y compris les infarctus du myocarde, bien que les effets sur le risque d'accident vasculaire cérébral soient moins certains. Traiter 1 000 personnes atteintes d’IRC non dialysées pourrait prévenir 32 événements cardiovasculaires majeurs et 10 décès sur un an. Les statines ont des effets incertains sur la progression de l’IRC et ne peuvent pas être recommandées pour ralentir la progression de l’IRC. Actuellement, la toxicité des statines pour les personnes atteintes d'IRC fait l'objet d'études mal caractérisées, et cela doit être reconnu au début du traitement. Pour Minerva, malgré sa mise à jour révélant en dix ans un nombre limité de nouvelles données, cette revue de la Collaboration Cochrane ne change pas la pratique antérieure, à savoir le bénéfice de l’administration de statines chez des sujets en insuffisance rénale, avec ou sans facteurs de risque cardiovasculaire identifiés.


Contexte

Les maladies cardiovasculaires sont la cause de décès la plus fréquente chez les personnes atteintes d’une maladie rénale chronique (IRC), avec un risque absolu d’événements cardiovasculaires similaire à celui des personnes atteintes d’une maladie coronarienne. Minerva a revu en 2014 (1,2) une méta-analyse montrant un bénéfice de l’administration de statines chez des sujets en insuffisance rénale, avec ou sans facteurs de risque cardiovasculaire identifiés. Le bénéfice était de moindre ampleur et moins précis en cas d’insuffisance rénale plus sévère. Dix ans plus tard, une mise à jour de cette revue systématique avec méta-analyse a été publiée (3).

 

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique de la littérature (sans restriction linguistique). 

 

Sources consultées

  • via le Cochrane Kidney and Transplant Register of Studies
    • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL)
    • MEDLINE OVID SP
    • EMBASE OVID SP
    • International Clinical Trials Registry Platform (ICTRP) Search Portal et ClinicalTrials.gov
  • consultation des revues de néphrologie et de transplantation
  • recherche d’autres études issues des références dans les articles sélectionnés et de consultation d’experts.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion
    • essais contrôlés randomisés (RCTs) et quasi-RCT (RCT dans lesquels l'attribution du traitement a été obtenue par alternance, utilisation d'autres dossiers médicaux, date de naissance ou autres méthodes prévisibles) 
    • évaluation des bénéfices et inconvénients des statines 
    • adultes atteints d'IRC (débit de filtration glomérulaire estimé de 90 à 15 ml/min/1,73 m², y compris les patients présentant des anomalies urinaires persistantes – protéinurie ou albuminurie – ou une maladie rénale structurelle avec une fonction rénale normale) 
    • comparaison des statines à un placebo, aux soins standard sans traitement par statine ou à une autre statine
  • critères d’exclusion 
    • patients sous dialyse rénale
    • greffés rénaux
    • études d'une durée inférieure à huit semaines
    • comparaison de la statine à une stratégie hypolipidémiante différente, incluant un traitement par les fibrates et l'ézétimibe.

 

Population étudiée

  • patients en insuffisance rénale chronique ne nécessitant pas d’épuration extra-rénale
  • les revues Cochrane précédentes avaient identifié 47 études (39738 participants) ayant comparé un traitement par statine à un placebo ou à l'absence de traitement, et trois (5547 participants) une statine à une autre. ; la mise à jour a identifié 13 nouvelles études éligibles
  • au total, 53 études (42752 participants) ont comparé le traitement par statines à un placebo ou à l'absence de traitement, 9 (7851) les statines à dose élevée et faible randomisés) et une (122) les statines à libération continue aux statines à libération intermittente.

 

Mesure des résultats

  • mesures des résultats primaires : 
    • événements cardiovasculaires majeurs
    • décès
    • rhabdomyolyse
  • mesures des résultats secondaires : 
    • décès cardiovasculaire
    • infarctus du myocarde (mortel et non mortel)
    • accident vasculaire cérébral (mortel et non mortel)
    • hospitalisation pour insuffisance cardiaque
    • insuffisance rénale
    • doublement de la créatinine sérique 
    • lésion rénale aiguë 
    • créatine kinase élevée
    • enzymes hépatiques élevées
    • retrait de l’étude en raison d'événements indésirables
    • cancer
    • début du diabète
    • procédure de revascularisation
    • clairance de la créatinine ou DFG de fin de traitement (toute mesure)
    • protéinurie de fin de traitement
    • taux de lipides sériques :
      • cholestérol total
      • cholestérol à lipoprotéines de basse densité (LDL)
      • cholestérol à lipoprotéines de haute densité (HDL)
      • triglycérides
    • fatigue
    • impact sur la vie quotidienne
    • perte de mémoire.

 

Résultats

  • statine versus placebo :
    • résultats primaires : 
      • réduction par les statines des événements cardiovasculaires majeurs (14 études, 36156 participants) avec un RR de 0,72 avec IC à 95% de 0,66 à 0,79 ; I² = 39% ; preuve de qualité élevée 
      • réduction de décès (13 études, 34978 participants) avec un RR de 0,83 avec IC à 95% de 0,73 à 0,96 ; I² = 53% ; preuve de qualité élevée)
      • effet incertain sur la rhabdomyolyse (2 études, 2618 participants) avec RR de 3,07 avec IC à 95% de 0,13 à 75,37 ; preuve de très faible qualité
    • résultats secondaires : 
      • réduction décès cardiovasculaire (8 études, 19112 participants) : RR de 0,77 avec IC à 95% de 0,69 à 0,87 ; I² = 0% ; données probantes de haute qualité 
      • réduction infarctus du myocarde (10 études, 9475 participants) : RR de 0,55 avec IC à 95% de 0,42 à 0,73 ; I² = 0% ; preuve de qualité modérée
      • peu ou pas d’effet sur l'AVC (7 études, 9115 participants) : RR de 0,64 avec IC à 95% de 0,37 à 1,08 ; I² = 39% ; données probantes d'un niveau de confiance modéré) et sur l'insuffisance rénale (3 études, 6704 participants : RR de 0,98 avec IC à 95% de 0,91 à 1,05 ; I² = 0% ; preuve de qualité modérée 
      • toxicité : analyse limitée par manque de rapports systématiques
  • statine à dose élevée ou faible
    • peu ou pas d'effet :
      • sur les événements cardiovasculaires majeurs (2 études, 3226 participants) avec RR de 1,17 avec IC à 95% de 0,25 à 5,55 ; I² = 59% ; données probantes d'un niveau de confiance faible 
      • sur la mortalité (3 études, 3465 participants) avec RR de 1,05 avec IC à 95% de 0,29 à 3,83 ; I² = 56% ; données probantes d’un niveau de confiance faible
    • aucun événement de rhabdomyolyse n’a été signalé
  • statine versus une autre statine
    • 7 études disponibles 
    • méta-analyse non réalisée car trois études ou plus n'étaient pas disponibles pour chaque comparaison.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les statines réduisent les décès et les événements cardiovasculaires majeurs d'environ 20% et ne font probablement aucune différence en termes d'accident vasculaire cérébral ou d'insuffisance rénale chez les personnes atteintes d'IRC ne nécessitant pas de dialyse. Cependant, en raison du nombre limité de rapports, l'effet des statines sur une créatinine kinase élevée ou une rhabdomyolyse n'est pas clair. Les statines jouent un rôle important dans la prévention primaire des événements cardiovasculaires et des décès chez les personnes atteintes d'IRC et ne nécessitant pas de dialyse.

 

Financement de l’étude

Aucune source rapportée.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Deux auteurs rapportent des liens avec l’industrie pharmaceutique. 

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie 

Les auteurs ont utilisé pour leur revue systématique la méthodologie Cochrane. Ils ont inclus des études dites quasi randomisées dans lesquelles l'attribution du traitement a été obtenue par alternance, utilisation d'autres dossiers médicaux, date de naissance ou autres méthodes prévisibles. Il n’y a pas eu d’analyse de sous-groupe comparant ces études aux autres. C’est une source de biais potentiel. L'extraction des données a été réalisée indépendamment par 2 auteurs à l'aide de Robot Reviewer (https://www.robotreviewer.net/). Cette extraction a été vérifiée indépendamment par les auteurs à l'aide de formulaires d'extraction de données standard.
Les risques de biais ont été évalués indépendamment par deux auteurs à l’aide de l’outil Cochrane d’évaluation du risque de biais. La plupart des études avaient des rapports limités et présentaient donc un risque de biais incertain dans la plupart des domaines. L'hétérogénéité des études a été évaluée par inspection visuelle (« forest plot ») et quantifiée à l'aide de la statistique I². L’approche GRADE (Grades of Recommendation, Assessment, Development and Evaluation) a été utilisée pour évaluer la qualité d'un ensemble de preuves. 

 

Évaluation des résultats

La revue a inclus un total de 63 études (50725 patients) avec seulement 13 nouvelles études amenées par la mise à jour et une dizaine de pourcents de patients en plus pour les analyses. Les auteurs n’ont pas analysé la contribution des nouvelles études par rapport aux anciennes. Compte tenu du risque de base estimé que les personnes atteintes d'IRC n'aient pas besoin de dialyse, les auteurs ont calculé que les statines administrées à 1000 personnes atteintes d'IRC pendant un an préviennent 32 événements cardiovasculaires majeurs, 10 décès toutes causes confondues et sept IM non mortels ou mortels.
Les objectifs fixés à la présente analyse – primaire comme la rhabdomyolyse ou secondaires très multiples – n’ont pas pu être tous atteints faute de données vu le peu de nouvelles études. On peut se poser la question d’ailleurs de l’utilité réelle de cette mise à jour de la revue systématique. L’hétérogénéité et la faiblesse des échantillons et le peu de comparaisons pertinentes ne permettent pas de répondre à des questions pratiques comme le choix d’une statine en particulier et ou le dosage à utiliser. Les auteurs n’ont pas pu fournir non plus beaucoup de renseignements sur la toxicité d’un traitement au long cours par statine chez le patient en IRC non dialysé. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La conférence de consensus de l’INAMI de 2014 (4) avait abordé spécifiquement le sujet et conclu que « les patients présentant une insuffisance rénale modérée à grave sont considérés comme des patients à haut risque et doivent être traités en conséquence (GRADE C, forte recommandation). Il faut éviter de hautes doses de statines et le fénofibrate est contrindiqué (GRADE C, forte recommandation). Lorsqu’on décide de commencer une thérapie, il faut tenir compte du profil du patient (espérance de vie, état nutritionnel, comorbidité…) et d’autres facteurs de risque, lesquels doivent être abordés correctement ».

 

 

Conclusion de Minerva

Les auteurs ont conclu que des preuves de qualité moyenne à élevée soutiennent actuellement l’utilisation généralisée des statines chez les personnes atteintes d’IRC non dialysées afin de prévenir les décès et les événements cardiovasculaires, y compris les personnes sans maladie cardiovasculaire existante. Les statines réduisent les décès et les événements cardiovasculaires, y compris les infarctus du myocarde, bien que les effets sur le risque d'accident vasculaire cérébral soient moins certains. Traiter 1 000 personnes atteintes d’IRC non dialysées pourrait prévenir 32 événements cardiovasculaires majeurs et 10 décès sur un an. Les statines ont des effets incertains sur la progression de l’IRC et ne peuvent pas être recommandées pour ralentir la progression de l’IRC. Actuellement, la toxicité des statines pour les personnes atteintes d'IRC fait l'objet d'études mal caractérisées, et cela doit être reconnu au début du traitement. Pour Minerva, malgré sa mise à jour révélant en dix ans un nombre limité de nouvelles données, cette revue de la Collaboration Cochrane ne change pas la pratique antérieure, à savoir le bénéfice de l’administration de statines chez des sujets en insuffisance rénale, avec ou sans facteurs de risque cardiovasculaire identifiés.

 

 


Références 

  1. Rédaction de Minerva. Statines et insuffisance rénale. Minerva Analyse15/02/2014.
  2. Hou W, Lv J, Perkovic V, et al. Effect of statin therapy on cardiovascular and renal outcomes in patients with chronic kidney disease: a systematic review and meta-analysis. Eur Heart J 2013;34:1807-17. DOI: 10.1093/eurheartj/eht065
  3. Tunnicliffe DJ, Palmer SC, Cashmore BA, et al. HMG CoA reductase inhibitors (statins) for people with chronic kidney disease not requiring dialysis. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD007784.pub3
  4. INAMI. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Réunion de consensus - 22 mai 2014. Conclusions. Rapport du jury - Texte court. Disponible sur: https://www.riziv.fgov.be/fr/publication/reunions-de-consensus-rapports-du-jury

 




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