Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité des interventions physiques pour prévenir les douleurs cervicales



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 1 Page 15 - 18

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Teichert F, Karner V, Döding R, et al. Effectiveness of exercise interventions for preventing neck pain: a systematic review with meta-analysis of randomized controlled trials. J Orthop Sports Phys Ther 2023;53:594-609. DOI: 10.2519/jospt.2023.12063


Question clinique
Quelle est l'efficacité de la prévention des douleurs cervicales dans une population de travailleurs de bureau adultes via exercices multiples sur la prévalence des épisodes de cervicalgies ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses présente une méthodologie correcte et montre des résultats qui appuient les interventions d’exercice physique visant à réduire le risque d’épisode de cervicalgie au cours des 12 prochains mois chez des employés de bureau (niveau de confiance modéré). Le peu d'essais cliniques randomisés (RCTs) disponibles sont plus critiquables, ce qui peut modifier notablement les résultats selon l'hypothèse choisie des valeurs manquantes. Si bien que la signification clinique de cet effet n’est cependant pas claire.


Contexte

Parmi les troubles musculo-squelettiques, les douleurs cervicales se classent au deuxième rang après les lombalgies en termes d'années de vie avec handicap (1) et représentent un poids individuel et économique très important (2). L’incidence annuelle de la douleur cervicale vue en médecine générale en Belgique, et plus particulièrement en Flandre sur base des travaux d’Intego (Intego Network) (3), est estimée à environ 16 patients sur 1000.
Minerva a déjà abordé la prise en charge des cervicalgies aspécifiques présentes depuis au moins 2 semaines (4-6) ou depuis 7 semaines environ (7,8). Cependant, nous n’avons encore jamais abordé le problème de la prévention des cervicalgies, qui plus est chez les travailleurs de bureau. Par rapport à d'autres professions, l'incidence sur un an est particulièrement élevée chez les employés de bureau, allant de 20% à 50% (9). Les douleurs cervicales ont une incidence élevée, persistent souvent et réapparaissent (10). La revue systématique la plus récente sur le sujet (réalisée en 2018) (11) a conclu que les programmes d'exercices peuvent réduire de 53% le risque d'un nouvel épisode de douleur cervicale. L’étude comportait plusieurs limites et il est probable que l’effet ait été surestimé. L’inclusion de nouveaux essais et l’utilisation d’analyses plus appropriées pourraient conduire à des changements importants dans l’ampleur et la précision de l’estimation de l’effet.

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique avec méta-analyse de RCTs (12).

 

Sources consultées

  • jusqu’au 02/12/2022
    • Medline
    • Embase
    • Cochrane Central Register of Controlled Trials
    • Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature (CINAHL)
    • SPORTDiscus
    • Physiotherapy Evidence Database (PEDro)
    • la plateforme d'enregistrement international des essais cliniques de l'Organisation mondiale de la santé (ICTRP) et la version bêta de ClinicalTrials.gov ont été consultées afin d'identifier les essais en cours et terminés mais non publiés.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : essais contrôlés randomisés (RCTs) (individuelles ou variantes comme les RCTs en grappes et croisées) ayant recruté des adultes sans douleur cervicale au départ ; les essais incluant une population mixte étaient éligibles si les résultats des participants avec et sans douleurs cervicales pouvaient être séparés
    • intervention : tout type d'intervention d'exercice physique qui pouvait être classé à l'aide d'une taxonomie adaptée prédéfinie par les auteurs était éligible ; les examinateurs devaient juger que l'exercice était la partie principale de l'intervention
    • comparateur : absence d'intervention, un placebo/un placebo factice, un contrôle de l'attention ou une intervention minimale (c.-à-d. des conseils ou une éducation) ; les essais qui évaluaient le bénéfice supplémentaire de l'exercice (c.-à-d. exercice + éducation par rapport à éducation seule) étaient également éligibles
    • suivi : minimum 3 mois
  • critères d’exclusion :
    • les essais qui examinaient uniquement l'efficacité comparative de différentes interventions préventives ou types d'exercice (c.-à-d. exercice seul par rapport à des programmes ergonomiques ou entraînement de résistance par rapport à des exercices aérobiques) n'étaient pas éligibles
  • au total, sélection de 5 études (sur 4703).

 

Population étudiée

  • adultes ≥ 18 ans avec un travail de bureau sans douleur de nuque
  • exclusion des participants ayant des antécédents de traumatisme dans la région cervicale et des populations militaires et des astronautes
  • au total, 1722 participants, moyenne d'âge 43 [4-100], 79% travailleurs de bureau ou techniciens de laboratoire (décrit comme posture statique et tâches répétitives), 68% de femme en moyenne.

 

Mesure des résultats

  • mesures des résultats primaires : proportion d’incidence (incidence cumulative) de douleur cervicale dans les groupes d'intervention et de contrôle
  • mesures des résultats secondaires : /
  • l'OR a été choisi comme mesure d'effet
  • des seuils de bénéfice et de préjudice ont été prédéfinis : OR de 0,78 et OR de 1,05 respectivement, ce qui équivaut respectivement à 50 personnes de moins pour 1000 et 10 personnes de plus pour 1000 (avec un risque comparateur supposé (assumed comparator risk ou ACR) de 30%)
  • en raison de l'hétérogénéité attendue des caractéristiques des essais, une méta-analyse à effets aléatoires a été menée pour estimer l'effet moyen de l'exercice dans tous les essais.

 

Résultats

  • mesures de résultats primaires : 
    • la méta-analyse de 5 essais (1722 participants randomisés) a suggéré que les interventions d'exercices (exercices de force/résistance ± exercices d'endurance, étirements + contrôle moteur, activité physique générale) réduisent probablement le risque d'un nouvel épisode de cervicalgie (OR de 0,49 avec IC à 95% de 0,31 à 0,76 ; I2 de 0%) par rapport à l'absence d'intervention ou à une intervention minimale à court terme (≤ 12 mois)
    • la certitude des preuves était modérée. Basé sur un assumed comparator risk de 30%, ils obtiennent un NNT de 8 (avec IC à 95% de 6 à 18). Ce qui veut dire que pour chaque 8 personnes engagée dans un programme d'exercices, 1 évitera un épisode de douleur cervicale.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il existe des données probantes de certitude modérée qui appuient les interventions d’exercice physique visant à réduire le risque d’épisode de cervicalgie au cours des 12 prochains mois. La signification clinique de cet effet n’est pas claire.

 

Financement de l’étude

Aucun financement n’a été reçu pour cette recherche.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs certifient qu'ils n'ont aucune affiliation ni implication financière avec une organisation ou une entité ayant un intérêt financier direct dans le sujet ou les documents abordés dans l'article.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été rapportée conformément à la déclaration PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses) 2020. Dans la mesure du possible, les recommandations méthodologiques de la Cochrane Collaboration relatives aux interventions ont été suivies. Bien qu'un protocole prédéfini ait été suivi pour cette étude, il n'a malheureusement pas été enregistré avant le début de l'examen. De plus, les définitions de la douleur cervicale varient d'une étude à l'autre, ce qui complique l'analyse des résultats. Malgré ces limites, tous les enregistrements, les données extraites et le code analytique ont été rendus accessibles via un référentiel en ligne, en libre accès, pour un maximum de transparence.
Cependant, avec le faible nombre d'essais disponibles, l'estimation de la variance entre les études n'est probablement pas fiable. Il est donc possible que certaines particularités ou erreurs propres à un petit groupe d’essais influencent les résultats, ce qui pourrait introduire des biais. Les risques de biais ont été étudiés via l’outil RoB 2 de la Cochrane. Aucun des essais inclus n'a été jugé à faible risque de biais, ce qui réduit la confiance dans les conclusions de cette revue. Un autre problème majeur concerne les données manquantes : les raisons de ces données incomplètes étaient souvent absentes, et des analyses de sensibilité ont montré que différentes hypothèses sur ces lacunes pouvaient aboutir à des conclusions variées selon les seuils choisis. Le cas d'un essai, où 45% des données des participants étaient manquantes, est particulièrement préoccupant. Enfin, pour 4 des 5 essais, aucun protocole n'était disponible, ce qui limite davantage la fiabilité des résultats.
Aucun des essais n’a rapporté de corrélation intraclasse (ICC) pour le critère principal, et trois d'entre eux n'ont pas du tout pris en compte l'effet du regroupement. Les participants d’un même groupe, partageant des caractéristiques similaires, peuvent fausser les résultats. Cela sous-estime la variabilité réelle et biaise les conclusions, donnant une impression erronée de l’efficacité du traitement. Si cet effet n'est pas ajusté, les réponses au traitement peuvent être surestimées ou sous-estimées. De plus, aucun essai n’a mentionné le nombre de groupes suivis au cours de l’étude. Les auteurs ont également relevé que la plupart des études n'avaient pas utilisé d'outils essentiels, comme les checklists pour les essais cliniques randomisés (RCTs).

 

Évaluation des résultats

Des seuils de bénéfice et de préjudice ont été prédéfinis, ce qui est assez remarquable. Il n’existe actuellement aucun consensus sur le seuil minimum requis pour que les résultats soient considérés comme cliniquement pertinents. Les seuils d’effet utilisés pour interpréter ces résultats ont été déterminés par les auteurs eux-mêmes en toute transparence. Il serait judicieux de réaliser davantage d'essais cliniques randomisés (RCTs) afin de resserrer l'intervalle de confiance. Cela permettrait d'améliorer la fiabilité des conclusions et d'avoir une meilleure représentation du risque réel. Les auteurs se sont appuyés sur la littérature pour déterminer leur assumed comparator risk. Des données provenant d'autres domaines, tels que la lombalgie (13) et la prévention des chutes (14), suggèrent cependant que de nombreuses personnes pourraient juger l'exercice préventif utile, en raison des réductions de risque plus importantes observées. Dans cette étude-ci, il est difficile de savoir si des exercices spécifiques ont été mélangés à des exercices généraux, malgré le fait que le I2 a été calculé à 0% pour le résultat principal. Cela soulève la question de savoir si les résultats peuvent réellement être comparables entre ces deux types d'approche. De plus, il serait pertinent de s'interroger sur les types d'exercices utilisés et leur faisabilité d'implémentation au travail. La décision de se concentrer uniquement sur les bénéfices potentiels de l’exercice peut faire l’objet de critiques, car une prise de décision pleinement éclairée nécessite également des informations sur les éventuels préjudices et les coûts. Pour rendre les résultats plus compréhensibles, les auteurs ont également présenté la synthèse sous forme de différences de risque absolues. L'étude actuelle a estimé un effet plus modeste et plus précis que celui rapporté par une publication précédente dans le même domaine (11). Cette nouvelle analyse a aussi pu inclure deux études supplémentaires, grâce à des critères d'inclusion légèrement différents. Notamment, trois des essais ont inclus à la fois des participants avec et sans douleurs cervicales au départ, mais ont présenté des résultats distincts pour chaque groupe. Enfin, les essais rapportant des mesures alternatives de l'occurrence de cervicalgie, telles que la prévalence sur une période donnée, ainsi que les statistiques récapitulatives associées, ont été jugés éligibles.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ni Ebpracticenet, ni la Haute Autorité de Santé n'apporte de recommandation sur ce sujet.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses présente une méthodologie correcte et montre des résultats qui appuient les interventions d’exercice physique visant à réduire le risque d’épisode de cervicalgie au cours des 12 prochains mois chez des employés de bureau (niveau de confiance modéré). Le peu d'essais cliniques randomisés (RCTs) disponibles sont plus critiquables, ce qui peut modifier notablement les résultats selon l'hypothèse choisie des valeurs manquantes. Si bien que la signification clinique de cet effet n’est cependant pas claire.

 

 


Références 

  1. James SL, Abate D, Abate KH, et al. Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 354 diseases and injuries for 195 countries and territories, 1990-2017 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet 2018;392:1789-1858. DOI: 10.1016/s0140-6736(18)32279-7
  2. Bevan S. Economic impact of musculoskeletal disorders (MSDs) on work in Europe. Best Pract Res Clin Rheumatol 2015;29:356-73. DOI: 10.1016/j.berh.2015.08.002
  3. Intego. Intego - Vlaams huisartsenregistratienetwerk. URL: https://www.intego.be/
  4. Vanderstraeten G. Cervicalgie: thérapie manuelle, kinésithérapie ou soins médicaux? MinervaF 2003;2(8):135-7
  5. Hoving JL, Koes BW, de Vet HCW. Manual therapy, physical therapy or continued care by a general practitioner for patients with neck pain. Ann Intern Med 2002;136:713-22. DOI: 10.7326/0003-4819-136-10-200205210-00006
  6. Korthals-de Bos IBC, Hoving JL, van Tulder MW. Cost effectiveness of physiotherapy, manual therapy and general practitioner care for neck pain : economic evaluation alongside a randomised controlled trial. BMJ 2003;326:911-6. DOI: 10.1136/bmj.326.7395.911
  7. Parlevliet T. Manipulations vertébrales, traitement médicamenteux ou exercices à domicile pour les cervicalgies aiguës et subaiguës. MinervaF 2012;11(10):127-8
  8. Bronfort G, Evans R, Anderson AV, et al. Spinal manipulation, medication, or home exercise with advice for acute and subacute neck pain. Ann Intern Med 2012;156:1-10. DOI: 10.7326/0003-4819-156-1-201201030-00002
  9. Côté P, Van Der Velde G, Cassidy JD, et al. The Burden and determinants of neck pain in workers. Spine 2008;33(4 Supplement):S60-S74. DOI: 10.1097/brs.0b013e3181643ee4
  10. Côté P, Cassidy DJ, Carroll LJ, Kristman V. The annual incidence and course of neck pain in the general population : a population-based cohort study. Pain 2004;112:267-73. DOI: 10.1016/j.pain.2004.09.004
  11. De Campos TF, Maher CG, Steffens D, et al. Exercise programs may be effective in preventing a new episode of neck pain : a systematic review and meta-analysis. J Physiother 2018;64: 159-65. DOI: 10.1016/j.jphys.2018.05.003
  12. Teichert F, Karner V, Döding R, et al. Effectiveness of exercise interventions for preventing neck pain: a systematic review with meta-analysis of randomized controlled trials. J Orthop Sports Phys Ther 2023;53:594-609. DOI: 10.2519/jospt.2023.12063
  13. Ferreira GE, Howard K, Zadro JR, O’Keeffe M, Lin CWC, Maher CG. People considering exercise to prevent low back pain recurrence prefer exercise programs that differ from programs known to be effective : a discrete choice experiment. J Physiother 2020;66:249-55. DOI: 10.1016/j.jphys.2020.09.011
  14. Franco MR, Howard K, Sherrington C, et al. Smallest worthwhile effect of exercise programs to prevent falls among older people : estimates from benefit–harm trade-off and discrete choice methods. Age Ageing 2016;45:806-12. DOI: 10.1093/ageing/afw110

 

Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre 2024. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction.

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires