Revue d'Evidence-Based Medicine
Prise différée d’antibiotique
En mode différé, un commutateur électrique attend d'avoir complètement reçu et analysé un paquet de données sur un de ses ports d'entrée pour commencer sa retransmission sur un ou plusieurs de ses ports de sortie. Ce mode impose la mise en mémoire tampon de la totalité du paquet et retarde la durée de réception du paquet et sa retransmission, mais garantit l'envoi d'un paquet complet et à l'intégrité vérifiée. Cela implique aussi un délai de commutation.
Pour nous éclairer, reprenons cette approche du mode différé appliquée à un commutateur. Les éléments importants du processus sont, pour un circuit d’informations transmises qui débouche sur une action, l’analyse des données, complète et vérifiée, « décision » de sortie mais avec un certain délai. Pour nous élever au-dessus d’un modèle physique et établir une analogie avec un traitement administré de manière différée à un individu, ajoutons-y la satisfaction de ce sujet (et du thérapeute) mais aussi l’intérêt et les inconvénients de ce délai de traitement introduit. C’est le domaine de la prescription différée.
Prescription différée
La prescription différée est principalement évaluée dans le domaine de l’antibiothérapie. La prescription d’un antibiotique peut être différée dans le temps, c’est-à-dire que le prescripteur peut remettre à son patient une ordonnance en lui indiquant dans quelles circonstances précises mais non immédiates ce patient peut utiliser cette ordonnance (éventuellement en indiquant une date dans la rubrique « délivrable à partir de la date précitée ou à partir du » sur l’ordonnance) (1). Ce stade est celui de l’apport des données, complètes et validées, et celui, aussi, de l’analyse de ces données avec le patient pour sa compréhension des données. La « décision de sortie » sera la prise ou non d’un antibiotique non immédiatement mais après un certain délai en fonction de l’évolution individuelle. En fait, ce n’est pas la prescription de l’antibiotique qui est différée mais bien sa prise (éventuelle). Dans ce processus « différé », lors du contact avec le patient il est capital, et éducatif, d’expliquer le motif d’un essai de prise différée d’un antibiotique.
Prise différée
Pourquoi différer la prise d’un antibiotique ? Les indications les plus fréquentes d’utilisation d’antibiotiques sont les infections des voies respiratoires. Par exemple, au moins la moitié des antibiotiques prescrits en sirop chez les jeunes enfants (tranche d’âge avec prescription plus élevée d’antibiotiques) l’est pour un diagnostic d’otite moyenne aiguë (2). Le bénéfice limité d’une telle prescription sur l’évolution naturelle de la pathologie a été bien décrit, comme il l’a été dans d’autres pathologies infectieuses courantes. Par contre, les inconvénients d’une pression antibiotique sur l’émergence d’une résistance des bactéries sont bien connus, justifiant une prescription réservée et motivée de ces antibiotiques. Il faut encore examiner la sécurité d’une telle démarche de prise différée. Si le fait d’une prise immédiate d’antibiotique semble améliorer plus rapidement la fièvre et la douleur chez un nombre limité d’enfants avec une OMA ou un mal de gorge (3), aucune donnée prospective fiable n’existe quant à un intérêt au niveau de la prévention des complications (fort rares). Aucun bénéfice n’est montré en cas de refroidissement ou de bronchite (3). Un risque plus fréquent de survenue d’une complication lors d’une prescription différée par rapport à une prescription immédiate n’est également pas montré. La prise différée d’antibiotique en cas d’infection respiratoire présente l’intérêt de réduire l’utilisation des antibiotiques dans cette indication (3, 2). Un autre élément important à prendre en compte est la satisfaction du patient… élément capital dans l’acceptation réelle d’une telle modification de comportement.
Patient différent
Pour le patient, le fait de ne pas recourir immédiatement à un antibiotique et de constater qu’une guérison (spontanée) se présente malgré cette absence de traitement renforce son sentiment de satisfaction et est, théoriquement, un gage d’une moindre demande ultérieure d’un antibiotique. La satisfaction du patient est cependant aussi liée au soulagement plus rapide de symptômes ou signes comme la douleur et la fièvre sous antibiotique… ou sous traitement symptomatique ajusté. Les synthèses de la littérature livrent à ce sujet des résultats différents selon la rigueur des critères d’inclusion des études : soit résultats contradictoires (3 études avec satisfaction réduite pour une prescription différée et 2 sans différence (3)), soit 90% de satisfaction des patients désirant au départ un antibiotique, mais décidant, après expérience, d’une prise différée à l’avenir (2 études) (4). Une proposition de prise différée de l’antibiotique selon des critères précis, peut faire partie de la négociation pour une prise de décision partagée (5). Le rôle ultérieur important du pharmacien dans ce processus est également à souligner.
Approche différentielle
Les avantages d’une prise différée par rapport à une prise immédiate semblent donc patents, mais faibles versus absence de prise d’antibiotiques (3) qui doit sans doute rester l’objectif final dans de nombreux cas. La prise de décision partagée avec le patient est cependant le moment essentiel de la démarche de prescription ou non d’un antibiotique à prendre immédiatement ou, éventuellement, de manière différée. La pratique de la médecine reste bien loin de l’usage d’un commutateur électrique.
Références
- BAPCOC. Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire. Edition 2008.
- Cates CJ. Delayed antibiotics for children with acute otitis media: is practice change sustainable? Evid Based Med 2009;14:2-3.
- Spurling GK, Del Mar CB, Dooley L, Foxlee R. Delayed antibiotics for respiratory infections. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3.
- NICE. Respiratory tract infections - antibiotic prescribing. Prescribing of antibiotics for self-limiting respiratory tract infections in adults and children in primary care. National Institute for Health and Clinical Excellence. Clinical guideline 69, 2008.
- Butler C, Kinnersley P, Prout H, et al. Antibiotics and shared decision-making in primary care. J Antimicrob Chemotherapy 2001;48:435-40.
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