Revue d'Evidence-Based Medicine



Le trastuzumab en traitement adjuvant du cancer mammaire HER2-positif



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 9 Page 130 - 132

Professions de santé


Analyse de
Piccart-Gebhart MJ, Procter M, Leyland-Jones B et al. Trastuzumab after adjuvant chemotherapy in HER2-positive breast cancer. N Engl J Med 2005;353:1659-72.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité du trastuzumab en traitement adjuvant (après excision tumorale et chimiothérapie avec radiothérapie complémentaire éventuelle) chez des femmes présentant un cancer mammaire invasif au stade précoce HER2-positif?


Conclusion
Cette première analyse intermédiaire après un an, montre que chez les femmes présentant un stade précoce de cancer du sein HER2-positif, un traitement par trastuzumab, effectué après excision tumorale et chimiothérapie adjuvante (et radiothérapie éventuelle), diminue le nombre de récidives ou autres cancers ou décès. D’autres études ont montré un intérêt de ce traitement en cas de cancer du sein métastasé HER2-positif. En raison d’une cardiotoxicité observée, ce traitement ne peut être envisagé que chez les femmes sans anamnèse de pathologie cardiaque et la fonction cardiaque doit être contrôlée en cours de traitement. Les résultats d’efficacité et de sécurité à long terme sont attendus et des analyses coût-efficacité sont nécessaires.


 

Résumé

Contexte

Une surexpression de la protéine HER2 est présente chez environ 15 à 25% des cancers du sein et est associée à une agressivité tumorale. Le trastuzumab est un anticorps monoclonal qui se fixe à la partie extracellulaire du récepteur HER2. Plusieurs études ont montré, chez des patientes présentant un cancer du sein métastasé HER2-positif, une efficacité du trastuzumab administré en monothérapie ou en association avec une chimiothérapie.

Population étudiée

Sont incluses, 5 090 femmes présentant un cancer du sein invasif (≥1 cm), prouvé histologiquement, totalement excisé et avec surexpression HER2, que les ganglions soient positifs ou non. Les critères d’exclusion sont, entre autres: anamnèse de cancer invasif, cancer du sein cliniquement au stade T4, ganglions supraclaviculaires envahis, métastases à distance, pathologie cardiaque, anamnèse de radiothérapie médiastinale ou administration d’anthracyclines au-delà de la dose cumulative maximale admise. Seules les patientes présentant, en fin de chimiothérapie et d’éventuelle radiothérapie, une fraction d’éjection ventriculaire gauche ≥55% sont incluses. L’âge moyen est de 49 ans, 32% des patientes ne présentent pas de ganglions envahis et 48% des tumeurs sont hormonosensibles.

 

Protocole d’étude

L’étude HERA est internationale, en protocole ouvert, de phase 3, randomisée, multicentrique. Après la fin du traitement locorégional (chirurgical avec ou sans radiothérapie) et un minimum de quatre cycles de chimiothérapie adjuvante, les femmes sont randomisées dans trois bras: un premier, d’observation (n=1 693), un deuxième recevant durant un an du trastuzumab 6 mg par kg toutes les trois semaines (n=1 694) et un troisième bras recevant ce traitement durant deux ans (n=1 694). Durant les deux premières années, les patientes sont suivies au point de vue clinique tous les trois mois, avec des contrôles hématologiques et biochimiques tous les six mois. A partir de la troisième année et jusqu’à la dixième, les contrôles sont planifiés une fois par an. Une radiographie thoracique annuelle est exigée durant les cinq premières années ainsi qu’une mammographie annuelle durant les dix premières années après le début de l’étude.

 

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survie sans maladie définie comme étant la survenue d’un des événements suivants: récidive locale ou à distance, cancer du sein ipsilatéral ou controlatéral, autre cancer et mortalité sans récidive de cancer documentée. Les critères secondaires sont: sécurité cardiaque, survie globale, localisation du premier événement et délai d’apparition de métastases à distance. Les analyses sont faites en intention de traiter, avec une analyse en régression de Cox.

Résultats

Cette première analyse intermédiaire, après un suivi moyen d’un an, montre la survenue de 347 événements: 127 dans le bras trastuzumab et 220 dans le bras observation. Le HR de risque pour un événement dans le groupe trastuzumab versus groupe observation est de 0,54 (IC à 95% de 0,43 à 0,67), ce qui correspond à un gain en valeur absolue de survie sans maladie de 8,4% après deux ans (IC à 95% de 2,1 à 14,6). Le HR pour le délai de survenue d’une métastase à distance est significativement moindre dans le bras trastuzumab (voir tableau). Il n’y a pas de réduction significative de la survie globale. Pour les critères de jugement secondaires, l’incidence d’insuffisance cardiaque congestive symptomatique est plus importante dans le groupe trastuzumab (1,7% versus 0,06%), avec, également, davantage de cas de diminution de la fraction d’éjection du ventricule gauche d’au moins 10% (7,1% versus 2,2%). Un décès d’origine cardiaque est constaté dans le groupe observation.

 

Tableau: Nombres d’événements dans le bras trastuzumab versus bras observation après un an de traitement, % de survie sans maladie à 2 ans, Hazard Ratio (HR) et valeur p pour la survie sans maladie, délai de survenue de métastase à distance et survie globale dans le groupe trastuzumab (n=1 694) versus groupe observation (n=1 693).

  

Critère

Nombre d’événements

% survie sans maladie

HR (IC à 95%)

Valeur p

Evénement après une période sans maladie

127 vs 220

85,8 vs 77,4

0,54 (0,43 à 0,67)

<0,0001

Délai de survenue de métastase à distance

89 vs 171

90,6 vs 82,8

0,49 (0,38 à 0,63)

<0,0001

Survie globale

29 vs 37

96,0 vs 95,1

0,76 (0,47 à 1,23)

0,26

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un an de traitement par trastuzumab après chimiothérapie adjuvante améliore significativement la survie sans maladie pour les patientes présentant un cancer du sein avec surexpression HER2.

 

Financement

Firme Roche.

 

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs ont reçu des honoraires de la firme Roche et ont des liens avec d’autres firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

 

Intérêt de cette étude

Les résultats favorables observés en faveur du trastuzumab dans les cancers du sein métastasés avec HER2 ont conduit à initier diverses études cliniques avec cet anticorps dans le traitement adjuvant de ces tumeurs agressives 1. En plus de cette étude HERA, les résultats de trois autres études importantes, randomisées, évaluant l’intérêt du trastuzumab en traitement adjuvant ont été publiés en 2005 2,3. Malgré une administration du trastuzumab à différents moments du schéma thérapeutique dans les études (en même temps que la chimiothérapie ou de manière séquentielle après celle-ci et dans le schéma chimiothérapeutique), elles montrent un avantage significatif semblable sur la survie sans maladie chez des femmes présentant un cancer du sein avec HER2: réduction du risque de rechute d’environ 50% sur une période d’observation de maximum trois ans. Le trastuzumab améliore de manière significative la survie sans maladie en cas de cancer du sein avec HER2 avec une importance rarement observée dans les études en oncologie et ceci indépendamment de l’envahissement ganglionnaire, du status hormonal et du type de chimiothérapie adjuvante. Il est probable que certains de ces éléments aient un effet sur l’ampleur de l’efficacité. Nous disposons actuellement de données, quoique sur un suivi court, de quatre études incluant environ 9 960 patientes, montrant toutes l’intérêt d’un traitement complémentaire avec du tratuzumab de ces tumeurs du sein agressives.

Suivi de courte durée

Une note critique peut être faite pour l’étude HERA concernant la durée du suivi limitée à un an. Le nombre important de patientes et l’ampleur du bénéfice thérapeutique significatif observé en faveur du trastuzumab réduisent fortement le risque d’une perte de la signification statistique après quatre années supplémentaires de suivi (<20%). Les analyses ultérieures nous éclaireront sur l’efficacité à long terme, sur les différences éventuelles et sur le choix optimal pour la durée du traitement et pour le schéma thérapeutique. Ce court suivi explique l’absence d’un bénéfice significatif pour la survie globale. Lors d’un congrès de l’American Society of Clinical Oncology à Atlanta (E.U.) en juin 2006, les résultats après un suivi moyen de deux ans ont été présentés. Un bénéfice significatif pour la survie totale est observé pour les patientes ayant suivi un an de traitement par trastuzumab 4. En raison du court suivi, une conclusion en termes de coût/efficacité n’est pas possible 5. Le coût élevé d’un traitement par trastuzumab constitue une charge importante pour le budget des soins de santé et appelle à un débat de société et éthique6.

Toxicité

Excepté en cas de réaction d’hypersensibilité (fort rare), la cardiotoxicité provoquant une insuffisance cardiaque congestive représente un risque peu fréquent mais réel 7. Ce critère secondaire a donc été analysé très attentivement. Une insuffisance cardiaque symptomatique est observée chez 1,7% des patientes traitées par trastuzumab et aucun décès cardiaque n’a été observé dans ce groupe. Il faut cependant souligner que les femmes présentant un risque cardiaque ont été exclues de l’étude. Dans les études NSABP et NCCTG, le pourcentage de patientes présentant une insuffisance cardiaque symptomatique était beaucoup plus élevé, respectivement de 4,1% et 2,9%, probablement en raison de l’administration concomitante d’une chimiothérapie avec du paclitaxel. Le délai entre un traitement par des anthracyclines cardiotoxiques et le trastuzumab était plus court. Nous connaissons peu la toxicité cardiaque à long terme; les premières expériences montrent cependant en général une réversibilité de celle-ci 8. Le pronostic cardiologique de ces femmes, malgré une normalisation des tests, n’est pas clair 6. Un suivi plus long de cette étude comme celui des autres, nous apportera des précisions dans ce domaine. Pour les femmes sans risque cardiaque important, un risque de décès lié à la tumeur est beaucoup plus important que le risque lié à la cardiotoxicité du trastuzumab.

Pour la pratique

En attendant un suivi à plus long terme de l’étude HERA et des autres études avec le trastuzumab, les résultats connus de ces recherches ont provoqué un changement dans le traitement des patientes présentant un cancer du sein avec HER2. NICE a également émis récemment un avis transitoire positif concernant le trastuzumab 9. Son avis est de traiter les femmes présentant un stade précoce de cancer du sein HER2-positif après excision et fin de la chimiothérapie adjuvante (et radiothérapie) avec du trastuzumab selon le protocole de l’étude HERA en raison de l’incidence plus faible d’insuffisance cardiaque symptomatique dans cette étude. Ceci signifie qu’il est indiqué de n’initier un traitement par trastuzumab qu’après une évaluation cardiologique rigoureuse et de poursuivre des contrôles réguliers. Un certain nombre de questions demeurent: succession optimale des traitements, type de chimiothérapie adjuvante, autre toxicité potentielle à moyen ou long terme et, enfin, bénéfice global à long terme.

 

Conclusion

Cette première analyse intermédiaire après un an, montre que chez les femmes présentant un stade précoce de cancer du sein HER2-positif, un traitement par trastuzumab, effectué après excision tumorale et chimiothérapie adjuvante (et radiothérapie éventuelle), diminue le nombre de récidives ou autres cancers ou décès. D’autres études ont montré un intérêt de ce traitement en cas de cancer du sein métastasé HER2-positif. En raison d’une cardiotoxicité observée, ce traitement ne peut être envisagé que chez les femmes sans anamnèse de pathologie cardiaque et la fonction cardiaque doit être contrôlée en cours de traitement. Les résultats d’efficacité et de sécurité à long terme sont attendus et des analyses coût-efficacité sont nécessaires.

 

Références

  1. Slamon DJ, Leyland-Jones B, Shak S et al. Use of chemotherapy plus a monoclonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpress HER2. N Engl J Med 2001;344:783-92.
  2. Romond E, Perez E, Bryant J et al. Trastuzumab plus adjuvant chemotherapy for operable HER2-positive breast cancer. N Engl J Med 2005;353:1673-84.
  3. Dennis Slamon. Phase III randomized trial comparing doxorubicin and cyclophosphamide followed by docetaxel (AC®T) with doxorubicin and cyclophosphamide followed by docetaxel and trastuzumab (AC®TH) with docetaxel, carboplatin and trastuzumab (TCH) in HER2 positive early breast cancer patients: BCIRG 006 study. San Antonio Breast Cancer Congres, December 8 2005.
  4. Smith IE. Trastuzumab following adjuvant chemotherapy in HER2-positive early breast cancer (HERA trial): disease-free and overall survival after 2 year median follow-up. Scientific Special Session, American Society of Clinical Oncology (ASCO) Annual Meeting, June 3 2006.
  5. Neyt M, Albrecht J, Cocquyt V. An economic evaluation of Herceptin in adjuvant setting: the Breast Cancer International Research Group 006 trial. Ann Oncol 2006;17:381-90.
  6. Hortobagyi GN. Trastuzumab in the treatment of breast cancer [Editorial]. N Engl J Med 2005;353:1734-6.
  7. Vogel CL, Cobleigh MA, Tripathy D et al. Efficacy and safety of trastuzumab as a single agent in first-line treatment of HER2-overexpressing metastatic breast cancer. J Clin Oncol 2002;20:719-26.
  8. Ewer MS, Vooletich MT, Durand JB et al. Reversibility of Trastuzumab-related cardiotoxicity: new insights based on clinical course and response to medical treatment. J Clin Oncol 2005;23:7820-6.
  9. Press release. NICE issues draft guidance on trastuzumab (Herceptin) for early breast cancer. http://www.nice.org.uk/page.aspx?o=328789

 

 

Noms de marque

Trastuzumab: Herceptin®

Paclitaxel: Paxene®, Taxol®

Le trastuzumab en traitement adjuvant du cancer mammaire HER2-positif

Auteurs

Cocquyt V.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

Denys H.
Dienst Medische Oncologie, UZ Gent
COI :

Glossaire

Code





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