Revue d'Evidence-Based Medicine



Qu’est-ce qu’une méta-analyse en réseau par composantes ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 6 Page 153 - 155

Professions de santé


Dans ce numéro de Minerva, nous publions un commentaire sur une méta-analyse en réseau par composantes concernant l’effet de la thérapie cognitivo-comportementale en cas d’insomnie chronique (1,2). Nous avions déjà discuté d’une méta-analyse en réseau par composantes qui concernait l’utilité des interventions comportementales pour l’arrêt du tabagisme. Il en ressortait qu’il existait des preuves solides de l’effet des composantes de « conseil » et d’« incitation financière » qui font souvent partie de telles interventions. Pour les autres composantes, les preuves de l’effet sur le sevrage tabagique étaient modérées à faibles. En outre, des incertitudes subsistaient quant aux interactions possibles entre les différentes composantes et quant à l’effet additif des différentes composantes (3,4). Dans cet article méthodologique, nous développons notamment les notions de « composantes des interventions », d’« effet additif », d’« interactions ».

 

Qu’est-ce qu’une méta-analyse en réseau ?

Pour bien comprendre ce qu’implique une méta-analyse en réseau, il est important de rappeler son utilité et les critères méthodologiques auxquels ce modèle de recherche doit répondre. 
Lorsqu’une recherche bibliographique systématique permet d’identifier plusieurs études portant sur l’effet ou la sécurité de différentes interventions, il est possible de les mettre en réseau. La figure 1 illustre un tel réseau sur l’effet de la thérapie cognitivo-comportementale dans l’insomnie chronique (2).

 

Figure 1. Méta-analyse en réseau des études qui ont examiné l’effet de la thérapie cognitivo-comportementale dans l’insomnie chronique (source : Furukawa Y, Masatsugu S, Yamamoto R, et al. Components and delivery formats of cognitive behavioral therapy for chronic insomnia in adults : a systematic review and component network meta-analysis. JAMA Psychiatry 2024;81:357-65. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2023.5060.

 

Les interventions sont représentées par des nœuds. Les connexions entre ces nœuds symbolisent le nombre de comparaisons directes entre les interventions ou entre les interventions et le traitement habituel dans les différentes études randomisées contrôlées (RCTs). Plus ces connexions sont épaisses, plus le nombre de comparaisons directes est élevé. Par exemple, la thérapie cognitivo-comportementale a été comparée directement 76 fois à la psychoéducation, mais seulement 6 fois au traitement habituel. Aucune étude n’a comparé directement la thérapie de relaxation au traitement habituel. Mais, par le biais de la thérapie cognitivo-comportementale (flèches jaunes) il existe un lien indirect entre la thérapie de relaxation et le traitement habituel. Ainsi, bien qu’aucune étude n’ait jamais été menée pour comparer la thérapie de relaxation directement avec le traitement habituel, nous pouvons utiliser la transitivité pour comparer indirectement la thérapie de relaxation avec le traitement habituel par le biais de la thérapie cognitivo-comportementale comme traitement commun. 
Toutefois, cette comparaison indirecte ne donnera de résultats valables que si les modificateurs d’effet (variables susceptibles d’influencer la différence d’effet entre la thérapie de relaxation et le traitement habituel) sont répartis de manière égale. La transitivité n’est donc possible que si les études utilisées comparant la thérapie de relaxation à la thérapie cognitivo-comportementale d’une part et la thérapie cognitivo-comportementale au traitement habituel d’autre part sont suffisamment comparables en termes de caractéristiques cliniques (caractéristiques des patients, contexte de l’étude, suivi) et méthodologiques. On parle aussi de similarité, laquelle est donc une condition préalable à la transitivité. Pourquoi est-ce si important ? Supposons que la thérapie cognitivo-comportementale soit plus efficace chez les personnes souffrant de formes plus sévères d’insomnie et qu’elle ait été étudiée principalement dans cette population. Et supposons que la thérapie de relaxation ait été principalement étudiée chez des personnes souffrant de formes légères d’insomnie. Il se peut alors qu’une comparaison indirecte surestime l’effet de la thérapie de relaxation par rapport au traitement habituel. Outre la similarité, il est également important que les résultats des comparaisons directes soient suffisamment homogènes (comme pour toute méta-analyse) et que les résultats des comparaisons directes soient cohérents avec les résultats des comparaisons indirectes (5). 

 

Qu’est-ce qu’une méta-analyse en réseau par composantes ?

Souvent, peu d’études sont menées sur les interventions complexes, et les résultats des méta-analyses en réseau portant sur des interventions complexes manquent donc souvent de précision. Cependant, il est généralement possible de décomposer les interventions complexes en différentes composantes. Ainsi, la thérapie cognitivo-comportementale peut être divisée en composantes cognitives (telles que la restructuration cognitive) et en composantes comportementales (telles que la restriction de sommeil et le contrôle des stimuli). Prenons un exemple fictif permettant de mieux comprendre. Dans la figure 2 ci-dessous, nous pouvons diviser l’intervention A+B+C en composantes A, B et C. L’intervention A+B comprend les composantes A et B sans la composante C. 
 

Figure 2. Exemple fictif d’une méta-analyse en réseau par composantes (source : https://ebm.bmj.com/content/28/3/183) (6).

 

Nous constatons que la plupart des interventions ont été comparées au traitement habituel. Comme pour toute intervention, nous pouvons également calculer l’effet (d) par rapport au traitement habituel pour chaque composante. L’ampleur de l’effet de l’intervention A+C est donc la somme de l’effet de la composante A et de l’effet de la composante C (dA+C = dA + dC). Pour additionner leurs effets, nous supposons toutefois que les composantes n’interagissent pas entre elles. Ce modèle additif est appliqué, par exemple, dans la méta-analyse en réseau par composantes qui a étudié l’effet de la thérapie cognitivo-comportementale dans l’insomnie chronique (2). Cependant, pour la plupart des interventions complexes, des interactions entre plusieurs composantes sont possibles. Ces interactions peuvent entraîner une surestimation ou une sous-estimation de l’effet des composantes individuelles. En d’autres termes, un ou plusieurs paramètres peuvent augmenter l’effet de dA+C (dA+C > dA + dC) ou le réduire (dA+C < dA + dC). Ces interactions peuvent être prises en compte dans un modèle d’interaction. Pour que ce modèle soit gérable, il est toutefois important de définir a priori les termes d’interaction les plus pertinents sur la base des connaissances théoriques ou cliniques.

 

Autres avantages d’une méta-analyse en réseau par composantes ?

Le fait que la méta-analyse en réseau par composantes compare des composantes individuelles plutôt que des interventions offre également la possibilité d’inclure dans l’analyse des composantes d’interventions qui ne font pas partie du réseau d’études. Ainsi, l’intervention A+B+D a été directement comparée à l’intervention C+E, mais pas aux autres interventions du réseau (voir figure 2). Dans une méta-analyse en réseau ordinaire, nous ne pouvons pas utiliser ces études dans l’analyse. Cependant, les deux interventions comportent des éléments qui sont également présents dans les interventions au sein du réseau. De cette manière, le nombre de comparaisons indirectes est considérablement augmenté, ce qui rendra les résultats finaux plus précis.
Un autre avantage est que l’on peut utiliser les résultats d’une méta-analyse en réseau par composantes pour construire un traitement « optimal » en combinant les composantes les plus efficaces. D’autres recherches devront alors déterminer si ce traitement hypothétique apporte réellement une valeur ajoutée.

 

Quels sont les pièges d’une méta-analyse en réseau par composantes ?

Une méta-analyse en réseau nécessite des informations détaillées sur les différentes interventions dans chaque étude. Mais toutes les études ne détaillent pas les interventions, et il est donc difficile de définir des composantes.
Parfois, il n’est pas possible de distinguer strictement les composantes les unes des autres parce que certaines propriétés se chevauchent. C’est le cas, par exemple, de la méta-analyse en réseau par composantes sur l’insomnie chronique (2). Il en est question dans notre commentaire (1).
Enfin, un biais de sélection des composantes peut également se produire : si certaines composantes ont été étudiées plus souvent que d’autres, cela peut fausser les résultats et donner une image déséquilibrée de l’efficacité des différentes composantes.

 


Conclusion

La méta-analyse en réseau par composantes compare des composantes d’interventions par le biais de comparaisons directes et indirectes. Ce modèle de recherche permet d’utiliser encore plus de données d’études que les méta-analyses en réseau qui se limitent à une comparaison d’interventions. En particulier pour les interventions complexes, cela peut apporter une valeur ajoutée pour estimer l’effet des traitements avec plus de précision. Comme pour les méta-analyses en réseau, la transitivité n’est possible que si les études sont suffisamment comparables ou similaires. En outre, dans les méta-analyses en réseau par composantes, il est important d’aligner les composantes aussi précisément que possible et de prendre en compte les interactions possibles entre elles. 

 

 

 

Références 

  1. Stas P. Thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie chronique : quelles en sont les composantes efficaces, et sous quelles modalités est-elle efficace ? MinervaF 2024;23(6):153-55.
  2. Furukawa Y, Masatsugu S, Yamamoto R, et al. Components and delivery formats of cognitive behavioral therapy for chronic insomnia in adults : a systematic review and component network meta-analysis. JAMA Psychiatry 2024;81:357-65. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2023.5060
  3. Boudrez H, Poelman T. L’utilité des interventions comportementales dans le sevrage tabagique : une méta-analyse en réseau par composantes. MinervaF 2022;21(2):26-30.
  4. Hartmann-Boyce J, Livingstone-Banks J, Ordonez-Mena JM, et al.  Behavioral interventions for smoking cessation: an overview and network meta-analysis. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD013229.pub2
  5. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  6. Tsokani S, Seitidis G, Mavridis D. Component network meta-analysis in a nutshell. BMJ Evidence-Based Medicine 2023;28:183-6.




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