Revue d'Evidence-Based Medicine



La colchicine : une nouvelle jeunesse ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 10 Page 118 - 118

Professions de santé


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

En 1861 paraissait le livre de Semmelweis intitulé ‘L’étiologie, la signification et la prophylaxie de la fièvre puerpérale’, dans lequel il publiait le résultat de ses efforts pour faire baisser le pourcentage élevé de fièvre puerpérale dans un hôpital de Vienne. Ses travaux illustrent bien comment l’analyse empirique des implications d’une hypothèse permet de la rejeter ou de l’étayer. Par chance, il formula la bonne hypothèse. Un confrère de Semmelweis s’était blessé avec un bistouri au cours de la dissection d’un cadavre et était décédé avec des symptômes identiques à ceux des femmes atteintes de fièvre puerpérale. Semmelweis avait alors placé de l’hypochlorite de chaux entre la salle d’autopsie et la salle d’accouchement afin d’éliminer la « substance cadavérique » par le lavage des mains, et, en moins d’un mois, le taux de mortalité avait chuté (1). C’est finalement sur ce vieux schéma que se fonde l’EBM. Une hypothèse n’est juste que lorsque les observations expérimentales cliniques confirment ses postulats. Sinon, l’hypothèse est rejetée.

 

Les hypothèses persistent parfois très longtemps, et il arrive que les scientifiques, au mépris des faits, imaginent de nouvelles expériences pour, malgré tout, étayer une hypothèse généralement séduisante et cohérente mais jusqu’alors apparemment non valide. Ainsi, les anatomopathologistes observèrent que les plaques d’athérome au niveau des coronaires peuvent être « stables » ou « vulnérables ». Dans les plaques vulnérables, ils observent une présence plus importante de macrophages et une couche fibreuse trois fois plus fine que dans les plaques stables. L’inflammation locale pourrait donc être un facteur important dans l’apparition de l’instabilité des plaques d’athérome et être la cause d’un syndrome coronarien aigu (2,3).

 

La conséquence de cette hypothèse est que les médicaments anti-inflammatoires devraient réduire le syndrome coronarien aigu chez les patients à risque en stabilisant les plaques d’athérome. Entrent en ligne de compte les corticostéroïdes, les AINS et la colchicine. Une méta-analyse de 11 études (2 646 patients) avec administration de corticostéroïdes après un infarctus du myocarde a montré une diminution de 26 % de la mortalité (OR 0,74 ; IC à 95 % de 0,59 à 0,94), mais une analyse de sensibilité comportant uniquement les études contrôlées randomisées n’a pu montrer aucune différence quant à la mortalité (4).

 

L’hypothèse est rejetée ! Une étude de cohorte menée au Danemark sur 99 187 patients suivis après un premier infarctus du myocarde aigu a constaté que la prise d’AINS, après un suivi de cinq ans, entraînait une augmentation de la mortalité (HR 1,63 ; IC à 95 % de 1,52 à 1,74) (5). L’hypothèse est rejetée ! La colchicine a également un effet anti-inflammatoire qui est efficace dans le traitement de la goutte et de la brucellose. Récemment, la colchicine s’est également avérée efficace dans le traitement de la péricardite aiguë (6). Une étude rétrospective chez des patients souffrant de goutte a pu montrer que les personnes qui prennent de la colchicine voient leur risque d’infarctus du myocarde aigu diminuer légèrement (1,2 % contre 2,6 % ; p = 0,03) (7). Hasard, chance ou bien observation ayant tout de même son importance ? Les études descriptives rétrospectives sont en effet exposées à tant de biais qu’il est peu convaincant d’y avoir recours pour étayer une hypothèse. Ce numéro de Minerva (p. 119) comprend cependant l’analyse d’une étude prospective randomisée, avec évaluation de l’effet réalisée en aveugle, qui a examiné l’hypothèse née fortuitement suite à l’étude rétrospective portant sur la colchicine (7). Le résultat est assez impressionnant. Le nombre de coronaropathies a diminué de 67 %, et le NST était proche de 11 après trois ans en moyenne. Mais, nous considérons l’étude plutôt comme étayant l’hypothèse, et elle n’autorise pas encore la généralisation de ce traitement. Les patients savaient quel traitement ils recevaient, et les prescripteurs aussi. Seuls les investigateurs qui mesuraient les critères de jugement ignoraient le traitement administré. Il ne s’agit donc pas d’une étude randomisée menée en double aveugle. Le second point faible de l’étude est le fait que le groupe de patients inclus est relativement restreint, ce qui risque de grossir les différences. La généralisation des résultats n’est donc possible que si ces derniers sont confirmés par une étude clinique randomisée contrôlée par placebo incluant suffisamment de patients hétérogènes sur le plan clinique. La question est de savoir si un produit bon marché comme la colchicine peut susciter suffisamment d’intérêt auprès des éventuels promoteurs de ce type d’études. Pourtant, n’importe qui peut relever ce défi car aucun brevet ne protège cette molécule. Entre-temps, des études portant sur le méthotrexate et les anticorps monoclonaux, médicaments bien plus onéreux, sont déjà en cours pour tester leur effet anti-inflammatoire sur le risque cardiovasculaire.

 

 

Références

  1. Hempel CG: Filosofie van de natuurwetenschappen. Antwerpen/Utrecht Het Spectrum 1972.
  2. Ross R. Atherosclerosis and inflammatory disease. N Engl J Med 1999;340:115-26.
  3. Forrester JS. Toward understanding the evolution of plaque rupture: correlating vascular pathology with clinical outcomes. J Am Coll Cardiol 2003;42:1566-8.
  4. Giugliano GR, Guigliano RP, Gibson CM, Kuntz. Meta-analysis of corticosteroid treatment in acute myocardial infarction. Am J Cardiol 2003;91:1055-9.
  5. Olsen AM, Fosbøl EL, Lindhardsen J, et al. Long-term cardiovascular risk of nonsteroidal anti-inflammatory drug use according to time passed after first-time myocardial infarction: a nationwide cohort study. Circulation 2012;126:1955-63.
  6. Imazio N, Brucato A, Cemim R, et al. Colchicine for recurrent pericarditis (CORP): a randomized trial. Ann Intern Med 2011;155:409-14.
  7. Crittinden DB, Lehman RA, Schneck L, et al. Colchicine use is associated with decreased prevalence of myocardial infarction in patients with gout. J Rheumathol 2012;39:1458-64.
La colchicine : une nouvelle jeunesse ?

Auteurs

Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Mots-clés

colchicine

Glossaire

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