Revue d'Evidence-Based Medicine



Planification anticipée des soins et vie à domicile : exploration des expériences des patients cancéreux en fin de vie



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 1 Page 10 - 14

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Driller B, Maienborn C, Aasen EM, et al. Normality and compassionate care: experiences from advanced cancer patients in their last time at home. BMC Prim Care 2024;25:245. DOI: 10.1186/s12875-024-02499-x


Question clinique
Quels sont les apports, les défis et les expériences associés à la planification anticipée des soins chez les patients cancéreux en fin de vie à domicile ?


Conclusion
Cette étude qualitative exploratoire révèle que, pour les patients atteints de cancer avancé avec une durée de survie estimée à moins de trois mois, la préservation de la normalité à domicile dépend de leur bien-être physique, du soutien des aidants et d’une communication compatissante avec les professionnels de santé, essentielle pour maintenir leur autonomie et aborder les défis liés à la qualité de vie. Toutefois, les limites méthodologiques de cette étude limitent la portée des conclusions, ne rendant pas possible une interprétation valable des résultats et leur généralisation à des contextes similaires. Ainsi, bien que les impressions recueillies puissent être pertinentes à titre exploratoire, ils ne permettent pas une compréhension approfondie des nuances ou une identification fiable de toutes les thématiques émergentes possibles.


Contexte

Minerva, en 2020, a déjà analysé dans une précédente étude (1,2) que la planification anticipée des soins (Advance Care Planning - ACP) ou planification des soins dirigée par un(e) infirmier/ère est efficace pour favoriser la discussion et l’enregistrement des éléments liés à la planification anticipée des soins. Toujours en 2020, Minerva a également analysé une autre étude qui soulignait la difficulté d’évoquer l’ACP pour les patients en bonne santé âgés de 66 ans en moyenne (3,4). En Belgique, depuis octobre 2022, un Arrêté Royal du 4 septembre 2022 est paru au Moniteur belge. Il insère dans la nomenclature des prestations de santé la codification 103692 qui atteste de la rédaction et du suivi de l'Advance Care Planning (ACP) chez des patients qui ont été identifiés palliatifs suivant l'échelle d'identification du patient palliatif (PICT). L’ACP est donc au cœur de la prise en charge palliative mais n’avait qu’encore été que peu explorée (5).

 

 

Résumé 

 

Population étudiée 

  • critères d’inclusion :
    • patients atteints de cancer avancé incurable
    • soins palliatifs avec espérance de vie < 3 mois
    • résidant à domicile, région rurale (Norvège occidentale)
    • participants ayant bénéficié de l’Advance Care Planning (ACP) structuré dans les soins primaires
    • patient capable de communiquer en norvégien
  • au total, participants : 12 patients en soins palliatifs atteints de cancer avancé incurable
  • processus ACP : discussions structurées menées par des infirmières spécialisées en oncologie, en collaboration avec des médecins généralistes.

 

Protocole d’étude

Qualitative exploratoire respectant les lignes directrices du COREQ (Consolidated Criteria for Reporting Qualitative Research)

  • entretiens semi-structurés individuels de 18 à 41 minutes
  • analyse thématique réflexive, approche abductive et focalisation au niveau latent des données
  • discussions conjointes avec synthèse des points de vue de tous les auteurs pour affiner l’interprétation des données
  • les contrôles de fiabilité au sein de l'équipe devaient garantir l'exactitude des résultats
  • approbation éthique du Regional Committees for Medical and Health Research Ethics norvégien, consentement éclairé des participants.

 

Mesure des résultats 

  • thèmes et sous-thèmes illustrés par des données partiales.

 

Résultats

L’analyse a permis de dégager trois thèmes et deux sous-thèmes :

  • thème 1 : préservation de la normalité à domicile : les 12 participants ont exprimé un fort désir de rester à domicile, en valorisant le confort, la routine, et l'autonomie. Certains ont indiqué que cela dépendait de leur état physique et de la disponibilité des aidants.
    • sous-thème : le défi de la détérioration : le traitement contre le cancer et/ou la maladie présentent parfois des effets secondaires très importants, induisant parfois un sentiment de désespoir. Les participants disent avoir suivi un processus d'apprentissage pour gérer leurs symptômes et s'adapter aux limitations physiques. Dans les cas de détérioration importante de la santé physique, des sentiments de frustration, de tristesse et de perte d’estime de soi sont apparus. Déchirés entre le fait d’être un fardeau (ingérable pour la famille) et l’amour de leur maison, les participants expriment des sentiments contradictoires.
    • sous-thème :  la valeur des aidants familiaux et la peur d’être un fardeau : la présence des aidants familiaux a non seulement apporté du réconfort, mais a également contribué à un sentiment de connexion au sein de toute la famille. Les patients en fin de vie craignent de représenter pour les aidants une source de fardeau émotionnel et physique. La communication entre aidants et patients était souvent limitée concernant la capacité ou la disponibilité des aidants à continuer le soutien. Les participants s'attendaient à ce que leur aidant familial décide activement dans quelle mesure il est en mesure de s'impliquer encore, ou pas, dans le soutien et les soins. Si bien que le lieu de décès n’est pas l’objet d’une exigence particulière : certains préféraient mourir à domicile si possible, mais d’autres préféraient mourir à l’hôpital, ne voulant être un fardeau trop lourd ni pour leur aidant, ni pour les professionnels de santé en ambulatoire. 
  • thème 2 : importance des soignants compatissants : les professionnels de santé jouant un rôle clé étaient valorisés pour leur écoute, leur empathie, et leur capacité à communiquer efficacement. La confiance et le soutien émotionnel étaient soulignés comme fondamentaux. Le rôle des infirmières en cancérologie communautaire et des infirmières à domicile a particulièrement été mis en évidence. Le rôle des médecins généralistes a été décrit de manière ambivalente : certains participants ont souligné une relation positive avec leur médecin généraliste, tandis que d’autres ont déclaré que leur médecin généraliste était moins impliqué depuis qu’ils avaient commencé leur traitement contre le cancer dans des établissements de soins spécialisés. À noter que les participants attendaient que leur médecin généraliste initie le contact.
  • thème 3 : préparation pour la fin de vie grâce à l’ACP : les discussions ACP ont aidé certains participants à se sentir mieux préparés et à réduire leur incertitude, même si elles étaient parfois inconfortables. Certains ne se souvenaient pas de discussions ACP spécifiques mais ressentaient un soutien général, d’autant plus que certains ont mentionné la possibilité de recourir à l’infirmière en cancérologie via une ligne ouverte. Cependant, la préparation à la fin de vie a été reconnue comme un processus difficile et émotionnellement éprouvant. Certains participants n’étaient pas prêts à planifier la fin de vie, tandis que d’autres évitaient activement d’envisager leur propre mortalité.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la préservation de la normalité à domicile, associée au désir de rester chez soi le plus longtemps possible, apparaît comme un objectif important pour les patients atteints d'un cancer avancé. Cependant, la réalisation de cet objectif dépend du bien-être physique et du soutien apporté par les aidants familiaux, avec une incertitude quant à l'ampleur du fardeau que les patients peuvent imposer aux autres.
Les participants ont exprimé un sentiment de dépendance à l'égard des professionnels de la santé pour un soutien médical et émotionnel continu. La confiance et le sentiment de certitude ont été établis et maintenus grâce à une communication compréhensible et compatissante au fil du temps. Outre des aspects tels que l'autonomie et l'exercice du contrôle, le processus de planification anticipée des soins semble être profondément ancré dans les relations personnelles avec les prestataires de soins de santé, émergeant comme un résultat majeur résultant des discussions sur les défis futurs et les considérations relatives à la qualité de vie.

 

Financement de l’étude

Le financement en libre accès est assuré par l'Université norvégienne des sciences et de la technologie NTNU (y compris l'hôpital St. Olavs et l'hôpital universitaire de Trondheim) ; la Direction norvégienne de la santé a financé l'élaboration et la mise en œuvre des conversations ACP et la synthèse des plans palliatifs dans le comté de Møre et Romsdal ; cette étude a bénéficié du soutien du Møre and Romsdal Hospital Trust et de l'Université norvégienne des sciences et de la technologie (NTNU) ; les organismes de financement n'ont joué aucun rôle dans la conception de l'étude, la collecte, l'analyse, l'interprétation des données ou la rédaction du manuscrit.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt.

 

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie

L’utilisation des lignes directrices COREQ (Consolidated Criteria for Reporting Qualitative Research) témoigne d’un effort manifeste de rigueur et de transparence méthodologique. Ces critères permettent de structurer et de communiquer de manière claire les étapes et les choix méthodologiques de l’étude qualitative. L’une des principales limitations méthodologiques de cette étude réside dans la taille insuffisante de l’échantillon, qui se limite à 12 participants, dont seulement 10 interviews peuvent être considérées comme pleinement valables. Parmi les 12 entretiens, deux ont été réalisés en présence de deux enquêteurs, ce qui, selon l’étude elle-même, a pu créer un déséquilibre perçu des pouvoirs. Par conséquent, seules 10 interviews valides peuvent être considérées. En particulier, la stratégie d’échantillonnage par variation, qui vise à maximiser la diversité des perspectives, ne peut atteindre son plein potentiel avec un échantillon aussi restreint. Cette lacune méthodologique limite la portée des conclusions, rendant difficile une interprétation robuste des résultats et leur généralisation à des contextes similaires. Ainsi, bien que les impressions recueillies puissent être pertinentes à titre exploratoire, elles ne permettent pas une analyse approfondie des nuances ou une identification fiable de toutes les thématiques émergentes possibles. Par conséquent, les conclusions de cette étude doivent être interprétées avec prudence, en tenant compte des contraintes imposées par la taille de l’échantillon. 
Bien que ce nombre puisse encore fournir des connaissances précieuses, il limite la portée des conclusions mais invite à explorer la diversité des expériences. Les deux principaux codeurs manquaient d’expérience en recherche qualitative. Pour compenser cette limitation, des réunions régulières ont été organisées entre les codeurs et les autres chercheurs. Ces discussions collaboratives ont permis de clarifier les ambiguïtés, d’affiner le processus de codage et d’améliorer la fiabilité de l’analyse.
L'étude mentionne également des contrôles de fiabilité réalisés de manière systématique pour vérifier l'exactitude des résultats. Toutefois, elle ne détaille pas de critères de fiabilité spécifiques. Construite sur une approche abductive, l’analyse s’appuie sur une interprétation au niveau latent, favorisant l’émergence de significations profondes. Ces biais ont été atténués grâce à des discussions fréquentes et une réévaluation des thèmes identifiés en comparaison avec la littérature. Le guide d’entretien, élaboré par deux auteurs, s’est appuyé sur leurs connaissances préalables du sujet et s’est concentré sur les expériences clés des participants. Cependant, l’étude ne fournit pas d’informations détaillées sur les antécédents des auteurs, ce qui constitue une lacune méthodologique. Une transparence accrue sur leur expertise permettrait de mieux évaluer les biais potentiels.
Dans la réalisation de ce document, l’outil d’intelligence artificielle générative ChatGPT a été utilisée comme support à la rédaction. Cet outil a contribué à proposer des reformulations, améliorer la cohérence rédactionnelle, et structurer certains passages. Toutes les modifications et suggestions ont été examinées, adaptées, et approuvées par l’auteur afin de respecter les principes éthiques et académiques.

 

Évaluation des résultats

Les participants sont des patients présentant un cancer avancé non curable, en soins palliatifs, avec une durée de survie estimée de moins de 3 mois. Pour le KCE (7), idéalement, la planification anticipée devrait se faire avant toute maladie grave, de préférence avec son médecin généraliste, et déboucher sur une trace écrite que le médecin peut conserver dans le dossier médical tout en se rappelant que les décisions ainsi prises peuvent ensuite être réajustées autant de fois que le patient le souhaite. Les propos recueillis dans l’étude présentée ici ne peuvent s’appliquer qu’à des patients avec une espérance de vie limitée. Une étude au long court permettrait de mieux comprendre les avantages et inconvénients d’une planification anticipée des soins, d’autant plus que cette étude-ci montre, encore une fois, qu’une discussion relative à sa propre finitude n’est pas évidente pour les patients. 
Parmi les acteurs disponibles pour les patients en Norvège, notons l’apport important que représentent les infirmières communautaires et la mise en place d’une ligne ouverte en termes de confiance des patients en leurs capacités et de soutien émotionnel. Notons aussi que les médecins généralistes ne doivent pas avoir peur de prendre leur place dans les soins, même si ceux-ci deviennent fortement accompagnés par des équipes spécialisées, car les patients semblent en attente d’un pas vers eux. Les patients interrogés ont vécu des moments difficiles, soit secondaires à l’évolution de la maladie, soit à cause des effets indésirables des traitements anticancéreux. Vivre ces moments à domicile, dans le lieu qu’ils aiment et connaissent, semblent les aider à surmonter ces épreuves. Et pourtant, alors que leur pronostic vital est limité, la plupart des patients interrogés ne savent pas où ils voudraient mourir. On comprend néanmoins que le fait de se sentir un fardeau pour les aidants naturels ou pour les professionnels de la santé est une limite à ne pas dépasser. L’étude ne détaille pas ce moment de basculement, mais de nouvelles études devraient s’y atteler pour aider les professionnels à accompagner au mieux les patients et leurs familles. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En 2018, « Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) en Belgique a émis des recommandations concernant la planification anticipée des soins (Advance Care Planning ou ACP). Dans son rapport intitulé "Soins appropriés en fin de vie", le KCE « souligne l'importance de l'ACP comme processus de concertation entre le patient, ses proches et les prestataires de soins, visant à définir une orientation commune des soins et des traitements à mettre ou non en œuvre. Ce processus facilite les prises de décision dans les situations d'urgence ou lorsque le patient n'est plus en mesure d'exprimer clairement ses volontés. 
Le KCE recommande que l'ACP devienne une pratique généralisée, idéalement initiée avant toute maladie grave, de préférence avec le médecin généraliste. Il est essentiel que les décisions prises soient consignées par écrit dans le dossier médical et accessibles à tous les professionnels de santé concernés. Le KCE constate également que, malgré la disponibilité des soins palliatifs, ceux-ci sont souvent mis en place trop tardivement. » (6,7).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude qualitative exploratoire révèle que, pour les patients atteints de cancer avancé avec une durée de survie estimée à moins de trois mois, la préservation de la normalité à domicile dépend de leur bien-être physique, du soutien des aidants et d’une communication compatissante avec les professionnels de santé, essentielle pour maintenir leur autonomie et aborder les défis liés à la qualité de vie. Toutefois, les limites méthodologiques de cette étude limitent la portée des conclusions, ne rendant pas possible une interprétation valable des résultats et leur généralisation à des contextes similaires. Ainsi, bien que les impressions recueillies puissent être pertinentes à titre exploratoire, ils ne permettent pas une compréhension approfondie des nuances ou une identification fiable de toutes les thématiques émergentes possibles. 

 

 


Avertissement

Dans la réalisation de ce document, l’outil d’intelligence artificielle générative ChatGPT a été utilisée comme support à la rédaction. Cet outil a contribué à proposer des reformulations, améliorer la cohérence rédactionnelle, et structurer certains passages. Toutes les modifications et suggestions ont été examinées, adaptées, et approuvées par l’auteur afin de respecter les principes éthiques et académiques.

 

 

Références 

  1. Cordyn S. Quelle est l’utilité d’un parcours de soins dirigé par des infirmiers/ères pour la planification anticipée des soins ? Minerva Analyse 15/10/2021.
  2. Gabbard J, Pajewski NM, Callahan KE, et al. Effectiveness of a nurse-led multidisciplinary intervention vs usual care on advance care planning for vulnerable older adults in an accountable care organization: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2021;181:361-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2020.5950
  3. Wens J. Quels sont les obstacles à une discussion sur la planification anticipée des soins ? Minerva Analyse 17/12/2020.
  4. Bernard C, Tan A, Slaven M, et al. Exploring patient-reported barriers to advance care planning in family practice. BMC Fam Pract 2020;21:94. DOI: 10.1186/s12875-020-01167-0
  5. Driller B, Maienborn C, Aasen EM, et al. Normality and compassionate care: experiences from advanced cancer patients in their last time at home. BMC Prim Care 2024;25:245. DOI: 10.1186/s12875-024-02499-x
  6. Mistiaen P, Van den Broeck K, Aujoulat I, et al. Soins appropriés en fin de vie. Health Services Research. Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé 2017. KCE Report 296Bs. DOI: 10.57598/R296BS
  7. Rapport KCE. Soins appropriés en fin de vie. Portail des soins palliatifs en Wallonie. Published 10/01/2018. 

 




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