Revue d'Evidence-Based Medicine



Editorial: Que faisons-nous de nos échantillons ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 8 Page 113 - 113

Professions de santé


 

La gestion des échantillons médicamenteux normalement soumis à prescription demande réflexion. Passons le fait d’être influencé par la visite d’un délégué commercial et attardons-nous sur notre manière de les gérer.

A qui les réservons-nous ? Quand les prescrivons-nous ? Quels sont les médicaments les plus couramment distribués ?

 

Réservons-nous les échantillons aux personnes avec de faibles revenus ? Les médecins en sont pour la plupart convaincus (1) et le monde pharmaceutique également. Un directeur commercial de l’industrie pharmaceutique écrivait récemment dans le New York Times (2) : « de nombreux non assurés et les patients à faibles revenus bénéficient des échantillons gratuits qui servent souvent de filet de sécurité ». Il faut savoir en effet qu’aux États-Unis, la valeur au détail des médicaments distribués gratuitement est passée de 4,9 milliards de dollars en 1996 à 16,4 en 2004. Nous ne connaissons pas les chiffres en Belgique.

 

Une étude portant sur 32 681 patients représentatifs de la population générale américaine, de qualité méthodologique élevée, est parue en février 2008 (3). Elle montre que, en 2003, 12% des Américains ont reçu au moins un échantillon et que 18,7% des patients ayant reçu une prescription médicamenteuse ont bénéficié au moins une fois d’un échantillon gratuit. Cependant, 12,9% des patients bénéficiant d’une assurance continue tout au long de l’année ont reçu au moins un échantillon gratuit contre seulement 9,9% des patients qui n’en bénéficient pas ou seulement une partie de l’année (p<0,001). Parmi les échantillons distribués, 28,1% le furent à des ménages avec deux enfants, en situation précaire, contre 71,9% à des ménages bénéficiant de revenus corrects. Enfin, 10,8% des personnes à faibles revenus ont reçu au moins 1 échantillon gratuit contre 12,8% des personnes à revenus élevés (p<0,001).

 

Analysés par groupe de population, les résultats sont également interpellants : les non blancs, hispaniques, non anglophones et les personnes nées ailleurs qu’aux E-U reçoivent significativement moins d’échantillons gratuits. Il en est de même pour les patients fréquentant les hôpitaux ou pour les patients n’ayant aucun prestataire attitré par rapport aux patients fréquentant une structure de soins définie (p<0,001). Il en est de même pour les femmes et les personnes de > 65 ans.

 

Les échantillons les plus fréquemment donnés en 2003 furent les suivants par ordre décroissant : atorvastatine, féxofénadine, fluticasone/salmétérol, célécoxib, ésoméprazole, rofécoxib, métoprolol, lansoprazole, amlodipine et sertraline. Il s’agit donc de médicaments souvent récents et plus chers, peu utilisés en situation d’urgence.

 

Vu les problèmes de sécurité de certains de ces médicaments, nous rejoignons l’Association of American Medical Colleges TASK Force quand elle exhorte les professeurs universitaires maîtres de stage et tout accompagnant d’étudiant en médecine à ne pas banaliser le fait de laisser un échantillon gratuit au patient. Gratuit ne veut pas dire sans danger ! Ce n’est pas parce qu’on dispose d’échantillons gratuits qu’il ne faut pas exercer une évaluation critique du médicament et oublier les recommandations de bonne pratique (4).

 

Le plus important est cependant peut-être ce qu’il y a derrière ces résultats. Nous ne voulons pas remettre en cause les efforts sincères des médecins de tenter de donner les échantillons gratuits aux plus pauvres. Cette étude révèle cependant que les non assurés et les plus défavorisés étaient plus susceptibles de recourir à des hôpitaux ou à des services d’urgence alors que ce sont finalement les patients les plus à même de fréquenter des centres de santé primaires qui bénéficient le plus des échantillons : les Américains blancs en ordre d’assurance. Même si une des limites importantes de cette étude est de savoir dans quelle mesure les plus pauvres ont ressenti comme embarrassant voire honteux le fait d’avouer recevoir un échantillon gratuit, n’y a-t-il là qu’un hasard ou cette étude met-elle en évidence une donnée difficile à appréhender : l’accessibilité aux soins et le suivi de la santé ?

 

Comme les auteurs, nous posons le constat suivant : malheureusement, malgré les efforts réels des médecins de privilégier les nécessiteux quand ils distribuent des échantillons gratuits, ils ne peuvent compenser les plus grands obstacles à l’accès aux soins. De plus, au vu des échantillons distribués, il y a lieu de se poser la question suivante : les échantillons, s’ils ne peuvent servir de filet de sécurité, ne sont-ils pas, en définitive, un outil de marketing supplémentaire ?

 

 

Références

  1. Maguire P. Samples:cost-driver or safety net? ACP Observer (online); 2001. Accès le 17 mai 2008.
  2. Johnson K. Drug samples to doctors. New York Times. February 9, 2006:A26.
  3. Cutrona SL, Woolhandler S, Lasser KE, et al. Characteristics of recipients of free prescription drug samples: a nationally representative analysis. Am J Public Health 2008;98:284-9.
  4. Association of American Medical Colleges. Industry Funding of Medical Education. Report of an AAMC Task Force. June 2008.

 

Editorial: Que faisons-nous de nos échantillons ?

Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
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