Analyse
Incidence et déterminants de la normalisation spontanée de l'hypothyroïdie infraclinique chez l’adulte âgé.
Contexte
L'hypothyroïdie infraclinique (HIC) est une condition biochimique où la TSH est élevée et la thyroxine libre (T4l) demeure normale. La prévalence varie entre 4% et 10% de la population et dépend de la référence utilisée par les laboratoires (1). La prévalence augmente avec l'âge (2). Il existe un risque de progression vers une hypothyroïdie franche (avec diminution de la T4) de 2% à 6% annuel. Les facteurs de risque associés à la progression sont un niveau de TSH élevé, le sexe féminin, la présence d’anticorps antithyroïdiens (anti TPO), des antécédents d’irradiation du cou ou la prise d'iode radioactif, l'âge avancé, le goitre et la consommation de grandes quantités d'iode (1). L’hypothyroïdie infraclinique est plus fréquente dans la population féminine, blanche et âgée (1). Les symptômes communément associés à l'hypothyroïdie avérée (constipation, sécheresse de peau, fatigue, ralentissement mental, pertes de mémoire, crampes musculaires, faiblesse et intolérance au froid) ne sont pas retrouvés dans le HIC (1,3). L’HIC est associée à un risque accru des dyslipidémie, maladie coronaire, défaillance cardiaque et mortalité cardio vasculaire quand la TSH > 10 mUI/l. L’HIC n’est pas associé statistiquement aux symptômes dépressifs. Les valeurs de TSH peuvent présenter des fluctuations circadiennes, et aussi avec la maladie, le stress, la biotine et l'âge. Les patients avec HIC sont généralement classés en 2 catégories : ceux qui ont des valeurs de TSH entre 4-5 mU/l et 10 mU/l et ceux qui ont des valeurs > = 10 mU/l (1). Minerva dans son article sur le traitement de l’HIC relaye des recommandations pratiques trouvées dans la littérature : en cas de découverte fortuite d’une hypothyroïdie infraclinique, il est recommandé de déterminer à nouveau la TSH et la T4 libre (T4l) après 3 à 6 mois. Après confirmation d’une hypothyroïdie infraclinique, le traitement est conseillé en cas de TSH > 10 ou s’il s’agit d’une patiente enceinte. En cas de persistance d’une légère augmentation de la TSH (> 3,6 à 4 mU/l), un traitement peut être envisagé en présence de légers symptômes d’hypothyroïdie, chez les patients jeunes, chez les femmes enceintes, chez les patients présentant une augmentation du taux d’anticorps antithyroperoxydase, un goitre et une hypercholestérolémie (4,5).
Résumé
Population étudiée
- utilisation des données de 2 populations, une appelée “pré-étude” et une appelée “intra-étude”, d’adultes âgés de 65 ans ou plus
- population “pré-étude” :
- critères d’inclusion :
- les participants ont été identifiés à partir de bases de données de laboratoires cliniques et de dossiers de médecine générale
- patients avec TSH augmentée (4,60-19,99 mUI/l) et T4 libre dans les valeurs de référence du laboratoire (entre 3 mois et 3 ans après la première mesure) ont été invités à effectuer une 2ème mesure de confirmation (considérée comme point de départ du suivi) permettant de poser le diagnostic de HIC persistante.
- recrutés entre avril 2013 et avril 2015
- aucun critère relatif à la couleur de la peau
- critères d’exclusion :
- participants de la Suisse car manquaient des données démographiques
- dates manquantes
- pas de deuxième mesure de TSH
- en traitement par lévothyroxine
- critères d’inclusion :
- population “intra-étude” :
- critères d’inclusion :
- critères d’exclusion :
- normalisation de la TSH
- randomisés dans le groupe lévothyroxine
- critères d’inclusion :
- au total, intégration des données d’une population européenne âgée (pré-étude : N = 2335 ; âge médian de 72,9 ans ; 60,7% de genre féminin ; origine : Royaume Uni, Irlande, Pays-Bas (50,3%) / intra-étude : N = 365 pour la phase de suivi à 1 an ; âge médian de 75,1 ans) ; 51,8% de genre féminin ; origine : Pays-Bas, Suisse, Irlande, Royaume Uni ; avec une représentation des plus de 80 ans de 22,9% et 31,3% respectivement, avec une TSH de départ de 5,40 mU/l (4,91-6,31) et 5,84 (5,20-7,17) (médiane à la première mesure) respectivement (avec des valeurs similaires à la 2ème mesure de confirmation du diagnostic d’HIC) et une T4l de 13,0 (12,0-14,6) et 13,4 (12,1-14,7) à la mesure de base respectivement ; peu de patients avec une TSH >10 (2,4% et 4,4%).
Protocole d’étude
- étude basée sur 2 populations de 2 études randomisées, en double aveugle, qui étudient l’effet d’un traitement par lévothyroxine versus placebo chez la personne âgée avec hypothyroïdie infraclinique (Thyroid Hormone Replacement for Untreated Older Adults With Subclinical Hypothyroidism Trial et Institute for Evidence-Based Medicine in Old Age thyroid 80-plus thyroid trial - TRUST et IEMO) (6,7)
- suivi sur une période de 3 mois à 4 ans.
Mesure des résultats
- mesure de l’incidence (%) de l’HIC
- déterminants de la normalisation spontanée de la TSH chez les patients avec hypothyroïdie infraclinique (population pré-étude) et avec hypothyroïdie infraclinique persistante (population intra-étude)
- analyses par régression logistique monovariée et multivariée pour les deux groupes.
Résultats
- dans la population pré-étude (N= 2335) : au moment de la 2ème mesure de TSH :
- la TSH s’est normalisée spontanément dans 60,8% après une médiane de 344 jours
- déterminants de normalisation spontanée après régression logistique multivariée :
- âge plus jeune (par an) : OR de 0,98 avec IC à 95% de 0,97 à 0,99 ; p = 0,007
- sexe féminin : OR de 1,39 avec IC à 95% de 1,15 à 1,69 ; p < 0,001
- TSH (par unité) plus base : OR de 0,57 avec IC à 95% de 0,52 à 0,62 ; p < 0,001
- niveau de T4l (par unité) : OR de 1,06 avec IC à 95% de 1,01 à 1,11 ; p = 0,03
- saison de la deuxième mesure de TSH (été comparé à hiver) : OR de 0,59 avec IC à 95% de 0,44 à 0,79 ; p < 0,001
- intervalle entre les mesures de > 12 mois : OR de 1, 3 (de 0,97 à 1,72) ; p = 0,07
- dans la population intra-étude (N = 361) :
- la TSH s’est normalisé dans 39,9% des participants après une médiane de 362 jours
- déterminants de normalisation spontanée après régression logistique multivariée :
- âge : OR de 0,96 avec IC à 95% de 0,92 à 1,0 ; p = 0,05
- sexe féminin : OR de 1,80 avec IC à 95% de 1,01 à 3,23 ; p = 0,05
- TSH (par unité) : OR de 0,52 avec IC à 95% de 0,38 à 0,67 ; p < 0,001
- niveau de T4l (par unité) : OR de 1,22 avec IC à 95% de 1,05 à 1,44 ; p = 0,01
- présence d’anticorps « anti TPO » : OR de 0,36 avec IC à 95% de 0,17 à 0,77 ; p = 0,007.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que parce que le niveau de TSH se normalise spontanément dans une grande proportion d’adultes âgés avec hypothyroïdie infraclinique (aussi après une deuxième mesure de la TSH qui confirme la HIC persistante) une troisième mesure pourrait être recommandée avant de considérer le traitement.
Financement de l’étude
Commission Européenne, Swiss National Science Foundation, Swis Heart Foundation, Velux Stiftung, ZonMw.
Conflits d’intérêts des auteurs
Aucun n'est déclaré.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Il s’agit d’une étude peu conventionnelle, basée sur des populations issues de 2 RCTs (6,7). Les critères d’inclusion et d’exclusion sont prédéfinis et les patients ne sont inclus qu’après adéquation avec ceux-ci. Les caractéristiques des patients sont correctement décrites. Les prélèvements biologiques ont respecté les critères de qualité des études : échantillon de sang et conservation de celui-ci, laboratoire de référence, valeurs de référence, respect des délais entre deux prélèvements, etc. Le suivi est correctement appliqué. Ceci renforce la qualité des données par rapport à une étude observationnelle, plus conventionnelle pour étudier ce genre de problématique. On relève cependant quelques faiblesses méthodologiques : aucune donnée relative à l’adhésion des patients au traitement n’a cependant été trouvée ; le dosage d’anti TPO a été effectué seulement dans le groupe intra-étude, les populations suivies entre les études de départ sont fortement disproportionnées. Il n’est pas fait mention de traitement concomitant (pouvant ou non influencer l’absorption de la lévothyroxine ou le dosage de la TSH), ni de suppléments nutritionnels tel que l'iode ou la biotine, ni des habitudes alimentaires, ni du moment de la prise de la médication. Le choix des variables analysées pouvant agir sur le résultat de la normalisation de la TSH n’est pas expliqué.
Évaluation des résultats
Les résultats sont cohérents avec les données de la littérature (8) et ont une relevance clinique, car peuvent avoir un impact sur la réduction du nombre de traitements par lévothyroxine initiées chez les patients âgés avec une hypothyroïdie infraclinique. Le nombre total de patients avec hypothyroïdie infraclinique qui normalisent la TSH après une deuxième mesure à un intervalle de 3 mois à 3 ans est important. Les résultats portent sur l’analyse du lien de la variable “normalisation de la TSH” avec différentes variables. L’analyse des deux groupes donne des résultats similaires. Mais dans le groupe intra-étude, les résultats de la régression logistique monovariée ne sont pas statistiquement significatifs ; cela s’explique peut-être par la taille plus petite de ce groupe. Certaines variables évaluées sont à la limite de la signification statistique comme le niveau de la T4l dans le groupe pré-étude et l'âge et le sexe dans le groupe intra-étude.
Même dans une population avec une hypothyroïdie infraclinique persistante, il y a aussi une normalisation conséquente de la TSH. Il paraît donc logique de pouvoir attendre une normalisation de la TSH spontanée pour une majorité de patients âgés, après une deuxième mesure, ce qui va en ligne avec la recommandation des auteurs de réaliser une troisième mesure avant d’évaluer le besoin de traitement. Les patients ressemblent en grande majorité aux patients belges.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations pour le traitement sont variables entre les différentes sociétés scientifiques. Ainsi la “European Thyroid Association Guideline on Management of Subclinical Hypothyroidism” (9), fait les recommandations suivantes : « l'hypothyroïdie infraclinique (HIC) doit être considérée en deux catégories selon l'élévation du taux sérique de thyréostimuline (TSH) : une augmentation légère du taux de TSH (4,0 - 10,0 mU/l) et une augmentation plus importante du taux de TSH (> 10 mU/l). Une TSH sérique initialement élevée, avec T4l dans la plage de référence, doit être étudiée par une mesure répétée de la TSH sérique et de la T4l, ainsi que des anticorps anti-thyroïde peroxydase, de préférence après un intervalle de 2 à 3 mois. Pour les patients de 65-70 ans avec TSH sérique > 10 mU/l, un traitement de substitution par L-thyroxine est recommandé même en l'absence de symptômes. Si la TSH sérique < 10 mU/l mais que ces patients présentent des symptômes évocateurs d'hypothyroïdie, un essai de traitement de substitution par L-thyroxine doit être envisagé. (…) Les sujets les plus âgés (> 80-85 ans) présentant une TSH sérique ≤ 10 mU/l doivent être suivis attentivement avec une stratégie d'attente, en évitant généralement le traitement hormonal. Si la décision est de traiter l'HIC, la L-thyroxine orale, administrée quotidiennement, est le traitement de choix.
Le BMJ dans ses guidelines de 2019 (10) ne recommande pas le traitement de l’adulte avec HIC qui n’est pas enceinte et considère traiter à partir d’une TSH ≥ 20 mU/l. Le traitement des patients âgés ne semble pas lié à une amélioration des données cardiovasculaires dans différentes RCTs. Avant de diagnostiquer l’HIC il est recommandé de doser une deuxième fois à 2-3 mois d’écart car un pourcentage des patients aura une TSH normalisée.
Conclusion de Minerva
Cette étude présentant des forces et des faiblesses méthodologiques, basées sur des populations issues de 2 RCTs, montre que dans l’hypothyroïdie infraclinique, la normalisation spontanée de la TSH peut avoir lieu après des intervalles longs de 1 an et 2 ans. Une faible augmentation de la TSH, le sexe féminin, un niveau de T4l plus élevé, l’absence d’anti TP0 et une deuxième mesure de la TSH plus de 12 mois après la première sont corrélés à une normalisation spontanée.
- LeFevre N, Zweig A. Subclinical hypothyroidism: let the evidence be your guide. J Fam Pract 2023;72:159-1.DOI: 10.12788/jfp.0593
- Van der Spoel E, Nicolien A. van Vliet N, Poortvliet RK. Incidence and determinants of spontaneous normalization of subclinical hypothyroidism in older adults. J Clin Endocrinol Metab 2024;109:e1167-e1174. DOI: 10.1210/clinem/dgad623
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- Feller M, Snel M, Moutzouri E, et al. Association of thyroid hormone therapy with quality of life and thyroid-related symptoms in patients with subclinical hypothyroidism. JAMA 2018;320:1349-59. DOI: 10.1001/jama.2018.13770
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- Du Puy RS, Postmus I, Stott DJ, et al. Study protocol: A randomised controlled trial on the clinical effects of levothyroxine treatment for subclinical hypothyroidism in people aged 80 years and over. BMC Endocr Disord 2018;18:67. DOI: 10.1186/s12902-018-0285-8
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- Bekkering GE, Agoritsas T, Lytvyn L, et al. Thyroid hormones treatment for subclinical hypothyroidism: a clinical practice guideline. BMJ 2019;365. DOI: 10.1136/bmj.l2006
Auteurs
Rodriguez-Vina Polanco B.
médecin généraliste
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Patient Health Questionnaire (PHQ)-9Code
E02
T86
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