Revue d'Evidence-Based Medicine



Réduction des prescriptions d’antibiotiques en première ligne chez les patients de plus de 65 ans par une information aux prescripteurs.



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 5 Page 103 - 106

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Schwartz KL, Shuldiner J, Langford BJ, et al. Mailed feedback to primary care physicians on antibiotic prescribing for patients aged 65 years and older: pragmatic, factorial randomised controlled trial [published correction appears in BMJ 2024;385:q1261. DOI: 10.1136/bmj.q1261]. BMJ 2024;385:e079329. DOI: 10.1136/bmj-2024-079329


Question clinique
Les médecins de première ligne prescrivent-ils moins d’antibiotiques à des patients âgés de 65 ans ou plus, si des retours d’information leur sont adressés pour leur indiquer leurs taux de prescription d’antibiotiques par rapport aux taux de prescription de leurs pairs ainsi que des retours d'informations ajustées à la population ou aux dangers potentiels de la prescription d’antibiotiques ?


Conclusion
La prescription d’antibiotiques en première ligne de soins est un enjeu majeur de santé publique. Cet essai randomisé contrôlé réalisé en intention de traiter modifiée, de bonne qualité méthodologique, montre que l’envoi de lettres d'information à des médecins de première ligne sur les informations de leur taux personnel de prescription d’antibiotiques comparé à ceux de leurs pairs permet de diminuer de façon significative la prescription d’antibiotiques chez des patients de 65 ans ou plus. Toutefois, la réduction relative observée étant inférieure à l’effet attendu, la puissance statistique post hoc s’est révélée insuffisante pour garantir la robustesse de cette différence. Cela invite à interpréter les résultats avec prudence, malgré leur signification statistique. Par ailleurs, l’hétérogénéité des autres études réalisées sur le sujet (public cible, message transmis) ne permet pas actuellement d’exprimer des lignes de conduites précises sur la façon de réaliser l’intervention.


Contexte

L’utilisation inappropriée des antibiotiques conduit à une résistance croissante des bactéries. Une utilisation prudente des antibiotiques pour la santé humaine et animale est absolument nécessaire (1). Certaines études estiment que 25 à 50% des antibiotiques utilisés dans le cadre des soins primaires dans les pays à revenus élevés sont inutiles ou inappropriés (2). L’utilisation d’antibiotiques en Belgique est supérieure à la moyenne européenne dans le secteur ambulatoire, dans les maisons de repos et dans le secteur vétérinaire (1).
L’effet d’un feedback sur la prescription d’antibiotiques en première ligne a déjà été étudié. Dans une revue systématique de 56 études randomisées contrôlées, les auteurs observent à la suite d’un tel feedback une réduction relative de 11% du volume de prescription d’antibiotiques, une réduction relative de 13% de la durée prolongée du traitement antibiotique et une réduction relative de 17% de la sélection d'antibiotiques à large spectre. Cependant, les auteurs remarquent une importante hétérogénéité entre les études et un manque de cohérence dans l’évaluation de la fidélité des interventions (3).
En 2025, Minerva conclut qu’une intervention multimodale (fourniture de directives issues de guides de pratiques, informations sur les données de résistance régionales, retours personnalisés sur les proportions de prescriptions d’antibiotiques) dans le cadre d’infections urinaires non compliquées chez la femme a permis d’augmenter l’adhésion des médecins généralistes aux recommandations de bonne pratique, en diminuant de 40% la prescription d’antibiotiques de deuxième intention (4,5).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critère d’inclusion : médecins de première ligne de la province d’Ontario au Canada qui prescrivaient des antibiotiques aux personnes âgées de plus de 65 
  • critères d’exclusion :
    • médecins ayant déjà reçu des retours d’information d’autres organismes ou ayant déjà participé à d’autres études similaires 
    • médecins ayant effectué moins de 100 consultations individuelles à des patients âgés de 65 ans ou plus (au cours de l'année la plus récente ou de deux des trois années précédentes)
    • médecins ayant prescrit moins de 10 antibiotiques à des patients âgés de 65 ans ou plus (au cours de l'année la plus récente ou de deux des trois précédentes)
  • au total, la population est constituée de 5046 médecins de première ligne : 2800 hommes et 2246 femmes dont l’âge moyen était de 50,6 ans dans le groupe intervention et 51,2 ans dans le groupe contrôle ; près de la moitié exerçait depuis 25 ans ou plus. 

 

Protocole d’étude

Essai contrôlé randomisé pragmatique et factoriel (6) :

  • une lettre d’information a été envoyée par courrier postal en 2022 aux médecins du groupe intervention ; cette lettre comprenait un message sur le taux personnel de prescription d’antibiotique du praticien durant trois années (du 1er mars 2018 au 28 février 2021) par rapport au taux médian de prescription d'antibiotiques et au quartile le plus bas atteint par d'autres médecins de soins primaires en Ontario 
  • 4 groupes ont été créés dans le groupe intervention selon un plan factoriel 2x2 (ajustement des données pour case-mix / message sur les risques) : le premier groupe recevait ces informations ajustées en fonction des cas et de la population ; le deuxième groupe recevait celles-ci associées à un message sur les effets néfastes des antibiotiques ; le troisième groupe ne recevait pas d’autre information et le quatrième groupe recevait les analyses de données ajustées aux cas et à la population ainsi qu’un message sur les risques liés aux antibiotiques
  • le groupe contrôle ne recevait aucune information particulière 
  • au total, 5046 médecins ont été inclus et analysés : 1005 dans le groupe témoin et 4041 dans le groupe d'intervention (1016 données ajustées en fonction du case mix et messages sur les préjudices, 1006 avec données ajustées en fonction du case mix et aucun message sur les préjudices, 1006 données non ajustées et messages sur les préjudices, et 1013 données non ajustées et aucun message sur les préjudices).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : taux de prescription d'antibiotiques pour 1000 consultations chez les patients de 65 ans ou plus, six mois après l'intervention
  • critères de jugement secondaires :
    • taux de prescriptions d'antibiotiques probablement inutiles pour 1000 consultations 
    • taux de prescriptions d'antibiotiques de plus de sept jours pour 1000 consultations
    • taux de prescriptions d'antibiotiques à large spectre pour 1000 consultations 
  • analyse en intention de traiter modifiée, par régression de Poisson.

 

Résultats

  • le taux moyen de prescription initiale d'antibiotiques pour 1000 visites de patients était de 63,5 (écart type 36,3) dans le groupe d'intervention et de 64,6 (38,9) dans le groupe témoin ; le nombre moyen de visites de patients par médecin pendant la période d'intervention de six mois était de 612,7 (527,4) pour le groupe d'intervention et de 626,6 (547,4) pour le groupe témoin
  • critères de jugement primaires : à six mois, le taux moyen de prescription d'antibiotiques pour 1000 consultations du groupe intervention par rapport au groupe témoin était significativement plus faible : 56,0 (ET 39,2) dans le groupe intervention et 59,4 (écart-type 42,0) dans le groupe de contrôle, soit un taux relatif (RR) de 0,95 (avec IC à 95% de 0,94 à 0,96) 
  • critères de jugement secondaires : 
    • le taux de prescription inutile d’antibiotiques a été plus faible dans le groupe intervention : 7,5 contre 8,6 pour 1000 visites (taux relatif de 0,89 avec IC à 95% de 0,86 à 0,92)
    • le taux de prescriptions pour une durée supérieure à sept jours a diminué : 13,7 contre 16,5 pour 1000 visites (RR de 0,85 avec IC à 95% de 0,83 à 0,87)
    • le taux de prescription d'antibiotiques à large spectre a également diminué dans le groupe intervention par rapport au groupe contrôle : 26 contre 28,5 pour 1000 visites (RR de 0,94 avec IC à 95% de 0,92 à 0,95)
  • les résultats sont restés les mêmes 12 mois après l'intervention 
  • aucun effet significatif n'a été observé en ce qui concerne l’accent mis sur les messages relatifs aux effets néfastes ; une légère augmentation de la prescription d'antibiotiques avec des rapports ajustés aux cas clinique a été notée par rapport à un feedback simple (RR de 1,01 avec IC à 95% de 1,00 à 1,03), mais ces résultats ne sont pas statistiquement significatifs. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les lettres d'information par comparaison avec les pairs ont réduit de manière significative la prescription globale d'antibiotiques, sans que l'ajustement de cas ou les messages sur les effets néfastes des antibiotiques n’apportent d'avantages. Le retour d'informations sur la prescription d'antibiotiques est une intervention évolutive et efficace qui devrait faire partie des initiatives d’amélioration de la qualité dans les soins primaires.

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Aucun n’est signalé.

 

Financement de l’étude

L’étude a été soutenue par l’ICES (Institute for Clinical Science), qui bénéficie d'une subvention annuelle du ministère de la Santé et du ministère des soins de longue durée de l’Ontario (Canada) ; cette étude a également reçu un financement des Instituts de Recherche en Santé du Canada.

 

 

Discussion 

 

Evaluation de la méthodologie

Il s’agit d’un essai randomisé contrôlé, pragmatique, dont l’analyse statistique est effectuée en intention de traiter modifiée. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont adéquatement présentés à l’aide d’un diagramme de flux conforme aux recommandations CONSORT. La séquence d’attribution a été générée par un épidémiologiste indépendant à l’étude, ce qui renforce la qualité de l’attribution. La sélection de l’échantillon s’est faite par une méthode d’échantillonnage aléatoire simple sans remplacement, ce qui signifie que chaque membre a une chance égale d’être sélectionné dans un échantillon. Les médecins ont été répartis au hasard dans une proportion de 4:1 (intervention : contrôle) et de 1:1:1:1 au sein du groupe d’intervention. Les caractéristiques des médecins par groupe sont décrites de façon précise dans un tableau comparatif. L’écart-type est également calculé pour chaque donnée. Les médecins de première ligne dans le groupe intervention ne sont pas à l’aveugle contrairement aux médecins dans le groupe contrôle, ce qui peut générer un biais de performance. 
Les données relatives aux prescriptions d'antibiotiques proviennent de la base de données du Programme de médicaments de l'Ontario, dont l'exactitude des données est supérieure à 99% ce qui permet d’avoir des données de comparaison de qualité (7). Les autres données (consultations médicales, caractéristiques démographiques des patients, admissions des patients à l’hôpital, caractéristiques des prescripteurs) ont été tirées des bases de données de l’ICES, un institut de recherche indépendant à but non lucratif. Les effets de l’intervention ont été exprimés à l’aide de taux relatif avec intervalle de confiance à 95%. Bien que le nombre de médecins inclus ait été légèrement inférieur aux prévisions initiales et que l’étude ait mis en évidence une réduction statistiquement significative du taux de prescription d’antibiotiques dans le groupe intervention, la puissance statistique réelle pour détecter cette différence observée (de 59,4 à 56,0 prescriptions pour 1000 consultations) s’avère limitée. En effet, un calcul post hoc basé sur les tailles d’échantillons et les écarts-types rapportés dans l’article original indique une puissance d’environ 60%, soit en deçà du seuil conventionnel de 80% requis pour garantir la robustesse des résultats. Cette puissance insuffisante invite à interpréter les résultats avec prudence, malgré leur signification statistique.    

 

Évaluation des résultats

Les caractéristiques des participants sont globalement homogènes entre les groupes intervention et contrôle. On retrouve une majorité de médecins ayant plus de 25 ans de pratique dans les deux groupes, ce qui est assez représentatif des médecins de première ligne pratiquant au Canada (8). Les patients étudiés sont âgés de 65 ans et plus, les résultats ne sont donc pas généralisables à l’ensemble de la population. Cette intervention semble transposable dans notre contexte. Les résultats sont exprimés en nombre de prescriptions d’antibiotiques pour 1000 consultations, toutes causes confondues. Il aurait été utile de disposer de données spécifiques aux consultations pour motifs infectieux. Cela n’a sans doute pas été possible avec les bases de données administratives utilisées, mais il aurait été préférable que les auteurs expliquent clairement ce choix. Les auteurs ont effectué des analyses en sous-groupes (année de pratique, sexe, quintile de revenu du quartier, etc.) et aucune différence significative n'a été rapportée en ce qui concerne l'efficacité de l’intervention. Il est intéressant de noter que les auteurs ont suivi des recommandations de meilleures pratiques publiées sur l'optimisation de l'audit et de la rétroaction sur les antibiotiques en soins primaires (9). L'audit et la rétroaction sur les antibiotiques doivent être simples. Les prescripteurs doivent être en mesure de comprendre les données en quelques secondes et de les relier directement à une action souhaitée. Les données trop subtiles, trop complexes, qui fournissent de multiples mesures ou de multiples comparateurs sont moins susceptibles d’être utilisées par les médecins et n’entraîneront pas de changement de comportement.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?


L’hétérogénéité des autres études réalisées sur le sujet (au niveau du public cible et du message transmis notamment) ne permet pas actuellement d’exprimer des lignes de conduites précises sur la façon de réaliser l’intervention d’audit en ce qui concerne la prescription d’antibiotiques chez des patients de plus de 65 ans. 
Cependant, le JPIAMR-PAAN a, en 2023, extrait et compilé des avis d'experts afin d'élaborer des recommandations générales sur les meilleures pratiques pour la comparaison par les pairs de la prescription d’antibiotiques dans la population générale. Ces recommandations sont les suivantes : apporter un environnement favorable ; prendre en compte les obstacles potentiels à la réussite de l’audit ; intégrer d’autres stratégies telles qu’offrir des crédits de formation médicale continue ou des incitations financières et la facilitation des discussions de groupe entre pairs ; offrir la possibilité de ne pas recevoir les audits ; inclure tous les prescripteurs de première ligne ; cibler la réduction des initiations d'antibiotiques, la durée prolongée de traitement et la prescription d’antibiotiques à large spectre inutiles ; fournir des conseils et des ressources éducatives ; fournir des informations sur les antibiotiques crédibles, valides et collectées régulièrement associées à des données cliniques et diagnostiques ; fournir des données compréhensibles ; transmettre les audits sous différentes formes (verbale, papier, électronique) ; transmettre les données via une figure d'autorité respectée ou un collègue ; transmission confidentielle des données ; permettre la discussion entre pairs (9,10).

 

 

Conclusion de Minerva

La prescription d’antibiotiques en première ligne de soins est un enjeu majeur de santé publique. Cet essai randomisé contrôlé réalisé en intention de traiter modifiée, de bonne qualité méthodologique, montre que l’envoi de lettres d'information à des médecins de première ligne sur les informations de leur taux personnel de prescription d’antibiotiques comparé à ceux de leurs pairs permet de diminuer de façon significative la prescription d’antibiotiques chez des patients de 65 ans ou plus. Toutefois, la réduction relative observée étant inférieure à l’effet attendu, la puissance statistique post hoc s’est révélée insuffisante pour garantir la robustesse de cette différence. Cela invite à interpréter les résultats avec prudence, malgré leur signification statistique. Par ailleurs, l’hétérogénéité des autres études réalisées sur le sujet (public cible, message transmis) ne permet pas actuellement d’exprimer des lignes de conduites précises sur la façon de réaliser l’intervention. 

 

 


Références 

  1. Leroy R, Christiaens W, Maertens de Noordhout C, et al. Proposals for a more effective antibiotic policy in Belgium. Health Services Research (HSR). Brussels. Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2019. KCE Reports 311. DOI: 10.57598/R311C
  2. Schwartz KL, Langford BJ, Daneman N, et al. Unnecessary antibiotic prescribing in a Canadian primary care setting: a descriptive analysis using routinely collected electronic medical record data. CMAJ Open 2020;8:E360-E369. DOI: 10.9778/cmajo.20190175
  3. Xu AX, Brown K, Schwartz KL, et al. Audit and feedback interventions for antibiotic prescribing in primary care: a systematic review and meta-analysis. Clin Infect Dis 2025;80:253-62. DOI: 10.1093/cid/ciae604
  4. Abid Y, intervention multimodale en soins primaires visant à réduire les prescriptions d’antibiotiques de seconde ligne pour les infections urinaires chez les femmes. MinervaF 2025;24(1);2-5.
  5. Schmiemann G, Greser A, Maun A, et al. Effects of a multimodal intervention in primary care to reduce second line antibiotic prescriptions for urinary tract infections in women: parallel, cluster randomised, controlled trial. BMJ 2023;383:e076305. DOI: 10.1136/bmj-2023-076305
  6. Schwartz KL, Shuldiner J, Langford BJ, et al. Mailed feedback to primary care physicians on antibiotic prescribing for patients aged 65 years and older: pragmatic, factorial randomised controlled trial [published correction appears in BMJ 2024;385:q1261. DOI: 10.1136/bmj.q1261]. BMJ 2024;385:e079329. DOI: 10.1136/bmj-2024-079329
  7. Levy AR, O'Brien BJ, Sellors C, et al. Coding accuracy of administrative drug claims in the Ontario Drug Benefit database. Can J Clin Pharmacol 2003;10:67-71.
  8. Médecins. Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) / Canadian Institute for Health Information (CIHI). (Site consulté le 16 mars 2025.) 
  9. Schwartz KL, Xu AX, Alderson S, et al. Best practice guidance for antibiotic audit and feedback interventions in primary care: a modified Delphi study from the Joint Programming Initiative on Antimicrobial resistance: Primary Care Antibiotic Audit and Feedback Network (JPIAMR-PAAN). Antimicrob Resist Infect Control 2023;12:72. DOI: 10.1186/s13756-023-01279-z
  10. Dyar OJ, Beović B, Vlahović-Palčevski V, et al; on behalf of ESGAP (the ESCMID [European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases] Study Group for Antibiotic Policies). How can we improve antibiotic prescribing in primary care? Expert Rev Anti Infect Ther 2016;14:403-413. DOI: 10.1586/14787210.2016.1151353


Auteurs

Bragard S.
médecin généraliste
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