Analyse
Quelle est l’utilité des applications pour la pleine conscience en cas de symptômes de dépression et d’anxiété ?
Contexte
Dans deux précédentes analyses publiées dans Minerva, l’une sur une étude randomisée contrôlée et l’autre sur une synthèse méthodique avec méta-analyse, nous avons conclu que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience était utile pour la prévention des rechutes chez les personnes qui se sont remises d’une dépression mais qui présentent un risque élevé de récidive (1-4). En outre, nous avons discuté d’une étude randomisée contrôlée menée en simple aveugle qui montrait que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience n’était pas inférieure à l’escitalopram pour réduire la gravité des symptômes chez les personnes souffrant de trouble anxieux généralisé, de trouble panique ou d’anxiété sociale (5,6).
Les applications pour la pleine conscience sont de plus en plus populaires. Elles peuvent compléter ou remplacer la psychothérapie et présentent des avantages tels qu’un coût moins élevé, la garantie de l’anonymat et le fait qu’elles sont utilisables à grande échelle (7). Nous avons déjà traité d’une synthèse méthodique avec méta-analyse montrant que la thérapie cognitivo-comportementale basée sur la cybersanté pouvait réduire les symptômes dépressifs et les symptômes d’anxiété chez les adultes souffrant de dépression (8,9). Depuis la publication de deux méta-analyses qui montraient un effet positif des applications pour la pleine conscience sur les symptômes d’anxiété et de dépression (10,11), un grand nombre de nouvelles études sont venues s’ajouter. Une mise à jour était donc certainement utile dans une nouvelle méta-analyse (12).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse.
Sources consultées
- PsycInfo, Medline, Web of Science, ProQuest ; jusqu’au 18 octobre 2023
- listes de références des études incluses, des revues portant sur les applications en santé mentale
- registres des études cliniques (le registre des essais cliniques d’Australie et de Nouvelle-Zélande (Australian New Zealand Clinical Trials Registry), ClinicalTrials.gov)
- pas d’exclusion dépendant du statut de publication.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : études randomisées contrôlées (RCTs) examinant l’effet que des interventions basées sur la pleine conscience via un smartphone avaient sur les symptômes de l’anxiété ou de la dépression, par comparaison avec un groupe témoin ; la pleine conscience devait être un élément central de l’application ; les groupes témoins pouvaient être passifs (par exemple, liste d’attente, évaluations uniquement) ou actifs (par exemple, psychoéducation, musicothérapie, soins habituels) ou également des traitements psychologiques actifs tels qu’une application de thérapie cognitivo-comportementale ou une thérapie en face-à-face
- finalement, inclusion de 45 études, dont 3 études non publiées ; les applications pour la pleine conscience les plus fréquemment étudiées étaient Headspace (N = 15) et Calm (N = 5) ; concernant les groupes témoins, il s’agissait de listes d’attente (N = 22), de groupes témoins actifs (N = 22 ; tels que psychoéducation, relaxation, entraînement aux mathématiques, écoute de musique...) ou d’interventions psychologiques actives sous la forme d’interventions en face à face (N = 2), de conseils par téléphone (N = 1) ou d’applications d’activation comportementale (N = 1) ; le temps recommandé pour l’utilisation de l’application allait de 5 à 10 minutes par jour (N = 14) à 3 séances par jour (N = 1) ; dans 13 études, les participants ont reçu une compensation financière pour leur participation, à hauteur de 1,5 à 100 dollars ; les mesures de suivi ont été effectuées entre 10 jours et 8 semaines (N = 12) après l’intervention.
Population étudiée
- 8587 participants (de 22 à 1029) ; 14 études ont spécifiquement sélectionné des personnes ayant des antécédents de problèmes de santé mentale tels que dépression, anxiété et stress.
Mesure des résultats
- critères d’évaluation : symptômes de dépression ou d’anxiété rapportés par le patient via des questionnaires validés
- différence moyenne standardisée convertie en g de Hedges.
Résultats
- symptômes de dépression (46 comparaisons, n = 5852) : petite amélioration significative avec les applications pour la pleine conscience, par comparaison avec les groupes témoins passifs et actifs (g de 0,24 avec IC à 95% de 0,17 à 0,31 ; nombre de sujets à traiter (NNT) = 13,57 ; I² = 32%)
- symptômes d’anxiété (48 comparaisons, n = 6082) : petite amélioration significative avec les applications pour la pleine conscience, par comparaison avec les groupes témoins passifs et actifs (g de 0,28 avec IC à 95% de 0,21 à 0,35 ; NNT = 11,47 ; I² = 44%)
- par rapport aux interventions psychologiques actives, les applications pour la pleine conscience n’ont pas eu d’effet significatif sur les symptômes d’anxiété (4 comparaisons, n = 235) et de dépression (3 comparaisons, n = 181)
- analyses de sous-groupes des applications pour la pleine conscience, par comparaison avec les groupes témoins :
- effet modérateur significatif de la compensation financière pour la participation : on a observé des tailles d’effet plus importantes sur les symptômes dépressifs lorsque les participants recevaient une compensation financière (g de 0,34 avec IC à 95% de 0,25 à 0,44) que lorsqu’ils n’en recevaient pas (g de 0,21 avec IC à 95% de 0,13 à 0,30)
- le type de participant (antécédents de problèmes de santé mentale ou non) n’avait pas d’effet modérateur significatif ; il en allait de même avec la durée du suivi (plus de 4 semaines ou moins de 4 semaines), l’application pour la pleine conscience (Headspace, Calm, autre), le type de groupe témoin (actif/passif), le contact avec le ou les investigateurs.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que de plus en plus d’éléments indiquent que les applications pour la pleine conscience peuvent réduire les symptômes de dépression et d’anxiété à court terme. Toutefois, des études de meilleure qualité avec un suivi plus long sont nécessaires.
Financement de l’étude
Deux auteurs mentionnent un financement : subvention aux investigateurs du National Health and Medical Research Council et subvention du National Center for Complementary & Integrative Health of the National Institutes of Health.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse suit un protocole préenregistré. Les mots-clés (termes de recherche) et les sources sont clairement indiqués. En raison de l’étendue des critères d’inclusion et d’exclusion, les études incluses sont cliniquement très hétérogènes en termes de participants, d’applications incluses, de groupes témoins et d’instruments de mesure. Outre cette hétérogénéité clinique, nous constatons également une hétérogénéité statistique modérée. Pour leur méta-analyse, les auteurs utilisent donc un modèle à effets aléatoires.
Le risque de biais est évalué à l’aide de l’outil de la Collaboration Cochrane évaluant le risque de biais. Toutes les études ont utilisé des mesures auto-déclarées des symptômes dépressifs et des symptômes d’anxiété. Puisqu’il n’y avait donc pas de contact direct avec les investigateurs pendant la mesure des résultats, le risque de biais par absence d’insu des évaluateurs a été estimé comme étant faible pour toutes les études. Cependant, en ce qui concerne la mise en aveugle des participants et du personnel, le risque de biais était élevé pour 28 des 45 études incluses. Si l’on tient compte du fait que certaines études prévoyaient également une compensation financière pour la participation, on ne peut exclure un risque important de biais de performance. De plus, en utilisant l’auto-déclaration, ce risque peut avoir été accompagné d’un risque accru de biais de notification. En effet, les analyses de sous-groupes ont pu montrer que les tailles d’effet étaient plus importantes dans les études où les participants recevaient une compensation financière. Dans ces études, le fait de répondre aux questionnaires était récompensé par une compensation financière allant de 1,5 à 100 dollars. Une étude a également récompensé l’utilisation quotidienne de l’application. De plus, dans certaines études, les participants pouvaient bénéficier d’un abonnement gratuit d’un an à l’application qui faisait l’objet de l’étude. Tout cela a donc peut-être eu une influence sur la conformité sociale lors de la mise en œuvre et du rapport, ainsi que sur les sorties d’étude et sur l’observance.
Une analyse de sensibilité a permis de montrer que les études comparant différentes applications pour la pleine conscience avec un même groupe témoin n’entraînaient pas une surestimation de l’effet groupé.
Enfin, l’article comporte certaines erreurs d’inattention. Dans le tableau 1, il y a 45 études. C’est aussi ce qui est écrit au début des résultats. Cependant, seulement 43 études sont mentionnées dans le schéma de l’étude au moment de l’inclusion et seulement 44 études ont été évaluées dans le cadre de l’évaluation du risque de biais. Même s’il ne s’agit que de détails, ces erreurs alimentent des doutes sur la régularité des analyses.
Évaluation des résultats
L’efficacité statistiquement significative des applications pour la pleine conscience, par rapport aux groupes témoins actifs et passifs, dans la réduction des symptômes de dépression et d’anxiété est associée à des tailles d’effet plutôt faibles (g de Hedges < 30). Cependant, les NNT calculés, respectivement 13 et 11, pourraient indiquer un effet cliniquement pertinent. Ces NNT indiquent que respectivement 13 et 11 personnes doivent être incluses dans le groupe intervention pour que, chez 1 personne, une modification positive des symptômes par rapport au groupe témoin soit observée. Cependant, ces NNT indiquent un effet statistiquement significatif mais pas une amélioration cliniquement pertinente (qui est l’objectif réel du NNT). Par rapport aux interventions psychologiques actives, aucune différence significative n’a été constatée. Il s’agit toutefois d’échantillons de petite taille, et le manque de puissance peut également avoir joué un rôle. Une réponse claire à ce sujet ne pourra être apportée qu’avec des études visant à déterminer dans quelle mesure les applications pour la pleine conscience peuvent remplacer la psychothérapie tout en tenant compte des coûts des deux types d’intervention.
Les effets indésirables n’ont malheureusement pas été signalés. Mais les effets secondaires des applications pour la pleine conscience semblent limités. En outre, ces applications sont souvent faciles d’accès et disponibles gratuitement ou à faible coût. Outre une éventuelle surestimation de l’effet (voir ci-dessus), on peut également se demander dans quelle mesure le fait de proposer ou non ces applications gratuitement peut influencer l’observance dans la pratique. Il est regrettable que les auteurs ne mentionnent pas les résultats concernant l’observance et les sorties d’étude. Un autre problème pour l’extrapolation est qu’il s’agit d’un groupe hétérogène de participants dont les caractéristiques ne sont pas toujours clairement décrites. Les auteurs effectuent une analyse de sous-groupes en fonction de l’existence ou non de troubles mentaux dans les antécédents des personnes concernées. Cela n’avait pas d’incidence sur les résultats, mais il est possible que le manque de puissance joue également un rôle à cet égard. Par ailleurs, les symptômes actuels d’anxiété et de dépression ne sont pas rapportés. On ne sait donc pas s’il s’agit de personnes qui n’ont actuellement pas de symptômes, qui ont des symptômes légers ou qui ont des symptômes graves.
Des RCTs pragmatiques ou des RCTs portant sur l’utilisation d’applications pour la pleine conscience dans des populations spécifiques sont donc nécessaires pour déterminer quelles personnes spécifiques peuvent s’attendre à un effet plus ou moins important et dans quelle mesure ces applications sont adaptées pour la prévention, l’entretien ou l’intervention.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les normes de santé mentale relatives aux symptômes d’anxiété et aux troubles anxieux (13) mettent en avant l’intérêt de soins adaptés : la prise de décision partagée avec le patient/client recommande l’intervention la moins lourde et la plus efficace. À cet égard, en cas de symptômes d’anxiété, la prévention et l’autogestion sont recommandées comme intervention en première étape. Les techniques de pleine conscience sont recommandées ici pour maintenir le mode de vie. La pleine conscience et la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience sont également mentionnées comme interventions en première étape.
Le guide de pratique du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) relatif à l’efficacité à long terme de la psychothérapie dans le traitement de la dépression (14) recommande de combiner une psychothérapie et des antidépresseurs. Si le client/patient ne souhaite pas associer les deux, on privilégiera la psychothérapie. Dans ce cas, il est recommandé de se fonder sur des données probantes et donc d’opter pour un traitement efficace et efficient, en tenant compte des préférences du client/patient. Ce guide ne recommande pas un type particulier de psychothérapie. Concernant le traitement de la dépression chez l’adulte, le guide de pratique clinique belge de Domus Medica (15), outre notamment la psychoéducation, la structuration de la journée et l’activation comportementale, recommande en premier lieu l’auto-assistance individuelle accompagnée. Ce guide mentionne la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), mais pas spécifiquement la pleine conscience. Le guide recommande la pleine conscience en groupe pour la prise en charge post-thérapeutique chez les personnes présentant une récidive de la dépression (Grade 1A). Une offre de soins sur Internet est également citée comme option, mais il n’est pas fait mention des applications pour la pleine conscience.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les applications pour la pleine conscience réduisent dans une certaine mesure les symptômes d’anxiété et les symptômes dépressifs, par comparaison avec les contrôles actifs et les contrôles passifs. La pertinence clinique de ce résultat peut être mise en doute. Aucun effet statistiquement significatif n’a été constaté avec les applications pour la pleine conscience, par rapport aux interventions psychologiques actives, mais cela s’explique peut-être par un manque de puissance. Il y a une importante hétérogénéité clinique entre les populations incluses, les instruments de mesure, les applications pour la pleine conscience et les groupes de contrôle ; il est donc difficile d’extrapoler les résultats. Le fait que les études prévoyant une compensation financière pour les participants avaient plus d’effet, permet de montrer, outre un éventuel biais de conformité sociale, l’importance de l’observance dans la mise en œuvre de ces applications. Il est donc nécessaire de poursuivre la recherche avec une étude pragmatique.
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- Declercq T, Habraken H, Van den Ameele H, et al. La dépression chez l’adulte 2017. Domus Medica/SSMJ. Par: https://www.ssmg.be/guides-de-pratique-clinique/
Auteurs
Stas P.
klinisch psycholoog, wetenschappelijk medewerker Vlaams Expertisecentrum Suïcidepreventie
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
F32, F41
P74, P76
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