Analyse
Quels sont les obstacles à une discussion sur la planification anticipée des soins ?
Minerva a déjà abordé à plusieurs reprises le thème de la planification anticipée des soins. L’utilité de la planification anticipée des soins dans les différents contextes n’est toutefois pas évidente. Une étude randomisée contrôlée a montré que, même si les patients avaient fait connaître leurs souhaits concernant leur fin de vie, il n’en avait pas été tenu compte lors d’une hospitalisation en urgence. L’étude a toutefois souligné le rôle du médecin généraliste dans la communication avec le patient et avec les médecins hospitaliers (1,2). Par ailleurs, une étude observationnelle belge a montré que les patients âgés de 50 ans ou plus sans maladie en phase terminale ni troubles cognitifs étaient prêts à discuter de la planification anticipée des soins avec leur médecin généraliste. Cependant, les thèmes appropriés et pertinents qui devraient être abordés lors de cette conversation ne sont pas toujours bien coordonnés entre les deux parties (3,4).
Une étude transversale menée dans trois provinces canadiennes a examiné les connaissances des patients concernant la planification anticipée des soins et leur participation à la planification anticipée des soins (5). 20 médecins généralistes ont invité consécutivement tous les patients de plus de 50 ans sans déficience cognitive qui comprenaient suffisamment l’anglais et savaient lire et écrire à participer à l’étude. 878 patients qui étaient prêts à participer ont été invités à remplir eux-mêmes un questionnaire avec des données sociodémographiques, à se situer sur l’échelle de fragilité clinique en 7 points de l’étude canadienne « santé et vieillissement » (Canadian Study of Health and Aging, CSHA) (échelle dont la corrélation avec l’indice de fragilité (Frailty Index) est bonne) (6) et à répondre à la question de savoir s’ils avaient déjà entendu parler de la planification anticipée des soins et à quatre questions fermées sur la participation à la planification anticipée des soins. 810 participants (92,2%) ont finalement répondu au questionnaire. Ils étaient âgés en moyenne de 66 ans (intervalle de 50 à 95 ans), et la proportion de femmes était de 56%. La plupart des participants étaient des blancs/Caucasiens (88%), et, sur l’échelle de fragilité à 7 points de l’étude CSHA, ils se considéraient comme étant en « très bonne forme physique », en « bonne forme physique sans maladie active » ou en « bonne forme physique avec le traitement des comorbidités ». Environ les deux tiers (68,5%) avaient envisagé les actes médicaux à poser et ceux à ne pas réaliser lors d’une hospitalisation pour maladie grave. Environ un sur deux (52,8%) en avait parlé à quelqu’un, et un sur trois (32%) avait mis ses souhaits par écrit. Également la moitié (50,4%) avait désigné une personne de confiance.
Les participants qui n’avaient pas encore discuté de la planification anticipée des soins avec qui que ce soit ont été invités à répondre à trois questions exploratoires supplémentaires ouvertes (« Pourquoi n’en avez-vous parlé à personne ?» ; « Quelle est la seule chose qui rend très difficile pour vous de parler à votre médecin de famille au sujet des traitements médicaux à la fin de vie ? » ; « Quelle est la seule chose qui rend très difficile de parler aux membres de votre famille des traitements médicaux en fin de vie ? »). Les résultats de cette étude qualitative sont mentionnés dans une publication plus récente (7). Au total, 439 participants ont répondu aux questions ouvertes. 696 réponses ont été analysées à l’aide d’une analyse thématique. Cinq chercheurs, indépendamment les uns des autres, ont évalué les fragments de texte et ont classé les thèmes abordés en différentes catégories. Après consensus, les thèmes ont été rassemblés en huit catégories :
Trois thèmes ont été retrouvés dans les réponses aux trois questions ouvertes :
- 1) les participants se considéraient trop jeunes ou en trop bonne santé pour envisager une planification anticipée des soins ;
- 2) les participants avaient peur d’aborder le sujet parce que cela suscitait de fortes émotions (tant en eux-mêmes que chez les membres de leur famille) ;
- 3) les participants étaient convaincus qu’il était de la responsabilité du médecin de mettre en place une planification anticipée des soins et que ce n’était ni la leur, ni celle de leur famille.
Deux thèmes ne sont apparus que dans les réponses aux questions sur les difficultés rencontrées en relation avec une discussion de planification anticipée des soins avec le médecin généraliste :
- 4) les participants redoutaient un impact négatif sur la relation médecin-patient parce qu’ils craignaient notamment une divergence d’opinions et une opposition entre leurs valeurs et celles du médecin et qu’ils avaient peur d’être influencés par leur médecin de famille ;
- 5) les participants estimaient que le temps manquait pour discuter de la planification anticipée des soins lors du contact avec le médecin généraliste, ceux-ci étant toujours très occupés.
Un thème n’est apparu que dans les réponses aux questions sur les difficultés rencontrées en relation avec une discussion de la planification anticipée des soins avec la famille :
- 6) les participants craignaient qu’une discussion sur la planification anticipée des soins ne provoque un conflit familial et ils voulaient éviter un conflit.
Deux autres thèmes liés aux discussions sur la planification anticipée des soins en général :
- 7) les participants ne considéraient pas la planification anticipée des soins comme une priorité ;
- 8) les participants estimaient qu’ils manquaient de connaissances sur la planification anticipée des soins et que quelqu’un d’autre devait s’en charger.
Les résultats de cette étude qualitative sont en accord avec une vaste synthèse méthodique effectuée récemment pour examiner les obstacles et les opportunités concernant la planification anticipée des soins (8). Les auteurs ont distingué quatre niveaux : l’individu (connaissances et croyances), les relations interpersonnelles (famille et amis), l’offre de soins (connaissances et attitude) et le système des soins. Dans ce cadre, les différents problèmes concernant la planification anticipée des soins, tout comme les solutions, pourraient être confiés au médecin généraliste.
Que disent les guides de pratique clinique ?
La planification anticipée des soins est un processus continu et dynamique de réflexion et de dialogue entre le patient, ses proches et le ou les prestataires de soins de santé, au cours duquel les objectifs de soins futurs peuvent être finalement discutés et planifiés (9). L’objectif de ce processus est d’expliciter les valeurs et les préférences du patient concernant sa prise en charge future (9). Idéalement, la planification anticipée des soins devrait être faite avant toute maladie grave, de préférence avec son médecin généraliste, et déboucher sur une trace écrite que le médecin peut conserver dans le dossier médical (9).
Conclusion
Cette étude qualitative canadienne, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, confirme les problèmes que connaissent des personnes en bonne santé âgées en moyenne de 66 ans concernant l’instauration d’un dialogue sur la planification anticipée des soins en médecine générale. Les patients se sentent souvent trop jeunes, ne sont pas (encore) prêts émotionnellement et ne voient pas ce point comme une priorité. Néanmoins, il semble que le médecin généraliste soit censé entamer une discussion sur la planification anticipée des soins et prévoir suffisamment de temps à y consacrer. Les médecins généralistes devraient également tenir compte du souci d’éviter que la planification anticipée des soins n’entraîne des tensions au sein de la famille.
- Van De Vijver E. Programmation des soins en fonction de l’évolution pour les patients hospitalisés : la grande inconnue. Minerva bref 15/12/2013.
- Heyland DK, Barwich D, Pichora D, et al; ACCEPT (Advance Care Planning Evaluation in Elderly Patients) Study Team; Canadian Researchers at the End of Life Network (CARENET). Failure to engage hospitalized elderly patients and their families in advance care planning. JAMA Intern Med 2013;173:778-87. DOI: 10.1001/jamainternmed.2013.180
- Wens J. Les adultes souhaitent-ils parler de leur fin de vie avec le médecin généraliste ? Minerva bref 02/07/2018.
- De Vleminck A, Batteauw D, Demeyere T, Pype P. Do non-terminally ill adults want to discuss the end of life with their family physician? An explorative mixed-method study on patients’ preferences and family physicians in Belgium. Fam Pract 2017. DOI: 10.1093/fampra/cmx125
- Howard M, Bernard C, Klein D, et al. Older patient engagement in advance care planning in Canadian primary care practices: results of a multisite survey. Can Fam Physician 2018;64:371-7. PMID: 29760260; PMCID: PMC5951655.
- Rockwood K, Song X, MacKnight C, et al. A global clinical measure of fitness and frailty in elderly people. CMAJ 2005;173:489-95. DOI: 10.1503/cmaj.050051
- Bernard C, Tan A, Slaven M, et al. Exploring patient-reported barriers to advance care planning in family practice. BMC Fam Pract 2020;21:94. DOI: 10.1186/s12875-020-01167-0
- Risk J, Mohammadi L, Rhee J, et al. Barriers, enablers and initiatives for uptake of advance care planning in general practice: a systematic review and critical interpretive synthesis. BMJ Open 2019;9:e030275. DOI: 10.1136/bmjopen-2019-030275
- Van Mechelen W, Piers R, Van den Eynde J, et al. Richtlijn Vroegtijdige Zorgplanning (VZP). Richtlijnen Palliatieve Zorg. Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen 5-2015. Accessible par www.pallialine.be
Auteurs
Wens J.
Vakgroep FAMPOP (Family Medicine and Population Health), Universiteit Antwerpen
COI :
Glossaire
Groningen Frailty IndicatorCode
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