Revue d'Evidence-Based Medicine



Editorial: Manipulations insidieuses: Minerva pas assez critique?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 3 Page 36 - 37

Professions de santé


 

Quatre chercheurs suédois ont réalisé une étude unique: dans quelle mesure une publication multiple, une publication sélective et une sélection préférentielle interviennent-elles dans les biais de publication 1? Ils analysent 42 études contrôlées versus placebo, concernant cinq inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) qui devaient recevoir l’aval de la commission suédoise des médicaments. Leurs résultats sont déconcertants.

La recherche sur les publications multiples montre que les études les moins favorables ne sont publiées qu’une seule fois, tandis que les études favorables aux ISRS étaient remaniées sous un autre aspect, tel qu’une «comparaison en double-aveugle» ou une «étude multicentrique élargie» pour d’autres publications. A l’inverse, une méta-analyse reprenant cinq études contrôlées versus placebo paraît: une de ces cinq études n’est publiée que sept ans après, sans référence à la méta-analyse. Une publication sélective est monnaie courante: les études favorables sont publiées et celles dont les résultats sont défavorables passent aux oubliettes. Seules, six des 21 études ne montrant pas de différences significatives avaient fait l’objet d’une publication particulière. Les quatre études jamais publiées ne montraient aucun avantage de l’ISRS.

Plus lamentable encore, la sélection préférentielle. Dans une analyse par protocole, seuls sont repris les patients qui répondent strictement aux critères fixés par le protocole. Dans une analyse en intention de traiter, par contre, tous les patients inclus sont repris dans les résultats finaux, y compris ceux qui n’ont pas été suivis de bout en bout. D’importantes différences peuvent être observées dans les résultats obtenus par ces deux méthodes d’analyse différentes. Pour ce motif, il est recommandé de les appliquer toutes deux et d’en publier les résultats. Seules 24 % des études en ont fait ainsi. Donc, dans 76 % des publications, les patients arrêtant prématurément l’étude ne sont pas évalués et leurs données ne sont pas reprises dans l’analyse. Comparé avec la technique de l’intention de traiter, ce procédé signifie une surestimation moyenne d’efficacité de 10 à 25 %, atteignant même 51 % dans une étude.

En résumé: les publications multiples, les publications sélectives et les sélections préférentielles manipulent le lecteur qui n’a pas les moyens de s’en défendre. Seuls les chercheurs qui ont accès au dossier d’enregistrement d’un médicament, comme les quatre représentants suédois, peuvent démasquer cette manipulation.

Si vous avez repris votre souffle, quelques considérations encore. Plusieurs raisons nous incitent à penser que la situation n’est pas différente pour d’autres médicaments. Une synthèse à propos d’un antiémétique le démontre 2.

Les auteurs suédois mettent en garde à propos d’un jugement établi à partir de certaines études médicamenteuses. Un accès à toutes les études, positives comme négatives, publiées ou non est important. Il faut, en outre, toujours disposer des résultats de l’analyse par protocole et de l’analyse en intention de traiter.

Un exemple de manipulation possible par ce biais est discuté dans ce numéro de Minerva 3. Le titre annonce deux études contrôlées, alors que l’article ne mentionne qu’un seul calcul de données. Certains auteurs de cette dernière étude sont des collaborateurs rémunérés par la firme productrice de l’ISRS étudié et étaient partie prenante, aussi bien dans l’élaboration du protocole, que dans la réalisation de l’étude et dans le traitement des résultats de l’étude. La qualité des études reste entière, mais les résultats des études sponsorisées sont, en moyenne, plus favorables pour les médicaments analysés que les études indépendantes. C’est la conclusion d’une synthèse méthodique publiée dans le même numéro du British Medical Journal que l’étude de Melander et collaborateurs 4.

Nous avons déjà plaidé dans Minerva pour une séparation franche entre recherche et sponsoring: c’est possible, moyennant convention correcte. Il est «unheimlich» que pratiquement aucun comité de rédaction n’ait accès aux études non publiées. Le gouvernement devrait exiger que tous les auteurs publient les résultats de leur étude. Nous devrions être alors encore beaucoup plus stricts dans l’analyse de la méthodologie de l’étude publiée. Les revues biomédicales internationales les plus importantes ont pris des initiatives en ce sens 5. L’Académie Royale de Médecine a aussi récemment réclamé des mesures en ce sens 6.

Certains lecteurs pensaient que les rédacteurs de Minerva étaient trop critiques. Peut-être est-ce l’inverse.

M. De Meyere, rédacteur en chef

 

Références

  1. Melander H, Ahlqvist-Rastad J, Meijer G, Beermann B. Evidence b(i)ased medicine - selective reporting from studies sponsored by pharmaceutical industry: review of studies in new drug applications. BMJ 2003;326:1171-3.
  2. Tramèr MR, Reynolds DJ, Moore RA, McQuay HJ. Impact of covert duplicate publication on meta-analysis: a case study. BMJ 1997;315:635-40.
  3. Wagner K, Ambrosini P, Rynn M, et al. Efficacy of sertraline in the treatment of children and adolescents with major depressive disorder. Two randomized controlled trials. JAMA 2003;290:1033-41.
  4. Lexchin J, Bero LA, Djulbegovic B, Clark O. Pharmaceutical industry sponsorship and research outcome and quality: systematic review. BMJ 2003;326:1167-70.
  5. Davidoff F, DeAngelis CD, Drazen JM, et al.. Sponsorship, authorship, and accountability. N Engl J Med 2001;345:825-6.
  6. Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België - Académie Royale de Médecine de Belgique. De relatie tussen artsen en de farmaceutische bedrijven. Tijdschr Geneeskunde 2002;58:1617-9.  
 
Editorial: Manipulations insidieuses: Minerva pas assez critique?

Auteurs

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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