Revue d'Evidence-Based Medicine
Quel arbitre sifflera la fraude ?
Mis à la fraude
En mars 2009, Scott S Reuben, chef de service d’algologie au Baystate Medical Center à Springfield (Massachusetts, E.-U.) reconnaissait avoir façonné des données dans 21 des 72 articles qu’il avait publiés et qui étaient repris dans Pubmed (1). Ces articles à façon assuraient indirectement mais injustement la promotion du célécoxib.
En 1998, Wakefield, chirurgien britannique, publiait dans le Lancet un article montrant un lien entre le vaccin rougeole-oreillons-rubéole et l’autisme via une « entérocolite autistique » (2). Aucune autre recherche ne montra un tel lien. Le Lancet retirera plus tard cet article (3) en reconnaissant des falsifications dans le manuscrit (non respect de l’inclusion de tous les enfants se présentant successivement, absence d’autorisation d’un comité d’éthique). Les données étaient également falsifiées (4).
En mars 2011, Joachim Boldt, chef anesthésiste au Ludwigshafen Hospital, Professeur à l’Université de Giessen en Allemagne, était accusé d’avoir façonné des données concernant des études sur des substances colloïdales (HES, hydroxyéthyl starch hydroxyéthyl, amidons solutés de remplissage vasculaire succédanés du plasma). Il affirmait que ce produit 10 fois plus cher que d’autres apportait des bénéfices alors que d’autres publications montraient un risque de décès péri-opératoire accru, une insuffisance rénale, des hémorragies, une insuffisance cardiaque. De nombreuses publications de cet auteur devaient ensuite être retirées par les éditeurs (5).
Ces trois exemples illustrent deux types de fraude : un façonnage de données pour des patients qui n’existent pas et une falsification de résultats obtenus pour des patients réels ; il n’y manque que le plagiat. Ils montrent aussi la complicité des co-auteurs des articles frauduleux et la faiblesse des éditeurs ou leur manque de moyens dans leur contrôle des données des manuscrits. Ces exemples éclairent aussi d’autres procédés non qualifiables de fraude mais aussi inacceptables : le non respect des patients (absence d’accord d’un comité éthique, examens ou traitements réalisés sans l’accord éclairé du patient), l’appât du gain plutôt que la recherche de l’amélioration des soins à des patients.
Conflits d’intérêt
L’importance de conflits d’intérêt financiers est illustrée dans les exemples ci-dessus. Un journaliste du Sunday Times, Brian Deer, a également identifié (6) des conflits d’intérêts non déclarés de Wakefield dans l’affaire citée plus haut, notamment pour un test de dépistage de « l’entérocolite autistique », avec un prospectus pour les investisseurs potentiels qui fait miroiter un revenu possible de 32 millions d’euros pour ce test de dépistage. Ce genre de document est très révélateur des motivations non scientifiques du personnage. Cette relation ambiguë entre science orientée meilleurs soins au patient et science orientée rentabilisation financière de l’investissement consacré à une recherche scientifique (rentabilisation pouvant signifier recherche d’un bénéfice maximal) passe par l’existence de conflits d’intérêt. En dehors de tout aspect de fraude caractérisée, les conflits d’intérêt ont un impact prouvé sur les résultats publiés dans les études. Par exemple, l’influence de la sponsorisation d’une étude sur les conclusions de la recherche peut être fort importante : les études sponsorisées recommandent 5,3 fois plus souvent (OR 5,3 ; IC à 95% de 2,0 à 14,4) le produit évalué comme étant le produit de choix que les études non sponsorisées (7). Des méta-analyses donnent également des résultats plus favorables si elles sont sponsorisées par des firmes pharmaceutiques (8) : pour 124 méta-analyses concernant les antihypertenseurs, celles qui ont un lien avec une firme pharmaceutique (40%) ne montrent pas de meilleurs résultats mais, par contre, ont une conclusion plus favorable au médicament de la firme (OR de 5,11 avec IC à 95% de 1,54 à 16,92). Sans fraude stricte, le lecteur (rapide) est quand même trompé…
Même les guides de pratique clinique (GPC) ?
Les publications précitées de Boldt avaient été reprises dans certains GPC, GPC qui ont dû être remaniés en fonction des informations concernant son auteur indélicat (5). Cette information a un aspect inquiétant : les auteurs des GPC ont-ils la capacité de dépister des fraudes ? Quel contrôle exercent-t-ils sur les sources qu’ils utilisent ? Sont-ils eux aussi dans la sphère d’influence des conflits d’intérêt ? L’analyse de 17 guides de pratique récents de l’American College of Cardiology/American Heart Association (9) montre que 56% des co-auteurs de GPC ont déclaré des conflits d’intérêt. Dans le jeu difficile d’équilibre entre recherche d’une qualité optimale des GPC en se basant sur l’expérience et le point de vue des experts et la sécurité d’une non influence des recommandations par des conflits d’intérêt financiers et intellectuels, Guyatt et coll. ont récemment proposé plusieurs mesures (10) : critères clairs de définition de conflits d’intérêt intellectuels et financiers, responsabilité de chaque chapitre du GPC confiée à un méthodologiste sans conflit d’intérêt important, recommandations précises rédigées par les auteurs sans conflit d’intérêt important.
Il ne s’agit pas de faire un amalgame entre fraudes et tout conflit d’intérêt. Nous insistons sur la nécessité d’être attentif aux conflits d’intérêt dans les publications médicales, un des moyens de dépister des conclusions sous influence ou une éventuelle (rare) fraude. Une solution plus institutionnelle est également possible. En France, suite à l’affaire « Mediator », la constitution d’une « Commission indépendante de contrôle des résultats et de la méthodologie d’évaluation des essais cliniques » est proposée. Il reste aussi à gérer plus correctement les conflits d’intérêt. |
Références
- Lenzer J. Prominent celecoxib researcher admits fabricating data in 21 articles. BMJ 2009;338:b966.
- Wakefield AJ, Murch SH, Anthony A, et al. Ileal-lymphoid-nodular hyperplasia, non-specific colitis, and pervasive developmental disorder in children. Lancet 1998;351:637-41.
- The Editors of the Lancet. Retraction-ileal-lymphoid-nodular hyperplasia, non-specific colitis, and pervasive developmental disorder in children. Published online 2 February 2011.
- Godlee F, Smith J, Marcovitch H. [Editorial] Wakefield’s article linking MMR vaccine and autism was fraudulent. BMJ 2011;342:c7452 (published 5 January 2011).
- Blake H, Watt H, Winnett R. Millions of surgery patients at risk in drug research fraud scandal. The Telegraph, 03 Mar 2011 (retrieved 2011-03-03).
- Deer B. How the vaccine crisis was meant to make money. BMJ 2011;342:c5258 (published 11 January 2011).
- Als-Nielsen B, Che W, Gluud C, et al. Association of funding and conclusions in randomized drug trials. A reflection of treatment effect or adverse events? JAMA 2003;290:921-8.
- Yank V, Rennie D, Bero LA. Financial ties and concordance between results and conclusions in meta-analyses: retrospective cohort study. BMJ 2007;335:1202-5.
- Mendelson TB, Meltzer M, Campbell EG, et al. Conflicts of interest in cardiovascular clinical practice guidelines. Arch Intern Med 2011;171:577-85.
- Guyatt G, Aki EA, Hirsh J, et al. The vexing problem of guidelines and conflict of interest: a potential solution. Ann Intern Med 2010;152:738-41.
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