Analyse
Quelle est l’utilité d’un parcours de soins dirigé par des infirmiers/ères pour la planification anticipée des soins ?
Dans Minerva, nous avons discuté en 2015 d’une synthèse méthodique, d’excellente qualité, qui montrait, sur la base d’un nombre limité d’études hétérogènes, que la programmation de soins personnalisés, par comparaison avec la prise en charge habituelle, conduisait à une petite amélioration des critères de jugement physiques et psychiques chez les patients atteints d’une affection chronique, principalement le diabète sucré (1,2). L’effet sur l’état de santé subjectif, sur les capacités d’autonomie et sur d’autres critères de jugement individualisés n’était pas clair. En outre, à cause du petit nombre d’études, il n’avait pas été possible de déterminer quelles interventions étaient les plus efficaces ni chez quels patients atteints de plusieurs maladies chroniques.
Une étude contrôlée randomisée pragmatique a examiné l’effet d’un parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère sur la planification anticipée des soins au sein d’un système de santé existant spécialement auprès de personnes âgées vulnérables (3). Sur la base du dossier médical informatisé (DMI), huit cabinets de soins primaires en Caroline du Nord (aux Etats-Unis) ont recruté 759 patients vivant à domicile, âgés de plus de 65 ans (âge moyen de 77,7 ans (ET 7,4 ans)), 60% étant des femmes, atteints de multimorbidité (score de comorbidité de Charlson ≥ 3) et présentant des limitations cognitives ou physiques et/ou une fragilité. Ils ont été randomisés en deux groupes : l’un avec un parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère pour la planification anticipée des soins (n = 379), et l’autre avec la prise en charge habituelle (n = 380). Les patients du groupe intervention ont été interrogés par téléphone par un(e) infirmier/ère praticien(ne) au sujet d’un certain nombre d’aspects de la planification anticipée des soins : quels sont les objectifs de soins ?, qu’est-ce qui donne sens à la vie ?, où la personne veut-elle mourir ?, quelles sont les préoccupations concernant la santé ?, qui est le représentant ? Après cette préconsultation téléphonique, l’infirmier/ère a noté la motivation de chaque personne à s’impliquer dans la planification anticipée des soins (phase de précontemplation, phase de contemplation, phase d’action), et une consultation physique avec le médecin généraliste a été programmée. Les informations obtenues à partir de la conversation téléphonique ont été enregistrées de manière harmonisée dans une interface spécifiquement conçue pour la planification anticipée des soins, puis transmises au médecin généraliste et intégrées dans le DMI du patient. Au cours de la consultation physique, le médecin généraliste a utilisé la même interface pour documenter des informations supplémentaires concernant la planification anticipée des soins (compréhension de la maladie, pronostic, situations inacceptables en fin de vie, discussion et enregistrement des documents juridiques, évitement d’actions spécifiques telles que la réanimation cardio-pulmonaire, l’intubation, l’alimentation artificielle, l’administration de liquides par voie intraveineuse, les antibiotiques) et pour facturer l’entretien concernant la planification anticipée des soins.
Par rapport à la prise en charge habituelle, le parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère a entraîné un pourcentage plus élevé de documentation de planification anticipée des soins dans le DMI (principal critère de jugement) (42,2% contre 3,7% ; p < 0,001). De plus, le numéro de nomenclature pour la planification anticipée des soins a été utilisé plus fréquemment dans le parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère (25,3% contre 1,3% ; p < 0,001). La désignation d’un représentant, l’enregistrement des actes juridiques, des testaments, des procurations étaient également plus souvent mentionnés dans le DMI en cas de parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère (p < 0,001). Après un an, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes quant au nombre de visites aux urgences et d’hospitalisations (= critères de jugement exploratoires). Peut-être la puissance n’était-elle pas assez élevée (seulement 96 patients ont terminé l’intervention complète) et le suivi était-il trop court pour démontrer un effet.
Nous pouvons considérer qu’il est très encourageant que cette forme de collaboration interdisciplinaire entre l’infirmier/ère et le médecin généraliste ait entraîné davantage de discussions et d’enregistrements des éléments liés à la planification anticipée des soins. En effet, le médecin généraliste est censé entamer une discussion sur la planification anticipée des soins et prévoir d’y consacrer suffisamment de temps. Le médecin généraliste doit également tenir compte du souci d’éviter que la planification anticipée des soins n’entraîne des tensions au sein de la famille (4,5). Il convient également de se rendre compte que, souvent, les thèmes évoqués qui pourraient être utiles pour entamer une conversation sur la fin de vie ne sont pas les mêmes pour les médecins généralistes et pour les patients (6,7). De plus, les médecins généralistes ont un rôle important à jouer dans l’enregistrement des souhaits de fin de vie dans des documents clairs, de préférence harmonisés (8,9). On ne sait pas encore bien comment mettre en œuvre dans notre système de santé la forme de collaboration interdisciplinaire entre infirmiers/ères et médecins généralistes qui est utilisée dans cette étude.
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique belge « Planification anticipée des soins » définit la planification anticipée des soins comme un processus continu et dynamique de réflexion et de dialogue entre le patient, ses proches et le ou les prestataires de soins de santé, au cours duquel les objectifs de soins futurs peuvent être finalement discutés et planifiés (10). Il est préférable que les professionnels de la santé prennent eux-mêmes l’initiative d’entamer des discussions sur la planification anticipée des soins (GRADE 1B). Les discussions sur la planification anticipée des soins doivent être soigneusement préparées (GRADE 1C). Le premier entretien portera sur l’importance, les possibilités et les limites de la planification anticipée des soins (GRADE 1B-C).
Conclusion
Cette étude contrôlée, randomisée, pragmatique, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’un parcours de soins dirigé par un(e) infirmier/ère pour la planification anticipée des soins, intégré aux soins de première ligne et facilité par l’échange électronique de données sur les patients entre l’infirmier/ère et le médecin généraliste, est efficace pour favoriser la discussion et l’enregistrement des éléments liés à la planification anticipée des soins.
- Boeckxstaens P. Planification de soins personnalisés en cas de maladie chronique ? MinervaF 2015;14(10):124-5.
- Coulter A, Entwistle VA, Eccles A, et al. Personalised care planning for adults with chronic or long-term health conditions. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD010523.pub2
- Gabbard J, Pajewski NM, Callahan KE, et al. Effectiveness of a nurse-led multidisciplinary intervention vs usual care on advance care planning for vulnerable older adults in an accountable care organization: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2021;181:361-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2020.5950
- Wens J. Quels sont les obstacles à une discussion sur la planification anticipée des soins ? Minerva bref 17/12/2020.
- Bernard C, Tan A, Slaven M, et al. Exploring patient-reported barriers to advance care planning in family practice. BMC Fam Pract 2020;21:94. DOI: 10.1186/s12875-020-01167-0
- Wens J. Les adultes souhaitent-ils parler de leur fin de vie avec le médecin généraliste ? Minerva bref 02/07/2018.
- De Vleminck A, Batteauw D, Demeyere T, Pype P. Do non-terminally ill adults want to discuss the end of life with their family physician? An explorative mixed-method study on patients’ preferences and family physicians in Belgium. Fam Pract 2017. DOI: 10.1093/fampra/cmx125
- Van De Vijver E. Programmation des soins en fonction de l’évolution pour les patients hospitalisés : la grande inconnue. Minerva bref 15/12/2013.
- Heyland DK, Barwich D, Pichora D, et al; ACCEPT (Advance Care Planning Evaluation in Elderly Patients) Study Team; Canadian Researchers at the End of Life Network (CARENET). Failure to engage hospitalized elderly patients and their families in advance care planning. JAMA Intern Med 2013;173:778-87. DOI: 10.1001/jamainternmed.2013.180
- Planification anticipée des soins. Guide de pratique clinique belge. Federatie Palliatieve zorg Vlaanderen. Ebpracticenet 26/11/2014.
Auteurs
Cordyn S.
verpleegkundig beleidsmedewerker Wit-Gele Kruis van Vlaanderen
COI :
Glossaire
score de comorbidité de CharlsonCode
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