Revue d'Evidence-Based Medicine
Doit-on s’attendre à un plus grand nombre d’effets indésirables après l’instauration de médicaments antihypertenseurs chez des personnes âgées nécessitant des soins complexes ?
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 6 Page 131 - 134
Professions de santé
Médecin généraliste, PharmacienContexte
Minerva a déjà traité d’études qui montraient que, même chez les personnes âgées de plus de 65 ans, voire de plus de 80 ans, qui avaient de l’hypertension artérielle, la réduction de la pression artérielle avec des médicaments antihypertenseurs avait un effet bénéfique sur les critères d’évaluation péjoratifs, et ce proportionnellement à l’ampleur de la baisse de la pression artérielle systolique et, dans une moindre mesure, de la pression diastolique (1-4). Mais les médecins doivent également être attentifs au fait que les personnes âgées sont plus sujettes aux effets indésirables des médicaments antihypertenseurs, notamment les syncopes, les chutes et les éventuelles fractures associées, les troubles électrolytiques et l’insuffisance rénale aiguë (5). L’étude dont il est question ici s’est intéressée à la fréquence des effets indésirables graves des médicaments antihypertenseurs chez les personnes âgées nécessitant des soins complexes (6).
Résumé
Population étudiée
- recrutement de patients du Clinical Practice Research Datalink (CPRD GOLD), une bases de données provenant de cabinets de médecine générale rassemblant des données de patients anonymisées (données démographiques, diagnostics médicaux, prescriptions de médicaments, données de laboratoire, facteurs liés au mode de vie en rapport avec la santé, orientation vers la deuxième ligne) de plus de 17 millions de dossiers de patients de médecin générale au Royaume-Uni
- critères d’inclusion :
- patients de plus de 65 ans
- enregistrés depuis au moins un an dans un cabinet de médecine générale conforme aux normes
- n’ayant pas pris d’antihypertenseur au cours de l’année précédant le début de l’étude
- durée minimale du suivi requise : 1 jour
- nécessité de soins complexes sur la base de trois indicateurs différents au cours de l’année précédant le début de l’étude (voir ci-dessous)
- finalement, inclusion de 42483 personnes n’ayant jamais reçu d’antihypertenseurs et nécessitant des soins complexes.
Protocole de l’étude
Étude de cohorte prospective
- la cohorte complète a été divisée en trois cohortes en fonction des soins nécessaires (un même participant pouvait faire partie de plusieurs cohortes) :
- cohorte « hospitalisation » : patients ayant été admis pour une hospitalisation non prévue au cours de l’année précédente (n = 25210)
- cohorte « fragilité » : patients ayant ≥ 3 déficits selon l’indice électronique de fragilité (electronic Frailty Index, eFI) (n = 18211)
- cohorte « polypharmacie » : patients prenant au moins 10 médicaments différents par jour (n = 14955)
- les chutes ont été suivies à l’aide de la base de données CPRD GOLD, les fractures, à l’aide de la base de données CPRD GOLD et de la base de données HES (Hospital Episodic Statistics), et l’insuffisance rénale aiguë (insuffisance rénale aiguë et insuffisance rénale sans précision : respectivement codes N17 et N19 de la CIM-10), à l’aide de la base de données HES
- l’exposition individuelle aux médicaments antihypertenseurs a été mesurée à partir du jour de la première prescription d’un médicament antihypertenseur jusqu’à ce que le patient ait quitté le cabinet, que le cabinet ait cessé l’enregistrement, que le patient soit décédé ou que l’étude se soit terminée après 9,7 ans ; était considérée comme une exposition, uniquement l’utilisation continue, définie comme un intervalle de 90 jours maximum entre les renouvellements de prescriptions
- en cas d’enregistrement de plusieurs fractures ou de différents rapports d’insuffisance rénale au cours de la période de 30 jours, le doublon était supprimé de l’ensemble de données.
Mesure des résultats
- association entre, d’une part, l’incidence des chutes, des fractures et de l’insuffisance rénale aiguë et, d’autre part, l’exposition aux antihypertenseurs dans les trois cohortes
- l’analyse a utilisé la méthode des séries de cas autocontrôlés (Self Controlled Case Series, SCCS)
- l’incidence au cours de la période avec exposition a été comparée à celle de la période sans exposition afin de calculer les rapports de taux d’incidence (incidence rate ratio, IRR) pour les chutes et les fractures entre les jours 0 et 30 et après plus de 31 jours et pour l’insuffisance rénale aiguë entre les jours 0 et 30, entre les jours 31 et 90 et après plus de 91 jours
- analyses de sensibilité avec exclusion des sujets décédés au cours de l’étude, en tenant compte uniquement du premier événement par patient, avec inclusion d’une période de 30 jours sans exposition avant la prise d’antihypertenseurs, et exclusion des patients ayant des antécédents de chutes, de fractures ou d’insuffisance rénale aiguë.
Résultats
- sur les 42483 personnes incluses, 7240 (17%) ont fait une chute, et 5 164 (12,2%) ont subi au moins une fracture au cours d’un suivi médian d’environ 5 ans, et une insuffisance rénale aiguë a été diagnostiquée chez 450 (1,1%) au cours d’un suivi médian d’environ 5 ans
- l’âge médian des personnes qui ont fait une chute était de 79 ans, et 67% étaient des femmes
- parmi les personnes ayant subi une fracture, l’âge médian était de 78 ans, et 75% étaient des femmes
- les personnes présentant une insuffisance rénale aiguë étaient âgées en moyenne de 79 ans, 54% étaient des hommes, et 24% présentaient une insuffisance rénale chronique
- l’exposition aux médicaments antihypertenseurs au cours du suivi était de 46% chez les personnes ayant fait une chute, de 45% chez celles ayant subi une fracture et de 58% chez celles présentant une insuffisance rénale aiguë ; dans tous les groupes, la durée du traitement antihypertenseur était en moyenne de 1,7 an, et les antihypertenseurs les plus couramment prescrits étaient les diurétiques
- dans toutes les cohortes une augmentation du risque de chute de 35% à 50% au cours des 30 premiers jours suivant le début de la prise de médicaments antihypertenseurs a été observée:
- IRR de 1,35 (avec IC à 95% de 1,09 à 1,66) dans la cohorte hospitalisation,
- IRR de 1,37 (avec IC à 95% de 1,10 à 1,69) dans la cohorte fragilité
- IRR de 1,53 (avec IC à 95% de 1,24 à 1,89) dans la cohorte polypharmacie
- dans aucune cohorte il n’y avait d’augmentation du risque de chute, que ce soit pour la totalité de la période d’exposition ou pour la période d’exposition après 31 jours
- ce n’est que pour la cohorte fragilité que l’on a observé, pendant les 30 premiers jours après l’instauration de l’antihypertenseur, une augmentation du risque de fracture (IRR de 1,38 avec IC à 95% de 1,03 à 1,84), la majorité des fractures n’étant ni des fractures de la hanche ni des fractures vertébrales (IRR de 1,46 avec IC à 95% de 1,04 à 2,04) ; pour l’exposition après 31 jours et pour les autres cohortes, aucune association statistiquement significative n’a pu être identifiée
- au cours des 30 premiers jours suivant le début de la prise de médicaments antihypertenseurs, on a constaté dans toutes les cohortes une augmentation de l’insuffisance rénale aiguë, le risque étant multiplié d’un facteur quatre à six :
- IRR de 4,27 (avec IC à 95% de 2,35 à 7,73) dans la cohorte hospitalisation
- IRR de 5,05 (avec IC à 95% de 2,49 à 10,23) dans la cohorte fragilité
- IRR de 6,83 (avec IC à 95% de 3,36 à 13,86) dans la cohorte polypharmacie ;
- dans la cohorte fragilité, il y avait aussi une augmentation statistiquement significative entre 31 et 90 jours (IRR de 3,08 avec IC à 95% de 1,50 à 6,32) et après 91 jours (IRR de 1,91 avec IC à 95% de 1,07 à 3,42) ;
- dans la cohorte polypharmacie, le risque était également accru entre 31 et 90 jours (IRR de 3,11 avec IC à 95% de 1,42 à 6,78).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que le traitement antihypertenseur chez les patients âgés est associé à un risque accru d’insuffisance rénale aiguë et, temporairement aussi à un risque accru de chutes dans les 30 jours suivant le début du traitement antihypertenseur.
Conflits d’intérêt des auteurs
Un auteur a reçu un financement du National Institute for Health and Care Research (NIHR, Royaume-Uni) et du Centre de recherche biomédicale du NIHR d’Oxford. Son groupe de recherche reçoit des financements de l’Agence européenne des médicaments et de l’Initiative en matière de médicaments innovants, ainsi que de plusieurs entreprises pharmaceutiques. Les autres auteurs mentionnent l’absence de tout conflit d’intérêts.
Financement de l’étude
National Institute for Health and Care (NIHR) Research Oxford Biomedical Research Centre.
Discussion
Discussion de la méthodologie
Cette étude épidémiologique descriptive de l’impact d’une intervention fréquente en soins primaires utilise des données fiables provenant d’une base de données très complète, représentative des résidents du Royaume-Uni. L’utilisation de la méthode des séries de cas autocontrôlés (Self Controlled Case Series, SCCS) pour l’analyse constitue un autre atout. En pratique, les sujets sont comparés à eux-mêmes ; cet auto-appariement entraîne un ajustement sur la plupart des facteurs de confusion qui ne varient pas au cours du temps (tels que le sexe, les origines ethniques, les antécédents sociaux et médicaux...), qui sont souvent difficiles à mesurer dans les études d’observation (comme le stade de fragilité). La méthode présente donc l’inconvénient de ne pas permettre de corriger pour tenir compte de nouvelles comorbidités et de récents changements de médicaments pendant la période d’observation. L’âge est le seul facteur de confusion variant au fil du temps que les chercheurs ont pu corriger.
De nombreuses analyses de sensibilité ont été réalisées, mais elles n’ont pas apporté de nouvelles informations. Néanmoins, le fait de se limiter à la première chute et d’exclure les patients décédés au cours du suivi ultérieur a permis d’identifier un risque accru de chutes dans la cohorte polypharmacie. Cela pourrait suggérer que les personnes âgées moins malades sont, elles aussi, sujettes à des chutes lorsqu’elles commencent à prendre un antihypertenseur. Il n’a pas été possible d’effectuer les analyses de sous-groupes prévues par classe d’antihypertenseurs, en raison d’un manque de données. Nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur les groupes de médicaments associés à plus ou moins d’effets indésirables.
Évaluation des résultats
Dans les 30 jours suivant le début de la prise d’antihypertenseurs par des personnes âgées naïves d’antihypertenseurs et nécessitant des soins importants, nous constatons que le risque d’insuffisance rénale aiguë est multiplié d’un facteur quatre à six et que le risque de chute est accru de 30 à 50%. Cette étude s’est concentrée sur les effets indésirables les plus graves, mais, lors de l’instauration d’un traitement antihypertenseur dans ce groupe de patients, il faut aussi prendre en compte d’autres effets indésirables tels que les vertiges, les troubles de l’équilibre et l’hypotension orthostatique (5). Une précédente méta-analyse de 58 études randomisées contrôlées (RCTs) (n = 280638 ; durée moyenne du suivi : 3 ans) (5) n’a trouvé aucune preuve d’une association entre les médicaments antihypertenseurs et un risque accru de chute (RR de 1,05 avec IC à 95% de 0,89 à 1,23). Il convient toutefois de noter que les personnes âgées les plus fragiles et nécessitant les soins les plus importants étaient sous-représentées dans les études randomisées contrôlées incluses, qui portaient principalement sur les effets indésirables d’un traitement chronique. On a toutefois pu constater une augmentation significative de 18% pour l’insuffisance rénale aiguë (RR de 1,18 avec IC à 95% de 1,01 à 1,39), augmentation qui est toutefois moins importante que dans l’étude susmentionnée.
Les valeurs cibles utilisées pour la pression artérielle ne sont pas mentionnées dans l’article. En outre, seule la date de prescription du médicament est connue, et nous ne savons pas si les patients ont effectivement acheté et/ou pris le médicament (comme prescrit). Comme la pression artérielle initiale était en moyenne de 135/76 mmHg, cela pourrait indiquer que les valeurs cibles utilisées étaient plus basses. L’étude SPRINT a montré l’importance de resserrer de plus en plus les valeurs cibles pour le traitement de la pression artérielle (7,8), mais, sur la base des résultats de cette étude, nous serions encore enclins à maintenir au mieux les valeurs cibles de 140/90 mmHg chez les personnes âgées fragiles de plus de 80 ans présentant une pression artérielle élevée et même à opter pour des valeurs plus élevées chez les personnes âgées de plus de 80 ans (150/80-90 mmHg), ainsi qu’à faire preuve de prudence pour augmenter la dose.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Ebpracticenet mentionne la grande importance d’évaluer la fragilité en cas d’hypertension artérielle et à faire preuve de prudence en instaurant une petite dose d’antihypertenseurs, dose qui est progressivement augmentée, en tenant compte d’une éventuelle hypotension orthostatique (9). Le Centre belge d’information pharmacothérapeutique (CBIP) mentionne que, chez les personnes de plus de 65 ans, il faut éviter que la pression artérielle ne baisse trop rapidement ou de manière trop prononcée compte tenu du risque d’hypoperfusion des organes vitaux (10). Les recommandations du NICE préconisent de vérifier la fonction rénale 1 à 2 semaines après l’instauration d’un inhibiteur du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) ou d’un diurétique (11,12).
Conclusion de Minerva
Cette étude de cohorte prospective, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre une augmentation significative des cas d’insuffisance rénale aiguë et de chutes au cours des 30 premiers jours suivant le début de la prise d’antihypertenseurs chez les personnes âgées de plus de 65 ans nécessitant des soins importants. En outre, les résultats montrent également, au cours de la même période, une augmentation significative du taux de fractures après les chutes chez les personnes âgées fragiles.
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- National Institute for Health and Care Excellence. Hypertension in adults: diagnosis and management. NICE guideline [NG136]. Published: 28 August 2019 Last updated: 21 November 2023.
Auteurs
De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Mots-clés
antihypertenseur, chute, fracture osseuse, fragilité, insuffisance rénale, polypharmacie, risqueCode
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