Revue d'Evidence-Based Medicine
Editorial: Prévention ou façonnage de maladie ?
Pour faire le portrait d’un oiseau
Peindre d’abord une cage
… attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau
puis effacer un à un tous les barreaux…
(Jacques Prévert)
Vers le pré
La mode est au pré et à un traitement médicamenteux du pré. Dans les années 2003, un consensus étatsunien introduisait la notion de préhypertension (1) pour des seuils de pression artérielle systolique comprise entre 120 mmHg et 139 mmHg ou de pression artérielle diastolique comprise entre 80 mmHg et 89 mmHg. L’utilité d’un tel concept pour établir la balance bénéfices-risques d’un traitement médicamenteux a été vivement critiquée (2). Le prédiabète est également une notion relativement nouvelle, avec une définition consensuelle parfois difficile (3). Ce consensus devra sans doute être revu à la lumière des doutes émis à propos du seuil de glycémie à jeun de 1,26 g/l fixé pour définir la présence d’un diabète, seuil sensé séparer les personnes à haut et à bas risque de développer des complications microvasculaires du diabète (rétinopathie) (4). Voici maintenant l’entrée en scène de la préostéoporose.
Le pré est vert
Pablo Alonso-Coello et ses collègues, dont Gordon Guyatt épidémiologue et biostatisticien renommé, ouvrent un fort intéressant débat (5) à propos des médicaments qui se sont révélés efficaces pour le traitement d’une ostéoporose avérée en termes de prévention des fractures. Certains de ces médicaments sont actuellement promotionnés pour le très important groupe des femmes post-ménopausées présentant une ostéopénie sans ostéoporose, situation qualifiée de préostéoporose. Ils rappellent, tout d’abord, que le seuil de densité minérale osseuse de 2,5 Ecart-Type inférieur à la moyenne des valeurs observées chez la jeune femme est arbitraire et, pour certains experts, non destiné à représenter un seuil d’indication de traitement. Ils soulignent la faiblesse des preuves de l’intérêt des médicaments actuels pour le traitement de l’ostéopénie (préostéoporose), entre autres pour la prévention d’autres fractures que morphométriques vertébrales, le nombre élevé de personnes à traiter pour éviter une fracture au vu du risque initial peu élevé. Ils insistent sur le déséquilibre, dans cette promotion des médicaments, entre l’exagération d’un bénéfice potentiel, d’une part, et la minimisation ou même l’
ignorance des effets indésirables, d’autre part. Le marché potentiel est très important, soit la moitié des femmes en post-ménopause.
Prévert et autres Jacqueries
Le titre de l’article précité (5) est une question : les médicaments pour la préostéoporose représentent-ils une prévention ou un façonnage d’une maladie ? Le façonnage d’une maladie (disease mongering) est défini comme étant la transformation d’un facteur de risque en une pathologie médicale en vue de vendre des tests ou des médicaments à des personnes relativement en bonne santé (6). Il ne s’agit pas de mettre en doute l’intérêt de la prise en charge de facteurs de risque en prévention de l’apparition d’une maladie ou, plus tard, de complications de celle-ci. Il s’agit de ne pas créer un cadre (une cage surréaliste à la Jacques Prévert) pour y loger derrière les barreaux de valeurs seuils de divers tests, une création qui prend la forme d’une maladie et des créatures qui prennent la forme de « malades » (par ailleurs en bonne santé) et d’ensuite libérer ces malades en effaçant les barreaux d‘un coup de médicament. Il ne s’agit pas non plus de traiter compulsivement en fonction de valeurs cibles sans assurance que l’effet du traitement sera positif et pertinent pour un nombre significatif d’individus donnés. Ce façonnage de maladie représente un problème sérieux au niveau santé publique : il détourne les ressources financières limitées du traitement de pathologies sévères avérées mais aussi distrait d’une analyse des causes et d’une prise en charge non médicamenteuse de facteurs de risque. Plusieurs organisations se sont insurgées contre ce façonnage de maladies (7), sur base d’analyses rigoureuses de la réalité de la promotion des médicaments (8).
En conclusion, une extension de l’utilisation du médicament dont l’efficacité versus sécurité est connue pour une pathologie donnée, à un traitement de facteurs de risque de survenue de cette pathologie, ne peut être justifiée que par des études cliniques rigoureuses incluant des patients représentatifs de la situation clinique à traiter. Cette extension doit tenir compte de la balance bénéfice potentiel versus effets indésirables possibles, en particulier pour la personne qui me consulte dans son contexte spécifique (9), et du rapport coût/efficacité propres à ce stade spécifique. Cette analyse rigoureuse permettra de déterminer si le traitement médicamenteux proposé peut représenter un traitement préventif valide ou si la proposition se résume à un façonnage d’une maladie pour laquelle ce traitement médicamenteux n’apporte pas de preuves d’efficacité ni d’efficience mais pourrait, par contre, provoquer des effets indésirables.
Références
- Chobanian AV, Bakris GL, Black HR, et al; Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Pressure. National Heart, Lung, and Blood Institute; National High Blood Pressure Education Program Coordinating Committee. The seventh report of the joint national committee on prevention, detection, evaluation, and treatment of high blood pressure: the JNC 7 report. JAMA 2003;289:2560-72.
- Préhypertension artérielle, un concept utile aux marchands, pas aux patients. Rev Prescr 2006;26:842-4.
- Valensi P, Schwarz EH, Hall M, et al. Pre-diabetes essential action: a European perspective. Diabetes Metab 2005;31:606-20.
- Wong TY, Liew G, Tapp RJ, et al. Relation between fasting glucose and retinopathy for diagnosis of diabetes: three population-based cross-sectional studies. Lancet 2008;371:736-43.
- Alonso-Coello P, García-Franco AL, Guyatt G, Moynihan R. Drugs for pre-osteoporosis: prevention or disease mongering? BMJ 2008;336:126-9.
- Moynihan R, Heath I, Henry D. Selling sickness: the pharmaceutical industry and disease mongering. BMJ 2002;324:886-91.
- www.diseasemongering.org
- Mintzes B. Disease mongering in drug promotion: do governments have a regulatory role? PLoS Med 2006;3:e198.
- Mol A. De logica van het zorgen. Ed. Van Gennep, 2006.
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