Revue d'Evidence-Based Medicine



La largeur du brassard du tensiomètre influence-t-elle le résultat de la mesure de la pression artérielle ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 2 Page 26 - 29

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien, Sage-femme

Analyse de
Ishigami J, Charleston J, Miller ER, et al. Effects of cuff size on the accuracy of blood pressure readings: the Cuff (SZ) randomized crossover trial. JAMA 2023;183:1061-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2023.3264


Question clinique
Avec les mesures oscillométriques automatiques de la pression artérielle, y a-t-il une différence dans la pression artérielle mesurée lorsque le brassard utilisé n’est pas de la taille appropriée ?


Conclusion
Cette étude croisée, randomisée, contrôlée, en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre qu’un brassard de taille trop grande pour la circonférence du bras sous-estime la pression artérielle et vice versa. Cela peut conduire à un surdiagnostic ou un sous-diagnostic de l’hypertension et donc à des erreurs dans la prise en charge de l’hypertension.


Contexte

Les directives internationales de l’Organisation mondiale de la santé (World Health Organization, WHO) et de la Société internationale d’hypertension (International Society of Hypertension, ISH) décrivent les techniques standards pour une mesure conventionnelle de la pression artérielle et indiquent la taille recommandée du brassard du tensiomètre : le brassard doit être d’une taille appropriée, couvrant au moins 80% du haut du bras, la partie gonflable faisant 13 à 15 cm de large et 30 à 35 cm de long (1). Déjà à la fin du siècle dernier, on savait qu’un brassard trop étroit surestimait la pression artérielle (2). Une synthèse méthodique de 2017 ayant inclus cinq études a montré que la taille du brassard influence considérablement la valeur de la pression artérielle obtenue lors d’une mesure auscultatoire habituelle de la tension par le médecin (3) : un brassard trop étroit par rapport à la circonférence du haut du bras surestime la pression systolique et la pression diastolique, et, à l’inverse, un brassard trop large sous-estime la tension. Une nouvelle étude clinique vise à quantifier plus précisément cette différence dans le cas d’une mesure oscillométrique automatique de la pression artérielle par des personnes qui ne sont pas médecins (4).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • inclusion d’adultes ayant une tension artérielle systolique ≥ 130 mmHg, par le biais d’un événement de dépistage de la tension artérielle sur un marché alimentaire local et dans une maison de repos et de soins de la ville de Baltimore, ainsi que par l’envoi de courriers électroniques ciblés à des personnes ayant déjà participé à des études, par la mise à disposition d’une brochure relative à l’étude dans une clinique universitaire de l’hypertension et en demandant à des médecins généralistes d’orienter des patients hypertendus adultes vers l’étude
  • critères d’exclusion : éruption cutanée, œdème, paralysie, shunt artérioveineux, présence de plaies, d’ulcères, de bandages de gaze, de bandages moulés au niveau des deux bras, incapacité à donner son consentement, grossesse, circonférence du bras supérieure à 55 cm
  • finalement, inclusion de 195 adultes âgés en moyenne de 54 ans (ET 16 ans), 34% étant de sexe masculin, 68% étant des Noirs ; 39% des participants étaient atteints du diabète, et 51% d’hypertension artérielle ; le BMI moyen était de 28,8 (ET 8,1) kg/m².

 

Protocole de l’étude

Étude croisée randomisée, contrôlée, menée en ouvert 

  • parmi les tailles de brassard disponibles (taille standard (25,1-32 cm), petite taille (20-25 cm), grande taille (32,1-40 cm) et très grande taille (40,1-55 cm)), pour chaque participant la taille la plus adaptée a été déterminée en fonction de la circonférence du bras (mesurée à mi-distance entre l’acromion et l’olécrane, le haut du bras étant stabilisé en flexion à 90°)
  • chez chaque participant, quatre séries de trois mesures consécutives de la pression artérielle ont été effectuées : pour les trois premières séries, trois tailles de brassard ont été utilisées au hasard (adaptée, trop petite ou trop grande), et stratifiées en fonction de la taille de brassard la plus appropriée ; pour la quatrième série, les mesures de la tension artérielle ont été répétées avec la taille de brassard la plus appropriée
  • les quatre séries de mesures de la tension artérielle ont été réalisées selon un protocole strict avec un appareil oscillométrique automatique validé, entre 9 h et 18 h, par deux membres du personnel formés : il était demandé à chaque participant de vider sa vessie et de marcher pendant deux minutes, puis le brassard était placé au niveau du haut du bras droit (ou du bras gauche en cas de plaie ouverte au bras droit) et après cinq minutes de repos en position assise, trois mesures consécutives de la tension artérielle ont été effectuées au moyen du même brassard, avec un intervalle de 30 secondes entre chaque mesure ; le participant était assis, le bras, le dos et les pieds étant soutenus, et le brassard à hauteur du cœur ; les mesures avaient lieu dans un espace privé calme, et aucune conversation ni utilisation d’un smartphone n’était autorisée ; après la première série, le brassard a été retiré, le participant a été invité à marcher à nouveau pendant deux minutes, puis, après cinq minutes de repos, la série suivante de mesures de la tension artérielle a été effectuée ; chaque participant a ainsi effectué quatre séries de chaque fois trois mesures consécutives.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : différence de pression artérielle systolique et diastolique moyenne avec le brassard standard et avec le brassard le plus adapté
  • critère de jugement secondaire : différence de pression artérielle systolique et diastolique moyenne avec un brassard trop large ou trop étroit et avec le brassard le plus approprié
  • analyses de sensibilité selon la pression systolique ≥ 130 versus < 130 mmHg ; BMI ≥ 30 versus < 30 ; première série de mesures avec le brassard adapté versus deuxième série de mesures avec le brassard adapté
  • comme pression systolique et diastolique moyenne, on a chaque fois pris la moyenne des trois mesures.

 

Résultats

  • principal critère de jugement :
    • chez les patients pour qui le brassard le plus adapté était le brassard étroit (n = 35), les pressions systolique et diastolique moyennes avec le brassard standard étaient inférieures, et ce de manière statistiquement significative (respectivement -3,6 mmHg avec IC à 95% de -5,6 à -1,7 mmHg, p < 0,001 et -1,3 mmHg avec IC à 95% de -2,4 à -0,2, p = 0,02)
    • chez les patients pour qui le brassard le plus adapté était le brassard large (n = 66), les pressions systolique et diastolique moyennes avec le brassard standard étaient supérieures, et ce de manière statistiquement significative (respectivement +4,8 mmHg avec IC à 95% de 3,0 à 6,6 mmHg, p < 0,001 et +1,8 mmHg avec IC à 95% de 1,1 à 2,6, p < 0,001)
    • chez les patients pour qui le brassard le plus adapté était le brassard extralarge (n = 40), les pressions systolique et diastolique moyennes avec le brassard standard étaient supérieures, et ce de manière statistiquement significative (respectivement +19,5 mmHg avec IC à 95% de 16,1 à 22,9 mmHg, p < 0,001 et +7,4 mmHg avec IC à 95% de 5,7 à 9,1, p < 0,001)
  • critère de jugement secondaire : plus le brassard utilisé s’écartait du brassard le plus adapté, plus les différences de pression artérielle systolique et diastolique moyenne étaient importantes.

 

Conclusion des auteurs

Dans cette étude croisée randomisée contrôlée, l’utilisation d’un brassard inapproprié a entraîné une mesure inexacte de la pression artérielle. Ceci est particulièrement préoccupant si l’on utilise un brassard standard systématiquement pour tous les patients sans tenir compte de la circonférence du bras. Il est nécessaire de souligner à nouveau combien il est important d’individualiser la taille du brassard.

 

Financement de l’étude

Financement non mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Conflit d’intérêt non mentionné.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Vu la méthode de recrutement, un biais de sélection ne peut être exclu dans cette étude car il se peut que les participants qui ont été inclus étaient des personnes plus motivées. La randomisation en séquence de mesures de pression artérielle avec le brassard le plus approprié, avec le brassard trop étroit et avec le brassard trop large a été effectuée correctement avec stratification en fonction de la taille de brassard la plus appropriée. Les mesures de la tension ont été effectuées selon un protocole strict. Le fait de marcher pendant deux minutes entre deux séries est important pour neutraliser un éventuel effet bénéfique des mesures répétées sur la pression artérielle (régression vers la moyenne). En outre, dans cette étude croisée, cela aurait pu avoir un effet de rémanence (5).
Aucun calcul de puissance n’a été effectué pour montrer une pertinence clinique. Les chercheurs avaient pour objectif de recruter environ 35 participants pour les quatre tailles de brassard (étroit, standard, large, extralarge). De plus, la valeur seuil de la pression systolique a été abaissée de 140 mmHg à 130 mmHg de manière à augmenter le nombre de personnes atteintes d’hypertension artérielle. Les auteurs se reportent - sans référence - aux guidelines américains sur l’hypertension artérielle, qui ne correspondent pas aux guides de pratique belges et néerlandais (1,6). Une seule personne sur les 195 participants (une personne ayant un tour de bras important) a quitté l’étude prématurément car les mesures de la tension artérielle n’avaient pas été obtenues en nombre suffisant. Du fait de ce faible taux d’échec, les résultats de cette conception croisée sont fiables.
Pour tous les participants, les mesures de la pression artérielle ont été complétées par une série avec le brassard le plus adapté. De cette manière, une analyse de sensibilité a permis de vérifier si la tension avec le brassard « le plus approprié » était reproductible et donc fiable. Les analyses de sensibilité n’ont pas pu montrer de différence dans les résultats. 

 

Évaluation des résultats

Les différences constatées dans la pression systolique et diastolique entre une mesure avec le brassard le plus approprié et un brassard trop étroit ou trop large étaient statistiquement significatives, et également cliniquement pertinentes pour ce qui est de la pression systolique. Une sous-estimation de la pression systolique en utilisant un brassard trop grand, ainsi qu’une surestimation en utilisant un brassard trop petit peuvent conduire respectivement à un sous-diagnostic et à un surdiagnostic de l’hypertension. Des recherches plus approfondies à ce sujet sont certainement utiles. Une série supplémentaire de mesures de la pression artérielle en utilisant la méthode auscultatoire aurait été intéressante car la technique d’oscillométrie, basée sur l’enregistrement des variations de l’onde de pression dans l’artère brachiale, est tout de même fondamentalement différente de la méthode « standard » utilisant un tensiomètre à mercure et un stéthoscope (7). Par exemple, les valeurs observées avec la mesure oscillométrique de la tension sont plus élevées qu’avec la méthode auscultatoire, en particulier chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA) (8). Les circonférences de bras extrêmement minces ou obèses étaient également sous-représentées (BMI moyen : 28,8 kg/m² (ET 8,1), et circonférence moyenne du bras : 34 cm (ET 7,2)). 
Concernant la possibilité d’une inexactitude dans la mesure de la pression artérielle, une synthèse méthodique de 2017 (9) a identifié 24 causes potentiellement liées aux patients. Le protocole de cette étude tient compte de la plupart de ces facteurs de confusion. Néanmoins, il en manque certains (qui sont pourtant mentionnés dans les guidelines (1)), comme : le patient ne doit ni fumer ni boire de café durant les 30 minutes qui précèdent la mesure, pas d’exposition au froid, le dégonflage du brassard doit se faire lentement (2 mm/sec), il faut respecter un intervalle de 1 minute entre deux mesures consécutives, d’abord déterminer s’il y a une différence de pression artérielle entre les deux bras et, en cas de différence > 10 mmHg, utiliser le bras où la tension est la plus élevée. Par contre, les guides de pratique ne précisent nulle part que la circonférence du bras doit être mesurée. Une récente étude américaine rapporte que le brassard standard est adapté chez seulement 51% des adultes et que chez 40%, c’est un brassard plus large qui convient (10), alors que la plupart des tensiomètres ne sont disponibles qu’avec un brassard standard.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ? 

Le brassard du tensiomètre doit être d’une taille appropriée, couvrant au moins 80% du haut du bras, la partie gonflable faisant 13 à 15 cm de large et 30 à 35 cm de long (1). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude croisée, randomisée, contrôlée, en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre qu’un brassard de taille trop grande pour la circonférence du bras sous-estime la pression artérielle et vice versa. Cela peut conduire à un surdiagnostic ou un sous-diagnostic de l’hypertension et donc à des erreurs dans la prise en charge de l’hypertension.

 

 

 

Références 

  1. Hypertension. Guide de pratique clinique belge. SSMG 2009. Pdf available at:
    https://ebpnet.be/fr/ebsources/447
  2. Maxwell MH, Waks AU, Schroth PC, et al. Error in blood pressure measurement due to incorrect cuff size in obese patients. Lancet 1982;2:33-6. DOI: 10.1016/s0140-6736(82)91163-1
  3. Kallioinen N, Hill A, Horswill MS, et al. Sources of inaccuracy in the measurement of adult patients’resting blood pressure in clinical settings: a systematic review. J Hypertens 2017;35:421-41. DOI: 10.1097/HJH.0000000000001197
  4. Ishigami J, Charleston J, Miller ER, et al. Effects of cuff size on the accuracy of blood pressure readings: the Cuff (SZ) randomized crossover trial. JAMA 2023;183:1061-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2023.3264
  5. Lemiengre M. Quelle place pour les études avec permutation ? MinervaF 2013;12(6):77.
  6. Cardiovasculair risicomanagement. NHG-Standaard (M84). Published: 6/2019.
  7. White WB, Lund-Johansen P, Omvik P. Assessment of four ambulatory blood pressure monitors and measurements by clinicians versus intraarterial blood pressure at rest and during exercise. Am j Cardiol 1990;65:60-6. DOI: 10.1016/0002-9149(90)90026-w
  8. O'Brien E, Waeber B, Parati G, et al. Blood pressure measuring devices: recommendations of the European Society of Hypertension. BMJ 2001;322:531-6. DOI: 10.1136/bmj.322.7285.531
  9. Kallioinen N, Hill A, Horswill MS, et al. Sources of inaccuracy in the measurement of adult patient’s resting blood pressure in clinical settings : a systematic review. J Hypertens 2017;35:421-41. DOI: 10.1097/HJH.0000000000001197
  10. Jackson SL, Gillespie C, Shimbo D, et al. Blood pressure cuff sizes for adults in the United States: National Health and Nutrition Examination Survey, 2015-2020. Am J Hypertens 2022;35:923-8. DOI: 10.1093/ajh/hpac104

 




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