Revue d'Evidence-Based Medicine



Chaussures thérapeutiques en prévention des ulcères du pied chez le diabétique



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 8 Page 126 - 128

Professions de santé


Analyse de
Reiber GE, Smith DG, Wallace C et al. Effect of therapeutic footwear on foot reulceration in patients with diabetes. A randomized controlled trial. JAMA 2002;287:2552-8.


Question clinique
Des chaussures thérapeutiques, de largeur et hauteur plus importantes, avec semelle incluse, peuvent-elles prévenir l'apparition de nouveaux ulcères du pied chez les diabétiques?


Conclusion
Cette étude conclut à l'absence d'efficacité préventive démontrée du port de chaussures thérapeutiques chez des diabétiques ayant déjà présenté un ulcère du pied mais sans déformation du pied. Un suivi précis et des soins spécialisés sont au moins aussi importants dans ce groupe de patients. Les diabétiques présentant un risque élevé (groupes 2b et 3 du passeport du diabétique) doivent recevoir des soins de pied spécialisés et être suivis de manière intensive.


 

Résumé

Contexte

Des chaussures inadaptées sont considérées comme la cause principale des ulcères du pied chez le diabétique. L'efficacité de chaussures thérapeutiques et de semelles incorporées en prévention de nouveaux ulcères n'a fait l'objet que de peu d'études.

Population étudiée

Quatre cent patients diabétiques ayant présenté une plaie du pied, sur l'épaisseur complète de la peau, ou ayant nécessité l'administration d'un antibiotique, ont été inclus, sélectionnés parmi 21 000 diabétiques de l'état de Washington (E.U.). Les critères d'exclusion étaient: amputation de plus d'un orteil, lésions dans le mois précédent, nécessité d'une chaussure adaptée en raison d'une malformation du pied. L'âge moyen des participants est de 62 ans et 23% de ceux-ci sont de sexe féminin. Une perte de sensibilité au test du monofilament est présente chez 58% d'entre eux et 32% présentent également une déformation du pied.

Protocole d'étude

Cette étude prospective randomisée répartit les sujets en trois groupes. Dans un groupe contrôle, les participants sont invités à continuer à porter leurs chaussures habituelles. Dans les deux autres groupes, ils portent des chaussures thérapeutiques de hauteur et de largeur suffisantes, mais avec semelles intérieures différentes: soit une semelle de liège fabriquée à dimension, soit une semelle en polyuréthane absorbant les chocs et non fabriquée sur mesure. Les sujets de ces deux derniers groupes recevaient également des chaussons à porter à la maison et la nuit. Tous les participants étaient suivis toutes les 17 semaines durant une période de deux ans. Les ulcères étaient évalués par un groupe de trois spécialistes du pied.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l'incidence d'ulcère du pied, défini comme une perte cutanée atteignant les couches plus profondes du derme, ne guérissant pas dans les 30 jours. L'analyse se fait en intention de traiter. Le pourcentage cumulatif de personnes avec ré-ulcération est calculé ainsi que le risque relatif (RR) de ré-ulcération des groupes intervention versus groupe placebo.

Résultats

La compliance pour le port de chaussures thérapeutiques est de 83 à 86%. Au total, 62 patients présentent 95 réulcerations durant 84 épisodes d'ulcères (intervalle entre la découverte d'un ou de plusieurs ulcères et la guérison). Sur la période de deux ans de l'étude, aucune différence significative n'est observée entre les différents groupes pour le pourcentage cumulatif de patients présentant un nouvel ulcère du pied (respectivement 15% dans le groupe semelle de liège sur mesure, 14% dans le groupe semelle orthopédique en polyuréthane et 17% dans le groupe placebo). Le risque relatif de ré-ulcération du groupe chaussures thérapeutiques avec semelle en liège sur mesure est de 0,88 (IC à 95% de 0,51 à 1,52) versus placebo. Pour le groupe chaussures thérapeutiques et semelles en polyuréthane, le RR est de 0,85 (IC à 95% de 0,48 à 1,48) versus placebo.Pour les sujets avec perte de sensibilité versus sujets sans perte de sensibilité, le RR de ré-ulcération est de 3,68 (IC à 95% de 1,81 à 7,49). Les facteurs les plus impliqués dans les ré-ulcérations étaient les chaussures et les traumatismes.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que, chez des diabétiques avec anamnèse d'ulcère du pied et sans déformation du pied, une chaussure thérapeutique ne prévient pas une ré-ulcération. Cette étude suggère qu'un suivi intensif par des soignants professionnels est probablement plus important que le port d'une chaussure thérapeutique. Celui-ci peut cependant être important en cas d'absence de ces soins ou en cas de déformations sévères du pied.

Financement

Cette etude est financée par les "Rehabilitation Research and Development", "Health Services Research and Development","Epidemiology Research and Information Center", "Department of Veterans Affairs", "National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases" et les "Centers for Disease Control and Prevention" (E.U.).

Conflits d'intérêt

Non mentionnés.

Discussion

Sélection de la population d'étude

Durant ces dix dernières années, la problématique du pied diabétique a fait l'objet d'une attention internationale particulière. En Belgique, le projet national pour le pied a vu le jour et, en mars 2003, le passeport du diabétique a été introduit. Cette étude-ci a fait grand bruit. Une analyse précise de ses critères d'inclusion et d'exclusion et de sa méthodologie est nécessaire pour pouvoir interpréter des résultats étonnants et inattendus. En premier lieu, cette étude concerne des "ré-ulcérations" avec, comme facteur de risque principal, qu'il n'ait en aucun cas été provoqué par une plaie du pied ou une amputation. Le contrôle du diabète, estimé par la mesure de l'HbA1c 1,2, n'a pas été évalué ici. Ce n'est pas un facteur de risque direct mais une information sur la compliance ou l'accès à un circuit de soins précis. Les personnes isolées ou les hommes présentent un risque plus élevé, tout comme le statut socio-économique et le niveau d'éducation sont importants; pour ces facteurs, aucune différence entre les groupes n'est notée. Les patients inclus avaient présenté une plaie du pied sur l'épaisseur totale du derme ou une infection du pied.Les plaies intéressant toute l'épaisseur du derme étaient probablement la conséquence d'ulcères de pression chez des patients présentant une neuropathie. Pour les infections du pied, différents types de plaie, en lien ou non avec des déformations spécifiques du pied suite au diabète, sont possibles, par exemple une phlyctène infectée, un ongle incarné, un traumatisme, qui peuvent survenir sans la présence d'une neuropathie. Seuls 58% des patients étudiés présentaient une neuropathie diagnostiquée sur une non sensibilité au test du monofilament. Ce test est admis internationalement comme test de dépistage mais non comme un test diagnostique 3. Il est également étonnant que la moitié des patients aient été inclus dans un programme de mesures préventives sans diagnostic de neuropathie. Dans ce groupe, le risque de future plaie du pied est particulièrement bas.

L'analyse des résultats de l'étude nous montre que 32% seulement des sujets présentaient une déformation modérée du pied, allant de l'hallux valgus limité aux orteils en marteau fixé et bunions. Cette donnée associée à la sélection des patients (plaie du pied à l'anamnèse, non toujours liée à une neuropathie) peut expliquer la très faible incidence cumulative de ré-ulcération dans cette étude, comparativement à d'autres. De plus, la période de suivi est très courte. Dans l'étude d'Edmonds 4 chez des patients diabétiques, après un suivi de 26 mois, le taux de ré-ulcération est de 26% dans un groupe portant des chaussures thérapeutiques pour 83% chez ceux portant leurs chaussures habituelles. Cette étude incluait des patients présentant des déformations importantes du pied,même après amputation d'un orteil, ou une déformation de Charcot. Dans l'étude prospective suédoise de Appleqvist (n=468) le risque de rechute après un an est de 44%, après trois ans de 61% et après cinq ans de 70%. Dans une recherche personnelle chez 146 patients diabétiques suivis pendant cinq ans (68,5% de patients atteints de diabète de type 2, 89,7% présentant une neuropathie et 64,5% avec "limited joint mobility", la pathologie orthopédique la plus fréquente) le nombre de plaies récidivantes atteignait 51,7%.Le nombre moyen d'ulcères était de 2,1 dans cette population dont 75% ont guéri sans amputation 5.

Un suivi strict modifie les résultats

Cette étude comportait un suivi médical intensif sur un rythme de 17 semaines. Dans les autres études, soit il n'en était pas de même, soit aucune mention n'en a été faite. Cet aspect est en effet important pour les résultats finaux et on peut supposer qu'un contrôle professionnel des pieds et un suivi jouent un rôle essentiel dans le risque d'une récidive d'ulcère. Les patients inclus dans cette étude ont reçu trois paires de chaussures et de semelles ainsi que des chaussons spéciaux pour la nuit. Ceci n'est réalisé dans aucune autre étude et n'est remboursé dans aucun système de soins.Aucune comparaison n'est possible entre les études pour ce qui concerne la compliance (port réel ou non des chaussures). Au cours du suivi de deux ans, 37% des patients du groupe contrôle se sont vu attribuer des chaussures spéciales, modification dont il n'est pas tenu compte dans l'interprétation des résultats. De plus, les ulcères guérissant dans les 30 jours ne sont pas pris en considération dans les résultats. Ceci contribue aussi à n’obtenir qu’un faible nombre de récidives dans les résultats.

Adapter les recommandations?

Cette étude ne modifiera pas la recommandation récente concernant les soins des pieds et les chaussures thérapeutiques chez les diabétiques. Dans le passeport du diabétique, un système de classes de risque est adopté 6. Dès que le patient atteint un risque élevé, c'est-à-dire une classe 2b ou 3 (respectivement neuropathie avec déformations apparentes du pied, et amputation/ulcère de pression à l'anamnèse ou lésions artérielles), il a droit à un remboursement des soins par un podologue. Comme également indiqué dans la conclusion de cette étude, une éducation complémentaire et répétitive semble par ailleurs nécessaire dans le groupe à risque qui n'a jamais présenté d'ulcère ou d'amputation (groupe 3 du passeport du diabétique). La centralisation des connaissances et un traitement dans des cliniques du pied multidisciplinaires reconnues est également nécessaire et se trouve au programme 2004 de la plateforme de l'INAMI et des mutualités.

 

Conclusion

Cette étude conclut à l'absence d'efficacité préventive démontrée du port de chaussures thérapeutiques chez des diabétiques ayant déjà présenté un ulcère du pied mais sans déformation du pied. Un suivi précis et des soins spécialisés sont au moins aussi importants dans ce groupe de patients. Les diabétiques présentant un risque élevé (groupes 2b et 3 du passeport du diabétique) doivent recevoir des soins de pied spécialisés et être suivis de manière intensive.

 

Références

  1. Cavanagh PR, Ulbrecht JS, Caputo GM. Biomechanical aspect of diabetic foot disease: aetiology, treatment and prevention. Diabet Med 1996;13 Suppl 1:S17-S22.
  2. Reiber GE, Pecoraro RE, Koepsell TD. Risk factors for amputation in patients with diabetes mellitus. A case-control study. Ann Intern Med 1992;117:97-105.
  3. The International Working Group on the Diabetic Foot. International Consensus on the Diabetic Foot.
  4. Edmonds ME, Blundell MP, Morris ME et al. Improved survival of the diabetic foot: the role of a specialized foot clinic. Q J Med 1986;60:763-71.
  5. Van Acker K, Weyler J, Hepp B. The long-term clinical outcome of diabetic patients with foot ulcers. In: Van Acker K. The Diabetic Foot, a challenge for policymakers and health care professionals (thèse). Gent: Universiteit Gent, 2001.
  6. Diabetes deskundigheidsbevorderingspakket. Module 7: Zorgvernieuwingsproject met diabetespas. VDV en WVVH, 2003.
 
Chaussures thérapeutiques en <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="prévention" data-content="Trois niveaux de prévention peuvent être distingués. La prévention primaire englobe toutes les interventions ou activités visant à la prévention d’une maladie. Ces interventions visent les facteurs étiologiques de la maladie, par exemple l’arrêt du tabac pour éviter le cancer du poumon ou la vaccination pour prévenir des maladies infectieuses. La prévention secondaire vise à influencer favorablement l’évolution d’une maladie par un diagnostic précoce, par exemple par un dépistage de l’hypertension ou par une recherche de cas de diabète sucré. La prévention tertiaire vise à améliorer la santé des personnes souffrant d’une maladie (chronique) en accélérant la guérison ou en évitant des complications. L’administration d’acide acétylsalicylique après un accident vasculaire cérébral ou le contrôle de la glycémie ainsi que l’éducation de la personne diabétique sont des exemples de prévention tertiaire.">prévention</a></strong> des ulcères du pied chez le diabétique

Auteurs

van Acker K.
Diabeteszorg, Sint-Jozefkliniek, Bornem
COI :

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