Analyse
Interventions non médicamenteuses en prévention ou comme traitement du délire chez les personnes âgées
25 10 2024
Professions de santé
Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
Le délire est un trouble aigu de l’attention et de la conscience, dont la gravité fluctue, avec des altérations cognitives (troubles de la mémoire, troubles de l’orientation, troubles du langage) et des altérations de la perception (hallucinations) (1). Le traitement du délire suppose d’avoir recherché et traité la ou les causes sous-jacentes. Le délire peut être causé par des sédatifs, des anticholinergiques (neuroleptiques, antihistaminiques, antidépresseurs tricycliques, antiparkinsoniens) et des opioïdes. La première étape du traitement consiste donc à arrêter le médicament en cause et à prendre en charge les autres causes sous-jacentes (telles que les infections, les douleurs non traitées, la rétention urinaire, le fécalome, les troubles de l’audition et de la vision) (1). Les neuroleptiques, en particulier l’halopéridol, ne doivent être utilisés qu’en cas d’anxiété, de délire et d’agitation motrice sévère (1). D’après les résultats d’une étude randomisée contrôlée par placebo, multicentrique, menée en double aveugle, Minerva a conclu que la rispéridone et l’halopéridol étaient déconseillés dans le traitement du délire léger à modéré chez les patients en soins palliatifs (2,3). Les interventions de première intention recommandées sont des interventions non pharmacologiques (1) ; une récente revue parapluie a tenté de résumer les preuves de ces interventions (4).
Résumé
Méthodologie
Revue parapluie (5).
Sources consultées
- Medline, Cochrane Library, EMBASE, CINAHL, PsycINFO, la base de données JBI EBP, SinoMed de Chine, les banques de données chinoises China National Knowledge Infrastructure (CNKI) et Wangfang, depuis leur création jusqu’au 2 décembre 2022
- les listes de référence des études incluses, des thèses universitaires, des rapports de congrès
- pas de restriction en ce qui concerne la langue et la date de publication.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : PICOS
- P pour « Participants » : patients ≥ 60 ans présentant un délire ou un risque de délire
- I pour « Intervention » : interventions non pharmacologiques à une seule composante ou à plusieurs composantes
- C pour « Comparison » (comparaison) : prise en charge habituelle, prise en charge standard, autres interventions
- O pour « Outcome » (critères de jugement) : l’incidence, la durée et/ou la sévérité du délire
- S pour « Study design » (conception de l’étude) : synthèse méthodique, méta-analyse, synthèse méthodique avec méta-analyse
- exclusion des protocoles et des études en cours
- finalement, inclusion de 24 synthèses méthodiques (dont 14 avec méta-analyse) publiées entre 2005 et 2021 ; avec inclusion de 2 à 243 études primaires (études randomisées en grappes (RCTs), études cliniques contrôlées, études randomisées appariées, études pré-post, études de cohortes prospectives et rétrospectives, études quasi-expérimentales, études à groupes parallèles) ; 11 synthèses méthodiques incluaient uniquement des RCTs ;
- en ce qui concerne les interventions :
- 17 synthèses méthodiques incluaient uniquement des interventions à plusieurs composantes
- 1 incluait uniquement des interventions à une seule composante
- 6 incluaient tant des interventions à une seule composante que des interventions à plusieurs composantes
- les interventions à une ou plusieurs composantes comprenaient la réorientation, l’activité physique, la mobilisation précoce, l’évaluation gériatrique, la surveillance des médicaments, une alimentation et une hydratation adéquates, la formation du personnel soignant, l’aide à la décision clinique, l’optimisation des rythmes normaux de sommeil et d’éveil, l’utilisation de bouchons d’oreille, la luminothérapie et la musicothérapie.
- en ce qui concerne les interventions :
Population étudiée
- patients âgés (n = 745 à 12339 par synthèse méthodique), ayant en moyenne de > 60 à 85 ans, présentant un délire ou un risque de délire, généralement hospitalisés (en unité de soins intensifs, en chirurgie, en gériatrie) et, moins fréquemment, admis dans un établissement de soins de longue durée.
Mesure des résultats
- principaux critères de jugement :
- incidence du délire
- durée du délire
- gravité du délire
- critères de jugement secondaires : durée de l’hospitalisation, mortalité, statut cognitif, statut fonctionnel, chutes, escarres, infections urinaires, admission dans un établissement de soins de longue durée
- les résultats sont présentés sous forme de synthèse narrative basée sur les types d’intervention, y compris les interventions à plusieurs composantes et à une seule composante.
Résultats
- résultats des critères de jugement primaires :
- dans 21 des 23 synthèses méthodiques portant sur l’effet des interventions à plusieurs composantes, l’incidence du délire a diminué, passant de 27 à 54% ; on a observé une diminution de l’incidence du délire avec les interventions à plusieurs composantes, par comparaison avec la prise en charge habituelle, dans 3 synthèses méthodiques de qualité élevée (RC de 0,56 avec IC à 95% de 0,42 à 0,76 jusqu’à RR de 0,71 avec IC à 95% de 0,60 à 0,84) ; chaque fois avec un niveau de preuve modéré)
- pas d’effet constant des interventions à plusieurs composantes sur la diminution de la durée (N = 13) et de la sévérité (N = 7) du délire
- pour la plupart des interventions à une seule composante, les données disponibles étaient insuffisantes pour évaluer leur effet sur l’incidence du délire
- résultats des critères de jugement secondaires :
- résultats contradictoires des interventions à plusieurs composantes en ce qui concerne la durée de l’hospitalisation, l’état cognitif et l’état fonctionnel, l’admission dans un établissement de soins de longue durée, les chutes et les escarres
- aucun effet des interventions à plusieurs composantes sur la mortalité n’a été démontré.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les interventions non médicamenteuses réduisent l’incidence du délire et améliorent d’autres aspects de la santé des patients âgés. Des preuves supplémentaires sont nécessaires pour confirmer l’effet sur la durée et la sévérité du délire.
Financement de l’étude
Cette étude a partiellement été financée par le « National Natural Science Foundation », le « Scientific Research Program of Human Provincial Health Commission » et l’ « Innovative Construction Project Of Human Province », tous de Chine.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs ne déclarent aucun intérêt financier connu ni aucune relation personnelle qui aurait pu influencer l’élaboration de cet article.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Comme les précédentes synthèses méthodiques étaient de qualité variable et que leurs résultats étaient contradictoires, et comme il existe une grande diversité d’interventions non médicamenteuses pour le traitement et la prévention du délire, il était certainement utile de réaliser une revue parapluie à ce sujet (5). Le protocole de l’étude a été publié au préalable sur PROSPERO. La recherche dans la littérature est décrite en détail, avec indication des critères d’inclusion et d’exclusion. La procédure de sélection, l’évaluation de la qualité et l’extraction des données ont été effectuées par deux évaluateurs indépendants, et, en cas de désaccord, un troisième chercheur était consulté. Les synthèses méthodiques sélectionnées étant très hétérogènes en termes de conception des d’études incluses, de contextes (ambulatoire, résidentiel et hospitalier), d’interventions étudiées (à une seule composante et à plusieurs composantes avec différents contenus) et de contrôles, il n’a pas été possible d’effectuer une méta-analyse, mais il a seulement été possible d’effectuer une synthèse narrative des résultats, en distinguant les interventions à une seule composante et les interventions à plusieurs composantes.
La qualité des synthèses méthodiques a été évaluée à l’aide de l’outil AMSTAR2. Seules 4 synthèses méthodiques ont reçu un label de qualité élevé, 9 un label de qualité faible et 11 un label de qualité extrêmement faible. Cela peut avoir eu un effet négatif sur la fiabilité des résultats.
Comme les résultats ont été extraits des revues sélectionnées et non des études primaires, il se peut que nous devions nous passer de beaucoup d’informations importantes. Ainsi, on ne sait pas comment les résultats ont été mesurés dans les différentes études. Contrairement aux interventions à une seule composante, les interventions à plusieurs composantes n’ont pas permis d’évaluer le degré de chevauchement des résultats des études primaires.
Évaluation des résultats
Les interventions à plusieurs composantes semblent réduire l’incidence du délire. Ce résultat peut être considéré comme fiable car il était cohérent dans 4 synthèses méthodiques de qualité élevée, dont deux synthèses méthodiques Cochrane (6,7). Traduire en pratique ce résultat n’est toutefois pas simple. À part le fait qu’il s’agit de personnes âgées de plus de 60 ans présentant un délire ou un risque de délire, nous ne savons pas grand-chose sur les autres caractéristiques des populations incluses. Il s’agit généralement de personnes hospitalisées, et il est donc difficile d’extrapoler à un environnement de première ligne. Il n’est pas non plus possible de savoir quels composantes spécifiques ont contribué au résultat final. En outre, il n’est pas toujours évident de déterminer dans quelle mesure les interventions à plusieurs composantes diffèrent de la prise en charge habituelle ou d’une situation de contrôle. Pensez, par exemple, à la consultation gériatrique (évaluation gériatrique complète + recommandations pour la suite des soins) ou à l’ergothérapie pour prévenir le délire.
Pour la plupart des interventions à une seule composante, les données disponibles étaient insuffisantes pour évaluer leur effet sur l’incidence du délire. Les chercheurs ont tenté d’examiner de plus près l’effet de certaines interventions à une seule composante. Ainsi, l’activité physique (mobilisation précoce, mobilisation générale, thérapie par l’exercice) a permis de réduire l’incidence du délire (RC de 0,46 avec IC à 95% de 0,32 à 0,65). Par ailleurs, un système automatisé de détection des médicaments susceptibles de déclencher un délire et des chutes, le logiciel Geriatric Risk Assessment MedGuide (GRAM), a permis de réduire l’incidence du délire dans les maisons de repos et de soins, par comparaison avec la prise en charge habituelle (RC de 0,42 avec IC à 95% de 0,35 à 0,50 ; niveau de preuve modéré). Ces résultats sont basés sur une étude randomisée par grappes (8) incluse dans deux synthèses méthodiques. Trois synthèses méthodiques ont montré que la réorientation réduisait l’incidence du délire (RR de 0,63 avec IC à 95% de 0,44 à 0,91). Ce résultat s’appuyait chaque fois sur une même étude clinique randomisée à fort risque de biais, de sorte que le niveau de preuve est estimé comme étant très faible. Une autre méta-analyse en réseau a néanmoins montré un résultat similaire pour la réorientation (RC de 0,32 avec IC à 95% de 0,11 à 0,89).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Peu de guides de pratique pour la première ligne sur la prévention et le traitement du délire ont été élaborés récemment. Les recommandations de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) « Délire » (2020) (9) préconisent en premier lieu de rechercher les facteurs de risque et les causes possibles (y compris les médicaments), de les traiter adéquatement et de veiller à la sécurité. L’approche non médicamenteuse suivante est conseillée : mise en place de repères (horloge), visites par des personnes de connaissance, utilisation correcte des lunettes et des aides auditives, mobilisation (dès que possible), chambre reposante et bien éclairée, rythme jour-nuit normal. En cas d’agitation motrice sévère, l’halopéridol peut être utilisé (pour une durée maximale d’une semaine) à la dose efficace la plus faible. Cette recommandation cadre avec les informations contenues dans le formulaire de soins aux personnes âgées (1). Dynamed (10) affirme que la prévention et le traitement du délire chez les personnes âgées se recoupent largement et consistent en grande partie en des interventions non médicamenteuses, en plus de l’attention portée à la limitation ou à l’évitement des médicaments susceptibles de déclencher ou d’exacerber le délire. Les interventions non médicamenteuses efficaces énumérées ici comprennent l’évitement des sondes vésicales et des cathéters intraveineux (si possible), la réorientation fréquente par le personnel infirmier et les visiteurs, l’utilisation correcte des lunettes et des prothèses auditives, l’hydratation et l’importance accordée à une bonne hygiène du sommeil.
Conclusion de Minerva
Cette revue parapluie de synthèses méthodiques montre que l’incidence du délire diminue avec des interventions à plusieurs composantes chez les personnes âgées hospitalisées ou admises dans un établissement de soins de longue durée. Ces résultats sont difficilement extrapolables à la pratique en raison de l’hétérogénéité des interventions, des groupes de contrôle, des conceptions d’étude, des populations étudiées et des contextes. Comme c’est généralement le cas avec les revues parapluies, les résultats sont principalement des hypothèses pour une prochaine étude.
- Delirium. Formularium Ouderenzorg. Literatuur geraadpleegd tot: 31/01/2017. URL:
https://farmaka.bcfi.be/nl/formularium/158#main (uniquement en Néerlandais, dernière consultation le 27/07/2024.) - Pype P. Rispéridone et halopéridol en traitement du délire en soins palliatifs : plus d’inconvénients que d’avantages. Minerva Analyse 14/07/2017.
- Agar MR, Lawlor PG, Quinn S, et al. Efficacy of oral risperidone, haloperidol, or placebo for symptoms of delirium among patients in palliative care: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2017;177:34-42. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.7491
- Zhao Q, Liu S, Zhao H, et al. Non-pharmacological interventions to prevent and treat delirium in older people: an overview of systematic reviews. Int J Nurs Stud 2023;148:104584. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2023.104584
- Poelman T. La revue parapluie est-elle au sommet de la pyramide ? MinervaF 2022;21(6):150-3.
- Burton JK, Craig LE, Yong SQ, et al 2021. Non-pharmacological interventions for preventing delirium in hospitalised non-ICU patients. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD013307.pub3
- Woodhouse R, Burton JK, Rana N, et al. Interventions for preventing delirium in older people in institutional long-term care. Cochrane Database Syst. Rev 2019, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD009537.pub3
- Lapane KL, Hughes CM, Daiello LA, et al. Effect of a pharmacist-led multicomponent intervention focusing on the medication monitoring phase to prevent potential adverse drug events in nursing homes. J Am Geriatr Soc 2011;59:1238-45. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2011.03418.x
- Eizenga WH, Dautzenberg PLJ, Eekhof JA, et al. Delirium. NHG-Standaard (M77). Gepubliceerd: april 2014. Laatste aanpassing: mei 2020. URL: https://richtlijnen.nhg.org/standaarden/delier#samenvatting-richtlijnen-beleid (dernière consultation le 06/08/2024.)
- Delirium in older adults. DynaMed. Updated 29 May 2024. URL: https://www.dynamed.com/condition/delirium-in-older-adults (Dernière coonsultation le 06/08/2024.)
Auteurs
Wens J.
Vakgroep FAMPOP (Family Medicine and Population Health), Universiteit Antwerpen
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
outil AMSTAR 2Code
F05
P71
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