Revue d'Evidence-Based Medicine
Editorial: La formation médicale sans tain : la promotion de la gabapentine
Minerva 2007 Volume 6 Numéro 4 Page 49 - 49
Professions de santé
Le vif intérêt des firmes pharmaceutiques pour être reconnues comme partenaires de la formation médicale continue est perçu de manière fort divergente par les différents organisateurs de telles activités. Le récit, publié sous la forme d’une ‘Narrative Review’ dans les Annals of Internal Medicine 1, de la promotion de la gabapentine (Neurontinâ) par la firme Warner-Lambert dans les années 1990 invitera sans doute à davantage de réflexion. Toute l’information provient des minutes du procès qui a eu lieu, source quasi unique de ce type de révélations.
La firme Pfizer a repris à son compte, en l’an 2000, les activités de la firme Warner-Lambert. C’est dans ce cadre que la firme Pfizer a été condamnée, en 2004, pour avoir enfreint la réglementation fédérale lors de la promotion de la gabapentine. Ce médicament avait été enregistré, jusqu’en 2002, uniquement dans l’indication de traitement adjuvant en cas d’épilepsie. Pfizer a dû cependant admettre que la firme Warner-Lambert avait promotionné ce médicament dans d’autres indications : douleur, troubles psychiatriques, migraine et autres indications non étayées. La condamnation a suivi : 430 millions de dollars.
Une transgression de la réglementation étatsunienne ou autre lors de la promotion d’un médicament est monnaie courante 2,3. Ce qui nous paraît surtout intéressant dans cette affaire, c’est de découvrir la stratégie, bien élaborée, qui a permis d’influencer pendant plusieurs années le jugement et les stratégies de prescription des médecins. Pour la promotion de la gabapentine, la firme a constitué des commissions d’avis, a organisé des réunions de consultants et des séances de formation médicale continue avec l’aide de tiers rémunérés. Cette stratégie s’appuyait sur des promoteurs locaux avec la collaboration de leaders d’opinion devant communiquer des messages favorables pour la gabapentine à leurs confrères. La recherche et des bourses d’étude étaient également utilisées pour le marketing, en encourageant les prescripteurs cibles à participer à cette recherche, dans le cadre d’une grande étude ciblant des indications fort larges. Le but final était l’obtention d’une part de marché importante. Des sociétés de communication médicale étaient sollicitées pour élaborer et publier des articles concernant la gabapentine dans les revues médicales, mais aussi pour faire disparaître les études non favorables au médicament.
Ces révélations sont perturbantes ; comment une telle situation a-t-elle pu voir le jour ? Il faut, en premier lieu, se rendre compte qu’un médicament a pu être promotionné pendant des années en dehors des indications officielles (reconnues par la FDA dans ce cas). Ce phénomène suscite l’étonnement, l’incompréhension mais aussi un sentiment d’insécurité. En Belgique, les indications d’un médicament sont déterminées avec précision par la Commission des Médicaments. Faire la promotion, hors indication, d’un médicament, expose, dans la réglementation de la nouvelle Agence fédérale des médicaments et des produits de santé, à de lourdes amendes. Le praticien qui établit une prescription médicamenteuse hors indication (« off label ») le fait à ses propres risques.
Cet exemple illustre également à la perfection l’adage « Medical education drives this market » 2, manipulation de la formation médicale continue guidée par une motivation exclusivement économique. Ces constatations sont très inquiétantes pour l’évaluation de la qualité de la formation médicale continue. Comme les auteurs de cet article, nous y voyons une préoccupation essentielle. D’une part, de nombreux médecins et collaborateurs revendiquent et construisent une information indépendante ; les recommandations de bonne pratique, le CBIP et Minerva en sont des exemples. Cette information indépendante critique est cependant dépendante des études publiées, largement sponsorisées dans la plupart des cas². Face à cette démarche, les stratégies de marketing, avec leur confusion orchestrée entre résultats d’études, formation continue et promotion 2,3.
Avec tous les professionnels de la santé et avec les autres personnes réclamant une information indépendante à propos des médicaments, Minerva plaide pour l’élaboration d’un code rigoureux. Les conflits d’intérêt éventuels des médecins, des chercheurs, des auteurs, des sociétés scientifiques, des revues, des associations de patients, des organisateurs et orateurs de formation médicale continue doivent être mentionnés dans la transparence. Cette condition remplie, les professionnels de la santé pourront ainsi se forger un avis de la validité de l’information reçue. Cette préoccupation dépasse largement nos frontières 4. En Belgique, force est de constater le peu de réponse à l’appel lancé par l’Académie Royale de Médecine à ce propos 5.
Pierre Chevalier, Marc De Meyere
Références
- Steinman MA, Bero LA, Chren MM, Landefeld CS. Narrative review: the promotion of gabapentin: an analysis of internal industry documents. Ann Intern Med 2006;145:284-93.
- Angell M. Is academic medicine for sale? N Engl J Med 2000;342:516-8.
- De Meyere M. Manipulations insidieuses : Minerva pas assez critique ? MinervaF 2004;3(3):36-7.
- Brennan T, Rothman D, Blank L, et al. Health industry practices that create conflicts of interest. JAMA 2006;295:429-33.
- Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België. De relatie tussen artsen en de farmaceutische bedrijven. Tijdschr Geneeskd 2002;58:1617-9.
Auteurs
Chevalier P.
médecin généraliste
COI :
De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Glossaire
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