Analyse
Rispéridone et halopéridol en traitement du délire en soins palliatifs : plus d’inconvénients que d’avantages
En soins palliatifs, les traitements sont souvent instaurés sur extrapolation à partir de la pratique médicale générale, avant même que leur efficacité et leur sécurité ne soient avérées dans le contexte des soins palliatifs. Minerva a récemment commenté une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration portant sur les corticostéroïdes pour traiter la douleur cancéreuse (1,2). Cette étude montrait qu’il existe peu de preuves de l’utilité des corticostéroïdes dans cette indication malgré leur utilisation largement répandue dans la pratique et mentionnée dans différents guides de pratique clinique (3). Un autre exemple est l’utilisation généralement acceptée des neuroleptiques dans le traitement du délire grave chez les patients en soins palliatifs (3,4) pour lesquels il manque de preuves quant à leur efficacité et leur sécurité dans différentes indications chez l’adulte (5-8).
Une récente étude multicentrique randomisée, contrôlée, menée en double aveugle a examiné l’efficacité de la rispéridone et de l’halopéridol dans le traitement du délire chez les patients en soins palliatifs (9). Les investigateurs ont inclus 247 patients dont l’âge moyen était de 74,9 ans (ET 9,8 ans) et dont le score sommé du Nursing Delirium Screening Scale (Nu-DESC, score de symptômes de délire) était en moyenne de 2,6 (ET 1,3). Pendant une période de 72 heures, de la rispéridone, de l’halopéridol ou un placebo a été administré toutes les 12 heures per os à dose progressivement croissante. Les facteurs susceptibles de provoquer un délire ont été pris en charge de manière individualisée (hydratation, dispositifs de correction des troubles de la vue et de l’audition, présence de la famille, réorientation), et si l’agitation devenait trop importante, les patients recevaient du midazolam en sous-cutané. L’analyse en intention de traiter a montré qu’à la fin de l’étude, les participants du bras rispéridone avaient un score des symptômes plus élevé que ceux du groupe placebo, et ce de manière statistiquement significative (en moyenne 0,48 point de plus avec IC à 95% de 0,09 à 0,86 ; p = 0,02). Même constatation faites pour les participants du bras halopéridol versus placebo (en moyenne 0,24 point de plus avec IC à 95% de 0,06 à 0,42 ; p = 0,009). La question est cependant de savoir si ces différences dans les scores des symptômes peuvent être considérées comme cliniquement pertinentes. Pour le calcul de la puissance, les auteurs se basent sur une différence cliniquement pertinente de 1 point, mais sans justifier cette décision. Versus le groupe placebo, les symptômes extrapyramidaux étaient plus importants chez les participants des bras actifs, et ce de manière statistiquement significative, et le midazolam était plus utilisé, également de manière statistiquement significative. A partir de ces résultats, les auteurs concluent à juste titre que les neuroleptiques n’ont pas leur place dans la prise en charge du délire léger à modéré chez les patients en soins palliatifs. Il est donc essentiel que la prise en charge du délire commence par la recherche et le traitement des causes sous-jacentes (4-6). Les facteurs étiologiques à rechercher sont notamment : les médicaments (principalement une modification récente des médicaments ou de la posologie, l’utilisation de médicaments anticholinergiques et de morphine, la polymédication), une sous-alimentation (marquée), la déshydratation, la privation de sommeil, l’immobilité, les troubles de la vue et de l’audition (4-6). Ce n’est qu’en cas d’angoisse, d’agitation, de symptômes psychotiques, d’agitation motrice importante entraînant un danger pour la sécurité du patient que l’utilisation d’halopéridol peut être envisagée à la dose efficace la plus faible possible pendant une durée maximale d’une semaine (4-6).
Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, menée en double aveugle montre que l’ajout de neuroleptiques au traitement du délire léger à modéré dans le cadre des soins palliatifs est à déconseiller. Il est essentiel que la prise en charge du délire commence par la recherche et le traitement des causes sous-jacentes.
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- Voir : www.pallialine.be
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Auteurs
Pype P.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent; End-of-life Care Research Group, VUB-UGent
COI :
Glossaire
Nursing Delirium Screening ScaleCode
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