Revue d'Evidence-Based Medicine
Cancer de la prostate : à dépister ou non ?
Contexte
L’incidence cumulée de cancer de la prostate à l’âge de 75 ans est montée, en Belgique, de 2% en 1990 à 6% en 1998 ; c’est le cancer le plus fréquent chez l’homme. La mortalité cumulative par cancer de la prostate stagne par contre à 1,1%. Ce cancer de la prostate n’est responsable que d’un pour cent de l’ensemble des années de vie perdues à cause des différents cancers (1,2). Les preuves d’un effet d’un dépistage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) sur la mortalité par cancer de la prostate étaient insuffisantes.
Résumé
Population étudiée
- 182 000 hommes âgés de 50 à 74 ans recrutés via les registres de population dans 7 pays européens, dont la Belgique
- groupe prédéfini, de prédilection, de 162 243 hommes âgés de 55 à 69 ans ; âge moyen de 60,8 ans (écarts de 59,6 à 63,0).
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée (RCT), multicentrique
- groupe intervention (n=72 890) : invitation tous les 4 ans environ à passer un dépistage par PSA
- groupe contrôle (n=89 353) : soins courants sans invitation à un dépistage
- selon le centre d’étude : seuil de PSA pour biopsie de 3,0 ng/ml à 4,0 ng/ml ; examens de dépistage complémentaires en cas de PSA de 2,5 à 3,9 ng/ml.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : décès par cancer de la prostate
- critère secondaire : mortalité globale, qualité de vie
- contrôle du motif de décès par une commission indépendante, en insu
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- suivi moyen de 8,8 ans
- groupe de prédilection des hommes âgés de 55 à 69 ans : significativement moins de décès par cancer de la prostate dans le groupe intervention versus contrôle : rapport de proportions (RP) de 0,80 ; IC à 95% de 0,65 à 0,98 ; nombre nécessaire à dépister (NND) de 1 410 hommes (IC à 95% de 1 142 à 1 721) avec une moyenne de 1,7 contact de dépistage sur 9 ans ; pas de différence pour la mortalité globale : RP de 0,99 (95% 0,97-1,02)
- groupe total des hommes âgés de 50 à 74 ans : pas de différence significative entre les 2 groupes : RP de 0,85 ; IC à 95% de 0,73 à 1,00
- PSA : réalisé au moins une fois chez 82,2% des patients du groupe intervention et 16,2% (écarts de 11,1% à 22,3%) des tests anormaux
- PSA ≥ valeur seuil : 85,8% (écarts de 65,4% à 90,3%) suivis d’une biopsie ; 75,9% de faux positifs
- incidence cumulée de cancer de la prostate de 8,2% dans le groupe intervention et de 4,8% dans le groupe contrôle ; score de Gleason ≤ 6 (agressivité faible) pour 72,2% du groupe intervention et 54,8% du groupe contrôle.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un dépistage par PSA réduit la mortalité par cancer de la prostate de 20%, avec un risque important de surdiagnostic comme corollaire.
Financement
Programmes européens, services de santé nationaux, Beckman Coulter et dons locaux.
Conflits d’intérêt
2 auteurs ont reçu des honoraires pour lectures de différentes firmes pharmaceutiques ; 1 auteur possède le brevet pour un test de PSA libre.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette publication intermédiaire de l’étude ERSPC donnent les résultats pour un groupe de prédilection d’hommes âgés de 55 à 69 ans. Etant donné que les pays participants pouvaient chacun fixer les limites d’âge, la tranche d’âge de la population totale s’étale de 50 à 75 ans. En outre, les différents centres ont des délais entre examens de dépistage et des seuils de PSA pour biopsie variables. En Belgique, par exemple, le dépistage n’a été effectué que tous les 7 ans au vu d’un manque de financement ; par contre, contrairement à d’autres pays, le médecin généraliste a été impliqué dans le protocole d’étude. L’hétérogénéité clinique présente complique l’interprétation des résultats et ne permet pas de déterminer la meilleure stratégie. Une commission indépendante a contrôlé la cause du décès selon un protocole bien structuré ; la spécificité d’un décès par cancer de la prostate nous semble cependant rester en question. Nous devons donc en tenir compte dans l’interprétation de la différence absolue dans le nombre des décès liés à ce cancer.
Interprétation des résultats
Pour éviter un décès supplémentaire par cancer de la prostate chez des hommes âgés de 55 à 69 ans, il faut en soumettre 1 410 à en moyenne 1,7 dépistage sur 9 ans. Le cancer de la prostate est un cancer à croissance lente et se caractérise par une longue survie, plus longue que la durée (provisoire) de cette étude. Il est donc possible que l’effet favorable s’accroisse avec les années de suivi. La puissance est insuffisante pour se prononcer sur la mortalité spécifique des hommes âgés de 70 à 74 ans ou de 50 à 54 ans. L’incidence cumulative du cancer de la prostate étant de 8,2% dans le groupe dépistage versus 4,8% dans le groupe contrôle, nous pouvons conclure que le dépistage a amené 48 diagnostics supplémentaires avec traitement d’un cancer de la prostate dans le groupe dépistage versus contrôle. Rappelons que le cancer de la prostate n’est responsable que de 1,1% des années de vie perdues en raison d’un cancer et exerce une influence faible sur le DALY (2). De nombreux hommes seront donc traités inutilement pour un cancer de la prostate, avec un risque d’impuissance, d’incontinence et/ou de troubles intestinaux post prostatectomie ou radiothérapie (1,3). Un dépistage systématique, outre un surdiagnostic de cancer de prostate, entraîne aussi 149 tests faussement « anormaux » de PSA, ce qui peut entraîner angoisse, colère, incapacité de travail mais aussi, en raison des procédures diagnostiques instaurées, hématurie, hémospermie, fièvre, douleur, rétention urinaire et prostatite post biopsie (1,3).
Il est dommage que l’évaluation du QALY n’était qu’un critère secondaire dans cette étude ERSPC, dont les résultats ne sont d’ailleurs pas encore disponibles. Outre ce QALY, une analyse coût-efficacité est nécessaire pour déterminer l’opportunité d’un dépistage afin de pouvoir adopter les prises de décision adéquates.
Autres études
Cette étude s’est déroulée parallèlement à une autre, aux E.-U., l’étude PLCO (4). Dans ce pays, un dépistage est également souvent réalisé malgré l’absence de preuve scientifique. Une récente enquête montre que 95% des urologues et 78% des médecins généralistes se font dépister (5). L’étude PLCO s’est déroulée au départ de 10 centres et a comparé un dépistage annuel par PSA plus un toucher rectal (TR) versus groupe contrôle, sur une durée de 6 ans. Aucune différence significative n’est observée entre les deux groupes. Deux explications sont possibles pour la divergence de ces résultats avec ceux de l’étude ERSPC. En premier lieu, l’étude ERSPC a une puissance beaucoup plus grande (davantage de patients inclus), ce qui permet de mettre en évidence de plus petites différences. En deuxième lieu, dans l’étude PLCO, 50% des hommes du groupe contrôle subissent quand même un test PSA, contamination probablement plus importante que celle observée dans l’étude ERSPC (chiffre non donné). Une contamination diminue l’efficacité relative observée pour un dépistage.
Pour la pratique
Faut-il recommander un dépistage systématique du cancer de la prostate par PSA ? Les résultats intermédiaires actuels de l’étude ERSPC ne peuvent apporter de réponse à cette question. Un patient âgé de moins de 75 ans qui demande un dépistage par PSA doit être bien informé de la faible spécificité de ce test, des avantages incertains dans le domaine de la mortalité liée à ce cancer, des inconvénients connus d’un dépistage et d’un (sur)traitement (3,6,7). Le médecin généraliste est le mieux placé pour cette information, parce qu’il connaît bien son patient et ses attentes de vie. Les données sont insuffisantes pour un dépistage chez les hommes de plus de 75 ans mais il existe un consensus pour ne pas le recommander (7).
Conclusion
Malgré le fait que cette étude montre qu’un dépistage du cancer de la prostate, chez des hommes âgés de 55 à 69 ans, apporte une diminution significative de la mortalité liée à ce cancer, un dépistage systématique n’est pas à recommander. Les résultats sont intermédiaires et les données sont insuffisantes pour déterminer le bénéfice exact en termes de QALY et le coût économique. Le dépistage du cancer de la prostate reste donc un choix individuel du patient, bien informé des bénéfices et désavantages.
Références
- Mambourg F, Van den Bruel A, Devriese S, et al. Health Technology Assessment: l’antigène prostatique spécifique (PSA) dans le dépistage du cancer de la prostate Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE); Avril 2006. KCE Reports vol. 31B. Ref. D/2006/10.273/17.
- Deaths and DALYs 2004: Annex Tables A2: Burden Of disease in Dalys by cause, sex and income group in WHO regions, estimates for 2004. www.who.int
- PSA et dépistage des cancers localises de la prostate. Rev Prescr 2009;308:437-43.
- Andriole GL, Grubb III RL, Buys SS, et al. Mortality results from a randomized prostate-cancer screening trial. N Engl J Med 2009;360:1310-9.
- Chan EC, Barry MJ, Vernon SW, Ahn C. Brief report: physicians and their personal prostate cancer-screening practices with prostate-specific antigen: a national survey. J Gen Intern Med 2006;21:257-9.
- Bangma C, Roobol MJ, De Koning HJ, et al. Screening vermindert sterfte aan prostaatkanker. Huisarts Wet 2009;52:353-60.
- Screening for prostate cancer. US Preventive Services Task Force. Recommendation Statement. Ann Intern Med 2008;149:185-91.
Auteurs
Spinnewijn B.
Huisarts, Commissie Preventie Domus Medica vzw
COI :
Van den Bruel A.
ACHG KU Leuven
COI :
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