Analyse


Pas de preuve de bénéfice d’un traitement empirique par inhibiteur de la pompe à protons par rapport à un placebo chez les patients présentant des symptômes pharyngolaryngés persistants


15 09 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
O'Hara J, Stocken DD, Watson GC, et al. Use of proton pump inhibitors to treat persistent throat symptoms: multicentre, double blind, randomised, placebo controlled trial. BMJ 2021;372:m4903. DOI: 10.1136/bmj.m4903


Conclusion
Cette étude randomisée multicentrique en double-aveugle avec contrôle par placebo, pragmatique, aboutit à la conclusion qu’aucune preuve n'a été trouvée pour un bénéfice du traitement par IPP par rapport à un placebo chez les patients présentant des symptômes pharyngolaryngés persistants, les scores RSI étant similaires entre les groupes lansoprazole et placebo après 16 semaines de traitement et au suivi de 12 mois.



 

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des médicaments largement utilisés. Leurs principales indications validées sont l’éradication d’Helicobacter pylori en association avec des antibiotiques (1,2) et le reflux gastro-œsophagien (3,4). Le gain s’avère modeste dans la dyspepsie fonctionnelle (5,6). En cas de traitement chronique, l’arrêt de l’IPP peut être difficile à cause de la réapparition des symptômes (7,8). Le mal de gorge chronique est souvent traité empiriquement avec ce type de médicament en l’attribuant à un potentiel reflux gastro-œsophagien au niveau pharyngolaryngé mais sans bon niveau de preuve (9-11) et avec un coût non négligeable.

 

Pour répondre à cette question, des auteurs britanniques ont mené une étude randomisée multicentrique en double-aveugle avec contrôle par placebo (12). Les patients du bras expérimental ont reçu comme IPP le lansoprazole 30 mg deux fois par jour pendant 16 semaines. Les participants étaient des adultes (≥ 18 ans) avec des symptômes pharyngolaryngés persistants inexpliqués (> 6 semaines) : enrouement, douleur de la gorge, sensation de boule, raclement de la gorge, sécrétions nasales postérieures ou excès de mucus, toux ou sensation d'étouffement. En termes de gravité, la symptomatologie devait avoir un score d’au moins 10 points sur les éléments 1 à 8 du RSI, indice des symptômes de reflux (13). Ont été exclus les patients dont l'endoscopie montrait une maladie nécessitant un traitement spécifique, comme des polypes des cordes vocales ou une tumeur maligne, ou ceux qui avaient une contre-indication aux IPP. Ceux qui prenaient un IPP avaient besoin d'une période de sevrage de quatre semaines pour participer à l'essai, et ceux qui prenaient des alginates devaient arrêter ces médicaments. Le critère de jugement principal était la réponse symptomatique à 16 semaines mesurée à l'aide du RSI. Les critères de jugement secondaires comprenaient la réponse symptomatique à 12 mois, la qualité de vie et l'aspect de la gorge.

346 des 1427 patients initialement sélectionnés pour l'éligibilité ont été randomisés avec un âge moyen de 52,2 ans, 57% de femmes et 47% de symptômes graves à la présentation initiale. L'analyse a été réalisée sur les 220 patients qui ont reçu complètement le traitement dans un délai de 14 à 20 semaines (le groupe conforme en intention de traiter). Les scores RSI moyens étaient similaires entre les bras de traitement au départ, de : 22,0 (avec IC à 95% de 20,4 à 23,6) pour le lansoprazole et 21,7 (avec IC à 95% de 20,5 à 23,0) pour le placebo. Des améliorations (diminution du score RSI) ont été observées dans les deux groupes avec un score à 16 semaines de 17,4 pour le lansoprazole (avec IC à 95% de 15,5 à 19,4) et 15,6 pour le placebo (avec IC à 95% de 13,8 à 17,3). Aucune différence statistiquement significative n'a été trouvée entre les bras de traitement avec une différence estimée à 1,9 point (avec IC 95% de - 0,3 à 4,2 points ; p = 0,096), ajustée pour le site et la gravité des symptômes de base. Le lansoprazole n'a montré aucun bénéfice par rapport au placebo pour aucune mesure de résultat secondaire, y compris les scores RSI à 12 mois.

Cette étude se voulait pratique : les auteurs pensent avoir réussi leur pari. Les patients ont été inclus sur base de symptômes pharyngolaryngés persistants inexpliqués et non sur base de résultats d’examens complémentaires comme une pH-métrie par exemple. Si ce choix méthodologique avait été posé, certes les critères d’inclusion auraient été mieux objectivables, mais cela aurait restreint l’applicabilité des résultats à la pratique spécialisée uniquement. Ils ont également calculé 20% de perdus de vues tout en préservant une possibilité d’observer une différence cliniquement importante avec une puissance de 90%, ce qui a été le cas. Les questionnaires analysés ont été entièrement remplis.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En 2018, l’INAMI a organisé une conférence de consensus sur l'usage rationnel des IPP en cas de pathologie gastro-œsophagienne non ulcéreuse (14). Si leur utilisation empirique dans les douleurs pharyngolaryngées chroniques n’a pas été abordée, il l’a été pour un problème apparenté, la dyspepsie sans reflux cliniquement typique. Dans cette situation, le jury a estimé que la balance bénéfices/risques d’un traitement par IPP n’est pas favorable, comparé aux anti-H2, antiacides et/ou mesures d’hygiène de vie et que la durée d’un traitement par IPP sur base empirique ne devra pas dépasser 4 à 8 semaines. Les mesures d’hygiène de vie non médicamenteuses recommandées sont une alimentation saine, une perte du poids, l’arrêt du tabagisme, l’évitement des facteurs déclencheurs, l’élévation de la tête de lit et la prise du repas principal de la journée longtemps avant de se coucher. Dans les recommandations sur le diagnostic et le traitement de la toux chronique (15), un problème également apparenté, l'ERS, Société Européenne de Pneumologie, suggère que les cliniciens n'utilisent pas systématiquement de façon empirique les médicaments antiacides (IPP ou anti-H2) chez les patients adultes souffrant de toux chronique. La recommandation est basée sur le fait d’une part des avantages cliniques des médicaments antiacides uniquement chez certains patients souffrant de reflux acide et d’autre part du risque d’événements indésirables. Ces événements ne sont pas négligeables, essentiellement à long terme (16) : dépendance et symptômes d’hyperacidité gastrique à l’arrêt, infections bactériennes, fractures osseuses, arthralgies, myalgies, troubles ioniques, néphrites interstitielles, et cetera.

 

Conclusion

Cette étude randomisée multicentrique en double-aveugle avec contrôle par placebo, pragmatique, aboutit à la conclusion qu’aucune preuve n'a été trouvée pour un bénéfice du traitement par IPP par rapport à un placebo chez les patients présentant des symptômes pharyngolaryngés persistants, les scores RSI étant similaires entre les groupes lansoprazole et placebo après 16 semaines de traitement et au suivi de 12 mois.

 

 

Références 

  1. Ferrant L. Eradication de l’Helicobacter pylori : la fin de la trithérapie standard ? Minerva bref 15/03/2016.
  2. Li BZ, Threapleton DE, Wang JY, et al. Comparative effectiveness and tolerance of treatments for Helicobacter pylori: systematic review and network meta-analysis. BMJ 2015;351:h4052. DOI: 10.1136/bmj.h4052
  3. Van De Casteele M. Reflux gastro-oesophagien : IPP en continu ou à la demande ? MinervaF 2008;7(2):28-9.
  4. Pace F, Tonini M, Pallotta S, et al. Systematic review: maintenance treatment of gastro-oesophageal reflux disease with proton pump inhibitors taken 'on-demand'. Aliment Pharmacol Ther 2007;26:195-204. DOI: 10.1111/j.1365-2036.2007.03381.x
  5. Ferrant L. Faut-il quand même prescrire des IPP en cas de dyspepsie fonctionnelle ? Minerva bref 15/07/2018.
  6. Pinto-Sanchez MI, Yuan Y, Hassan A, et al. Proton pump inhibitors for functional dyspepsia. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD011194.pub3
  7. Sculier J-P. Réduction d’un traitement chronique par inhibiteur de la pompe à protons, possible ? MinervaF 2018;17(5):65-8.
  8. Boghossian TA, Rashid FJ, Thompson W, et al. Deprescribing versus continuation of chronic proton pump inhibitor use in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD011969.pub2
  9. Liu C, Wang H, Liu K. Meta-analysis of the efficacy of proton pump inhibitors for the symptoms of laryngopharyngeal reflux. Braz J Med Biol Res 2016;49:e5149. DOI: 10.1590/1414-431X20165149
  10. Guo H, Ma H, Wang J. Proton pump inhibitor therapy for the treatment of laryngopharyngeal reflux: a meta-analysis of randomized controlled trials. J Clin Gastroenterol 2016;50:295-300. DOI: 10.1097/MCG.0000000000000324
  11. Lechien JR, Saussez S, Schindler A, et al. Clinical outcomes of laryngopharyngeal reflux treatment: a systematic review and meta-analysis. Laryngoscope 2019;129:1174-87. DOI: 10.1002/lary.27591
  12. O'Hara J, Stocken DD, Watson GC, et al. Use of proton pump inhibitors to treat persistent throat symptoms: multicentre, double blind, randomised, placebo controlled trial. BMJ 2021;372:m4903. DOI: 10.1136/bmj.m4903
  13. Belafsky PC, Postma GN, Koufman JA. Validity and reliability of the reflux symptom index (RSI). J Voice Off J Voice Found 2002;16:274-7. DOI: 10.1016/s0892-1997(02)00097-8
  14. INAMI. L’usage rationnel des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en cas de pathologie gastro-oesophagienne non ulcéreuse (ulcère gastroduodénal exclu). Réunion de consensus – 31/05/2018. Conclusions - rapport du jury - texte complet (version longue).
  15. Morice AH, Millqvist E, Bieksiene K, et al. ERS guidelines on the diagnosis and treatment of chronic cough in adults and children. Eur Respir J 2020;55:1901136. DOI: 10.1183/13993003.01136-2019
  16. Prescrire Rédaction. Inhibiteurs de la pompe à protons : profil d’effets indésirables. Rev Prescrire 2018;38:750.

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :

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