Revue d'Evidence-Based Medicine
Prévention des escarres de décubitus
Résumé
Contexte
Les escarres de décubitus constituent un problème important principalement dans le contexte des soins de santé de patients chroniques. Le coût lié à leur traitement est élevé. Les preuves de l’efficacité de mesures et de matériel divers utilisé pour leur prévention sont peu nombreuses.
Méthodologie
Synthèse méthodique
Sources consultées
- MEDLINE, EMBASE et CINAHL jusqu’en juin 2006
- UMI Proquest Digital Dissertations
- ISI Web of Science, Cambridge Scientific Abstracts
- listes de références des articles sélectionnés.
Etudes sélectionnées
- RCTs reprenant des critères cliniques pertinents (p ex incidence d’escarres de décubitus)
- 59 RCTs sélectionnées parmi 763 publications ; 13 845 patients
- critères de qualité utilisés : 6 des 10 critères CLEAR NPT pour l’évaluation des RCTs non pharmacologiques; seules 3 études satisfont à tous les critères ; 7 ne satisfont qu’à un seul critère.
Critères CLEAR NPT |
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Population étudiée
Toutes les études sélectionnées ont été réalisées en institution de soins : hospitalisation aiguë (70% des patients inclus), institutions pour soins chroniques (17%), services de revalidation (2,5%) et institutions mixtes (12,5%).
Mesure des résultats
Diminution ou non des escarres de décubitus dans le groupe intervention.
Résultats
1. Interventions ciblant une remédiation à la mobilité réduite
- 51 études avec un suivi variant de 1 à 224 jours ; n=11 551
- matelas et coussins répartissant les charges de manière statique (eau, air, gel ou mousse) et systèmes dynamiques (matelas à pression alternée, matelas à chambres à air séparées, coussins remplis de gel) : 16 études dont 4 dans des unités de soins chroniques comparant un système statique avec un matelas standard : seuls des protège-matelas en mousse ou en peau de mouton (N=2) semblent supérieurs à des protège-matelas standard, en soins chroniques ; 14 études dont 3 effectuées lors de soins chroniques comparent matériel statique et dynamique, sans montrer de différence dans la prévention d’escarres en soins chroniques
- changement de position toutes les 4 heures avec un matelas spécial versus changement de position toutes les 2 heures avec un matelas normal : une seule étude, de piètre qualité méthodologique, effectuée en soins chroniques, montre une incidence moindre d’escarres avec la première intervention
- exercices de continence : une étude ne montre pas d’effet.
2. Interventions ciblant l’amélioration de l’état nutritionnel
5 études sur un suivi de 14 à 182 jours ; n=1 475 : 1 seule étude en soins chroniques, sans différence observée entre un régime avec suppléments et un régime standard.
3. Interventions ciblant l’amélioration de l’état cutané
- 3 études avec un suivi de 21 à 30 jours : aucune étude effectuée pour des soins chroniques.
- Conclusion des auteurs
- Les auteurs de cette synthèse méthodique concluent que des supports de repos favorables, le repositionnement du patient, l’optimisation de l’état nutritionnel et l’humidification de la peau au niveau du sacrum sont des méthodes efficaces de prévention des escarres de décubitus. Ils réclament cependant des études avec méthodologie correcte, évaluant également les aspects coût/efficacité de ces interventions.
Financement
Canadian Institutes of Health Research, Ontario Ministry of Health and Long-Term Care.
Conflits d’intérêt
Les auteurs signalent l’absence de mention de conflits d’intérêt dans les études originales ; les institutions finançant la synthèse méthodique ne sont intervenues à aucun moment dans celle-ci.
Discussion
Méthodologie
Au terme d’une recherche correcte, les auteurs ne se sont pas, à juste titre, aventurés dans une méta-analyse. Les RCTs sommées sont déjà, à première vue, fort différentes au point de vue question de recherche, méthodologie et critère d’évaluation. Dans un souci d’apporter quelque structure dans une variété importante de protocoles, les auteurs ont regroupé les études par domaine d’intervention : mobilité, état nutritionnel et soins cutanés. Une hétérogénéité clinique importante persiste cependant entre les études ainsi regroupées, encore renforcée par les contextes différents : hôpital, maisons de soins, centres de revalidation. Quelle extrapolation possible en première ligne de soins ? La durée des études varie de 1 à 224 jours.
Malgré la mention d’un score, classique, de Jadad, la qualité méthodologique des différentes RCTs est surtout évaluée suivant les critères CLEAR NPT pour les études non pharmacologiques : seules 3 études sur les 59 incluses ont un score acceptable. La qualité d’une synthèse dépend de la qualité des études qu’elle inclut, ce qui pose question pour celle-ci. Nous ne pouvons également pas exclure un biais de publication, l’inventaire des études montrant un nombre important de petites études, avec probabilité de non publication de celles présentant un résultat négatif. Nous ne pouvons l’affirmer, entre autres au vu de l’absence d’un funnel plot. L’existence d’une hétérogénéité statistique n’est pas à évoquer dans un tel contexte. Cet article se résume à une accumulation d’études sans calcul statistique possible, ce qui ne permet pas non plus de tirer de conclusions. Intéressant, important, mais un premier pas seulement sur la route encore longue vers l’evidence-based medicine.
En perspective des guides de pratique belges
Malgré la faiblesse méthodologique de cette étude, les auteurs estiment que des conclusions peuvent être tirées pour la pratique. Celles-ci sont cependant en contraste flagrant avec les recommandations formulées dans le guide de pratique belge pour la prévention des escarres de décubitus (1). Les auteurs de ce texte de consensus ne peuvent également se baser sur des méta-analyses, mais leur interprétation de la littérature disponible (plus large que les références incluses dans cette synthèse) semble plus transparente. Ils affirment que pour la prévention des escarres les peaux de mouton, mais aussi les frictions à la glace, les pansements (gras) protecteurs, la chaleur locale, l’éosine, les huiles d’escarre et bandages ne sont pas indiqués (1). D’autre part, en ce qui concerne l’optimisation de l’état nutritionnel, le guide de pratique belge mentionne que l’évaluation de l’état nutritionnel est un indicateur de risque d’escarre, mais une mesure préventive inefficace. Selon ses auteurs, les études évaluant l’importance de suppléments alimentaires, dans lesquelles le groupe contrôle montre un risque relatif de développer des escarres statistiquement significativement plus élevé (2), apportent un niveau de preuve insuffisant pour une prévention des escarres (liés à la pression et la force de friction) par des suppléments alimentaires (3).
Pour la pratique
Cette synthèse confirme surtout la faible qualité méthodologique de la plupart des RCTs concernant la prévention des escarres de décubitus. Il existe cependant des guides de pratique élaborés par des experts (1) ou des institutions réputées (4) qui interprètent la littérature de manière plus critique que ne le font les auteurs de cette synthèse. Ils donnent également les informations nécessaires aux soignants. L’implantation de ces recommandations est un autre aspect intéressant, non aisée comme l’observe une récente enquête (5). Nous ne pouvons que déplorer cette pauvreté de données scientifiques dans un domaine aussi fréquent que la prévention des escarres de décubitus, problème très fréquent en première ligne de soins, avec une morbimortalité élevée. N’est-il pas urgent que les décideurs octroient une priorité à cette recherche ? En cette absence, des dépenses importantes sont consacrées à des traitements et des moyens qui ne reposent pas sur l’evidence-based medicine et qui prospèrent grâce à cette absence de preuve fiable.
Conclusion
Cette synthèse méthodique montre le manque de RCTs de bonne qualité méthodologique dans le domaine de la prévention des escarres de décubitus. A ce jour, il n’est pas possible de formuler des directives basées sur des preuves dans ce domaine. Les guides de pratique actuels reposent sur des consensus et des études de faible qualité.
Références
- Defloor T, Herremans A, Grypdonck M, et al. Herziening Belgische richtlijnen voor decubituspreventie. Brussel: Federaal Ministerie van Sociale Zaken, Volksgezondheid en Leefmilieu, 2004. (www.decubitus.be)
- Bourdel-Marchasson I, Barateau M, Rondeau V, et al; GAGE Group. Groupe Aquitain Geriatrique d'Evaluation. A multi-center trial of the effects of oral nutritional supplementation in critically ill older inpatients. Nutrition 2000;16:1-5
- Brienza DM, Karg PE, Geyer MJ, Kelsey S, Trefler E. The relationship between pressure ulcer incidence and buttock-seat cushion interface pressure in at-risk elderly wheelchair users. Arch Phys Med Rehabil 2001;82:529-33.
- Kwaliteitsinstituut voor de Gezondheidszorg. CBO. Decubitus. Tweede herziening. Utrecht, 2002 (www.cbo.nl).
- Paquay L, Wouters R, Defloor T, et al. Adherence to pressure ulcer prevention guidelines in home care: a survey of current practice. Accepted for publication in Journal of Clinical Nursing, 16 May 2007.
Auteurs
De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :
Paquay L.
Wit-Gele Kruis van Vlaanderen
COI :
Mots-clés
escarreGlossaire
Code
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