Revue d'Evidence-Based Medicine



Rapport bénéfices/risques d’un médicament : mise à jour indispensable



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 2 Page 17 - 17

Professions de santé


 

Du neuf pour du vieux ?

La nabumétone, anti-inflammatoire non stéroïdien commercialisé en 1985 déjà en Irlande, n’a été commercialisée qu’en 1999 en France. La Revue Prescrire estimait (1), sur base d’études publiées avant 1996 (sauf une), que ce médicament n’apportait rien de nouveau, ni en termes d’efficacité, ni en termes d’effets indésirables parmi les anti-inflammatoires disponibles à l’époque, tout en étant une spécialité relativement onéreuse parmi ces anti-inflammatoires. Une spécialité de nabumétone est apparue sur le marché belge, il y a environ 2 ans, et a été acceptée au remboursement. Vingt ans séparent donc la commercialisation initiale de ce médicament et celle en Belgique. Les données scientifiques fournies à l’époque (éventuellement complétées après commercialisation) répondaient-elles à toutes les exigences actuelles d’évaluation d’efficacité et de sécurité de ce médicament ? Les données qui ont motivé les décisions prises en Belgique ne sont pas accessibles. Un article récent peut cependant alimenter notre réflexion dans ce domaine, article concernant un autre « vieux médicament », le buflomédil (2).

Un médicament qui vieillit bien ?

Nous avions déjà évalué une publication concernant le buflomédil (3) pour la prévention cardiovasculaire dans Minerva (4). Nous faisions référence à une méta-analyse sur le buflomédil (5) dont 2 auteurs sont communs avec cette nouvelle publication (2). Ils utilisent, dans leur évaluation du rapport actualisé bénéfices/risques du buflomédil, en premier lieu les données de leur méta-analyse ; ces données sont relativement adéquates (mais avec la limite d’un biais de publication important) pour évaluer l’efficacité mais insuffisantes pour évaluer les effets indésirables. Comme pour tous les médicaments, les données contenues dans les études pilotes pour l’enregistrement d’un médicament, éventuellement complétées par des études « d’implantation » du médicament, sont insuffisantes pour mettre en évidence des effets indésirables plus rares qui n’émergent que lorsque ce traitement concerne une plus large population. Les auteurs ont donc pris en considération, pour évaluer ces effets indésirables, non seulement les études cliniques publiées mais aussi les bases de données de l’Organisation Mondiale de la Santé et celle d’Uppsala Monitoring Center en Suède, les Periodic Safety Update Reports (PSURs) qui sont légalement imposés aux firmes commercialisant un médicament (Market Authorization Holder – MAH) qui doivent y communiquer tout effet secondaire sérieux, ainsi qu’une recherche plus large dans la littérature. Ils observent ainsi des discordances nettes entre l’outil considéré comme la meilleure source d’information, le PSUR, et les autres sources. Ils soulignent particulièrement les divergences pour les cas de décès liés au buflomédil rapportés par les différentes sources : 20 dans la littérature, 20 potentiellement liés à ce médicament pour l’OMS, pour 11 seulement dans la base de données officiellement tenue par la firme commercialisant le médicament. Ils en concluent que d’autres sources que les PSURs doivent être consultées pour évaluer correctement le profil d’effets indésirables. Consultés à ce sujet, ils estiment que pour le buflomédil, cette recherche a nécessité 250 heures de recherches et contacts. Au moment où les instances européennes étudient la possibilité d’affaiblir les PSURs (les firmes ne seraient plus obligées d’y inclure tous les effets indésirables connus par elles), les membres de l’International Society of Drugs Bulletin se réunissent pour fonder une meilleure pharmacovigilance. Ils ont, entre autres, observé que des effets indésirables transmis par des centres de pharmacovigilance à la firme responsable ne sont pas repris dans les PSURs. Quelle structure doit-elle se charger de cette tâche au niveau belge ou européen et qui va en prendre l’initiative d’une mise à jour exhaustive pour les « vieux » médicaments ?

Faire du vieux avec du neuf ?

Les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM), qu’elles soient nationales ou européennes, peuvent être associées à des « plans de gestion de risque » c’est-à-dire à l’obligation de réaliser des études de suivi (le plus fréquemment de pharmacovigilance) ou d’autres études cliniques. Ces plans servent souvent, en fait, à accepter une évaluation insuffisante ou incomplète d’un médicament avant sa commercialisation. L’évaluation est donc en pratique financée par les ventes (6). Le problème majeur pour ces études est que leurs résultats ne sont quasiment jamais rendus publics (7). Il n’existe donc pas de garantie transparente que d’éventuelles faiblesses lors de l’enregistrement d’un médicament, déjà soulignées dans Minerva (8), soient effectivement corrigées.

Le médecin est tenu d’apporter les meilleurs soins à ses patients, notamment pour ce qui concerne les traitements, médicamenteux entre autres. Il attend qu’il en soit de même au niveau des autorités responsables de la commercialisation de ces médicaments, aussi bien pour des médicaments plus anciens que pour de nouveaux médicaments trop faiblement évalués avant commercialisation. Nous aimerions avoir davantage de garanties, dans la transparence, d’une évaluation exhaustive et mise à jour du rapport bénéfices/risques de ces médicaments.

 

Références

  1. Nabumétone. Un AINS sans originalité. Rev Prescr 1999;19:729-32.
  2. De Backer TL, Vander Stichele RH,  Van Bortel LM. Bias in benefit-risk appraisal in older products: the case of buflomedil for intermittent claudication. Drug Saf 2009;32:283-91.
  3. Limbs International Medicinal Buflomedil (LIMB) Study Group, Leizorovicz A, Becker F. Oral buflomedil in the prevention of cardiovascular events in patients with peripheral arterial obstructive disease: a randomized, placebo-controlled, 4-year study. Circulation 2008;117:816-22.
  4. Chevalier P. Buflomédil en prévention cardiovasculaire en cas d’artérite ? MinervaF 2009;8(9):128-9.
  5. De Backer TL, Vander Stichele RH, Bogaert MG. Buflomedil for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 4.
  6. Dérogations à l’AMM “classique” : accès plus rapide au marché, au détriment de l’évaluation des médicaments. Rev Prescr 2008;28:696-701.
  7. Suivi post-AMM : beaucoup d’annonces, mais où sont les résultats ? Rev Prescr 2007;27:897-8.
  8. Chevalier P. Enregistrement sans fin. [Editorial] MinervaF 2007;6(9):129.
Rapport bénéfices/risques d’un médicament : mise à jour indispensable



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