Analyse
Thromboprophylaxie prolongée suite à un alitement pour raison médicale ?
La conférence de consensus de l’INAMI de fin 2013 dédiée à la prévention et au traitement des thromboembolies veineuses (TEV) (1) a abordé le problème de la thromboprophylaxie en cas d’alitement pour raison médicale. Le jury a recommandé une prévention pharmacologique à l’héparine (héparine de bas poids moléculaire ou HBPM en pratique) uniquement chez les patients à risque élevé, sur base des critères du GPC de l’American College of Physicians Clinical Practice Guideline (2) tout en tenant compte de la sécurité relative aux saignements majeurs. Le traitement doit être administré durant la phase d’immobilisation et ne pas dépasser la durée du séjour à l’hôpital. La revue Prescrire (3) propose également en premier choix les HBPM dans des situations médicales à risque comme un infarctus du myocarde traité sans thrombolyse, un AVC avec immobilisation prolongée ou paralysie d’un membre inférieur, une hospitalisation en soins intensifs ou en cas d’alitement prolongé avec d’autres facteurs de risque (âge avancé, antécédent personnel, cancer, obésité, infection aiguë, poussée d’insuffisance cardiaque ou respiratoire, etc.). Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (4) a identifié 10 études randomisées et la méta-analyse a montré un bénéfice de l’héparine versus placebo. Sur base de 6 autres études randomisées, les auteurs ont conclu à la supériorité des HBPM versus héparine non fractionnée.
Mais qu’en est-il de la poursuite de la thromboprophylaxie après l’épisode aigu, en pratique, après l’hospitalisation ? Pour tenter de répondre à cette question, une équipe italienne (5) a conduit une synthèse méthodique de la littérature avec méta-analyse. Quatre études randomisées ont été retenues avec un total de 28105 patients atteints d’une affection médicale aiguë, randomisés entre l’anticoagulation pendant l’hospitalisation seulement ou poursuite de la prophylaxie après sortie. Les médicaments testés étaient tous différents : énoxaparine, apixaban, rivaroxaban et betrixaban.
Bien que l’objectif primaire des études fût basé sur des critères de jugement composites, pour la méta-analyse, les auteurs ont évalué séparément la survenue de thrombose veineuse profonde (TVP) et d’embolie pulmonaire (EP) et la mortalité liée à la TVP. Les résultats montrent un OR de 0,504 (avec IC à 95% de 0,287 à 0,885) pour la diminution du risque de TVP, 0,633 (avec IC à 95% de 0,388 à 1,034) pour l’EP, 0,544 (avec IC à 95% de 0,297 à 0,997) pour l’ensemble des thromboembolies (TE) et de 0,687 (avec IC à 95% de 0,445 à 1,059) pour la mortalité spécifique. En ce qui concerne la sécurité, on note une augmentation du risque d’hémorragie majeure avec un OR à 2,095 (avec IC à 95% de 1,333 à 3,295) sans augmentation du risque de saignement fatal avec un OR à 1,79 (avec IC à 95% de 0,384 à 8,325). Les NNT sont de 339 pour la TVP, de 239 pour la TE et de 247 pour l’hémorragie fatale c.-à-d. qu’il faut traiter respectivement 339 et 239 malades pour éviter une TVP et une TE et 247 pour avoir une hémorragie majeure.
Il faut cependant être conscient des limites des études à la base de la méta-analyse : beaucoup ont utilisé des anticoagulants oraux directs (AOD) et non des HBPM, les populations sélectionnées étaient hétérogènes. L’analyse a mélangé les thromboses symptomatiques avec celles diagnostiquées par échographie systématique. Le faible bénéfice en termes de réduction du risque de TVP - souvent détectées dans les études par des examens échographiques systématiques et donc sans nécessairement une expression clinique doit être mis en balance avec le risque de développer une hémorragie majeure. Dans ces conditions, les auteurs dont nous partageons la conclusion, ne recommandent pas une thromboprophylaxie prolongée après le séjour hospitalier. Il se peut cependant que des sous-groupes de malades - sujets âgés ou grabataires - puissent bénéficier d’une thromboprophylaxie.
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses aux réelles limites méthodologiques, montre un résultat statistiquement significatif en termes de réduction de TVP et de TEV mais pas en termes d’EP ni de mortalité spécifique d’une thromboprophylaxie prolongée avec l’énoxaparine, l’apixaban, le rivaroxaban ou le betrixaban, après un séjour hospitalier secondaire à un épisode aigu. Ce bénéfice doit être mis en balance avec le risque augmenté de façon statistiquement significative de développer une hémorragie majeure.
Pour la pratique
La conférence de consensus de l’INAMI de fin 2013 dédiée à la prévention et au traitement des thromboembolies veineuses (TEV) (1) recommande une prévention pharmacologique à l’héparine (héparine de bas poids moléculaire ou HBPM en pratique) uniquement chez les patients à risque élevé, sur base des critères du GPC de l’American College of Physicians Clinical Practice Guideline (2) tout en tenant compte de la sécurité relative aux saignements majeurs. En l’absence d’études sur des sous-groupes plus à risque, la thromboprophylaxie prolongée après un séjour hospitalier chez le patient atteint d’une affection médicale aiguë ne peut être actuellement recommandée en routine.
- INAMI. Prévention et traitement des thromboembolies veineuses. Réunion de consensus du 21/11/2013. Rapport du jury – texte long. Mise à jour en préparation: INAMI. L’usage rationnel des anticoagulants oraux (directs (AOD) ou antagonistes de la vitamine K (AVK)) en cas de fibrillation auriculaire (prévention thromboembolique) et en cas de thromboembolie veineuse (traitement et prévention secondaire). Réunion de consensus de 30/11/2017. Etude de la littérature - Résumé.
- Lederle FA, Zylla D, MacDonald R, Wilt TJ. Venous thromboembolism prophylaxis in hospitalized medical patients and those with stroke: a background review for an American College of Physicians Clinical Practice Guideline. Ann Intern Med 2011;155:602-15. DOI: 10.7326/0003-4819-155-9-201111010-00008
- Prescrire Rédaction. Thromboses veineuses profondes: prévention. L’essentiel sur les soins de premier choix. Rev Prescrire 2017;1-7.
- Alikhan R, Bedenis R, Cohen AT. Heparin for the prevention of venous thromboembolism in acutely ill medical patients (excluding stroke and myocardial infarction). Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 5. DOI: 10.1002/14651858.CD003747.pub4
- Dentali F, Mumoli N, Prisco D, et al. Efficacy and safety of extended thromboprophylaxis for medically ill patients. A meta-analysis of randomised controlled trials. Thromb Haemost 2017;117:606-17. DOI: 10.1160/TH16-08-0595
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
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