Revue d'Evidence-Based Medicine
Dépistage du cancer prostatique par dosage unique du PSA : discrète diminution à 15 ans de la mortalité spécifique sans amélioration de la mortalité globale
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 7 Page 164 - 166
Professions de santé
Infirmier, Médecin généralisteContexte
Les preuves d’un effet d’un dépistage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) sur la mortalité par cancer de la prostate sont insuffisantes. En 2009, Minerva a analysé une étude (1,2) montrant qu’un dépistage du cancer de la prostate, chez des hommes âgés de 55 à 69 ans, apporte une diminution significative de la mortalité liée à ce cancer. Mais un dépistage systématique n’était pas à recommander. En effet, les résultats de l’étude étaient intermédiaires et les données insuffisantes pour déterminer le bénéfice exact en termes de QALY et le coût économique. Le dépistage du cancer de la prostate reste donc un choix individuel du patient, bien informé des bénéfices et désavantages. De plus, le traitement d’un cancer précocement détecté pose question : l’étude britannique ProtecT a comparé un suivi actif, une chirurgie ou une radiothérapie pour un cancer de la prostate localisé avec un risque faible à intermédiaire détecté par un PSA entre 3 et 20 μg/l chez des hommes de moins de 70 ans. Les résultats à 10 ans n’ont pas montré de différence quant à la mortalité spécifique par cancer de la prostate ni quant à la mortalité globale. L’impact négatif sur les fonctions urinaire, sexuelle et intestinale était plus faible avec la surveillance active, et ce de manière statistiquement significative. Les résultats avec un suivi de 15 ans et une mortalité spécifique au cancer de la prostate faible quel que soit le traitement attribué, ne changent guère les conclusions (3,4). Une étude britannique sur le dépistage par un seul dosage du PSA appelée CAP pour « Cluster Randomized Trial of PSA Testing for Prostate » n’avait pas montré de diminution de la mortalité liée à ce cancer à 10 ans de suivi (5). Les auteurs ont publié les résultats d’une analyse secondaire avec 15 ans de suivi (6). À noter que les patients dépistés dans cette étude se sont vu proposer de participer à l’étude ProtecT.
Résumé
Population étudiée
- 573 cabinets de pratique randomisés, 271 dans le groupe intervention (dosage PSA) et 302 dans le groupe contrôle
- critères d’inclusion : tous les hommes âgés de 50 à 69 ans dans chacune des pratiques de soins primaires randomisées
- critères d’exclusion :
- antécédents de cancer de la prostate au plus tard à la date de randomisation
- enregistrement du patient auprès du cabinet sur une base temporaire ou d'urgence
- au total, 415357 hommes âgés de 50 à 69 ans avec 195912 randomisés dans le groupe dépistage du PSA et 219445 dans le groupe contrôle.
Protocole d’étude
Essai randomisé en cluster
- entre une seule invitation pour un test de dépistage du PSA suivi de tests de diagnostic si le niveau de PSA était de 3,0 ng/ml ou plus (groupe intervention)
- et une pratique standard sans invitation (groupe témoin).
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire (non-objet de la présente publication) : mortalité du cancer de la prostate à 10 ans
- critères de jugement secondaires (objets de la présente publication) :
- mortalité certaine ou probable par cancer de la prostate à 15 ans de suivi
- mortalité toutes causes confondues à 15 ans de suivi
- grade et stade du cancer à 15 ans de suivi.
Résultats
- mortalité certaine ou probable par cancer de la prostate à 15 ans de suivi : 1199 hommes du groupe d'intervention (0,69% avec IC à 95% de 0,65% à 0,73%) et 1451 hommes du groupe témoin (0,78% avec IC à 95% de 0,73% à 0,82%) sont décédés d'un cancer de la prostate (RR de 0,92 avec IC à 95% de 0,85 à 0,99 ; p = 0,03)
- grade et stade du cancer à 15 ans de suivi : l'intervention de dépistage du PSA a augmenté la détection des maladies de bas grade (score de Gleason (GS) ≤ 6 : 2,2% contre 1,6% ; p < 0,001) et localisées (T1/T2 : 3,6% contre 3,1% ; p < 0,001), mais pas des tumeurs intermédiaires (GS de 7), de haut grade (GS ≥ 8), localement avancées (T3) ou distalement avancées (T4/N1/M1)
- mortalité toutes causes confondues à 15 ans de suivi : 45084 décès toutes causes confondues dans le groupe d'intervention (23,2% avec IC à 95% de 23,0% à 23,4%) et 50336 décès dans le groupe témoin (23,3% avec IC à 95% de 23,1% à 23,5%) avec un RR de 0,97 avec IC à 95% de 0,94 à 1,01 ; p = 0,11)
- effets létaux adverses à 15 ans : 8 des décès dans le groupe d'intervention (0,7%) et sept dans le groupe témoin (0,5%) étaient liés à une biopsie diagnostique ou à un traitement du cancer de la prostate.
Conclusion des auteurs
Dans cette analyse secondaire d'un essai clinique randomisé, une seule invitation au dépistage du PSA par rapport à la pratique standard sans dépistage systématique a réduit les décès par cancer de la prostate avec un suivi médian de 15 ans. Toutefois, la réduction absolue des décès a été faible.
Financement de l’étude
Par le Cancer Research UK et UK Department of Health (NIHR pour National Institute for Health and Care Research).
Conflit d’intérêts des auteurs
Liens d’intérêt rapportés avec l’industrie pour certains auteurs.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
L’étude rapportée porte sur un objectif secondaire. L’objectif primaire pour laquelle l’étude était calibrée est la mortalité par cancer de la prostate avec un suivi médian de 10 ans (5). Les résultats ne montraient pas de différence : 549/75707 patients (0,30 pour 1000 personnes-années) étaient décédés d'un cancer de la prostate dans le groupe d'intervention contre 647/67313 (0,31 pour 1000 personnes-années) dans le groupe témoin (différence de taux de -0,013 pour 1000 personnes-années (avec IC à 95% de -0,047 à 0,022) avec un rapport des taux (RR) de 0,96 avec IC à 95% de 0,85 à 1,08. L’objectif secondaire analysé était planifié dans le protocole et le résultat observé doit être considéré comme exploratoire.
Il faut garder à l’esprit qu’il y a un “essai dans l’essai”. Car les patients dépistés positivement pour un cancer de la prostate se sont vus proposer de participer à l’essai ProtecT, comparant un suivi actif, une chirurgie ou une radiothérapie pour un cancer de la prostate localisé avec un risque faible à intermédiaire détecté par un PSA entre 3 et 20 μg/l chez des hommes de moins de 70 ans (7). Dans celui-ci, après 15 ans de suivi, la mortalité spécifique au cancer de la prostate a été basse quel que soit le traitement attribué (8), ce qui ne devrait donc pas biaiser la présente étude. Cette imbrication rend difficile l’interprétation des effets adverses qui n’ont d’ailleurs pas été recueillis sauf les létaux. Le suivi des patients randomisés n’a pas été clinique. Les informations clés ont été obtenues par consultation de registres. La mortalité par cancer de la prostate après 15 ans de suivi a été vérifiée à l'aide de certificats de décès de l'Office for National Statistics du NHS England et évaluée par un comité indépendant d'évaluation des causes de décès en utilisant les informations cliniques provenant des dossiers médicaux de l'hôpital et en suivant un protocole standardisé. Le stade du cancer de la prostate et le grade de Gleason ont été obtenus auprès du National Disease Registration Service du NHS England et de Public Health Wale.
Évaluation des résultats
Il s’agit d’un essai randomisé en grappe. Les sujets n’ont donc pas été individuellement randomisés mais bien les institutions dont ils dépendent et qui sont dans le présent cas les cabinets de soins primaires, ce qui peut être source de biais. À noter que le consentement a été obtenu auprès des cabinets médicaux et non des patients. Une telle étude ne serait probablement pas possible pour cette raison en Belgique. Il n’y a eu qu’une seule invitation pour un test de dépistage du PSA, ce qui ne correspond pas à la pratique dans d’autres essais comme l’European Randomized Study of Prostate Cancer Screening (ERSPC) sur lequel le KCE base ses recommandations (9) et où un dosage est proposé tous les 2 à 4 ans. À noter que dans les bras contrôle, les auteurs ont évalué à 10 à 15% les sujets ayant eu un dosage du PSA dans les 10 premières années sans avoir d’information sur la raison du test. L'ampleur de l'effet à 15 ans a été faible. Il n’y a eu aucun effet sur la survie globale. De plus, il n’y a aucune donnée autre que les morts « toxiques » sur les effets secondaires comme les dysfonctions urinaires, sexuelles ou intestinales. À noter qu’une méta-analyse récente (10) confirme l’absence de bénéfice de survie globale : le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA est associé à un gain non significatif de survie de 37 jours (avec IC à 95% de -37 à 73 jours).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans les recommandations américaines de l’US Preventive Services Task Force, le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA (11) devrait être une question individuelle et devrait inclure une discussion sur les avantages et les inconvénients potentiels du dépistage avec leur clinicien. Pour l’Association Européenne d’Urologie (12), la mise en œuvre d’un dépistage basé le PSA doit être envisagée à l’échelle de la population. Les hommes présentant un risque de cancer de la prostate devraient subir un test sanguin de base pour le PSA (par exemple, à 45 ans). Le niveau de ce test, combiné aux antécédents familiaux, à l’origine ethnique et à d’autres facteurs, peut être utilisé pour déterminer le suivi ultérieur. En Belgique, le KCE (9) recommande aussi une approche individuelle du type de celle de l’US Preventive Services Task Force, réservant le dépistage systématique aux hommes à risque (antécédents familiaux de cancer de la prostate, origine africaine).
Conclusion de Minerva
Cette analyse secondaire d'un essai clinique randomisé en grappe présentant des limites méthodologiques et dont le résultat doit être considérés comme exploratoire montre qu’une seule invitation au dépistage du cancer prostatique par dosage du PSA par rapport à la pratique standard sans dépistage systématique a réduit les décès par cancer de la prostate avec un suivi médian de 15 ans. Cependant, la réduction absolue des décès est faible. Ces données ne changent pas les recommandations actuelles, à savoir de ne pas faire de dépistage systématique chez l’homme.
- Spinnewijn B, Van den Bruel A. Cancer de la prostate: à dépister ou non ? MinervaF 2009;8(9):124‑5.
- Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ; ERSPC Investigators. Screening and prostate-cancer mortality in a randomized European study. N Engl J Med 2009;360:1320-8. DOI: 10.1056/NEJMoa0810084
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Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Score de GleasonCode
C61
Y77
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