Revue d'Evidence-Based Medicine
Manipulations vertébrales, traitement médicamenteux ou exercices à domicile pour les cervicalgies aiguës et subaiguës
(Texte et traduction sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone)
Contexte
Dans la pratique du médecin généraliste en Flandre, l’incidence annuelle de la douleur cervicale est estimée à environ 2 patients sur 1 000 (1). Une revue de la Cochrane Collaboration a montré qu’en cas de cervicalgie d’origine mécanique, il existe peu de données probantes étayant l’effet du traitement médicamenteux (2). L’effet à long terme des exercices et celui des manipulations vertébrales ne sont, eux non plus, pas suffisamment démontrés en cas de douleur cervicale (3,4).
Résumé
Population étudiée
- 272 patients ; âge moyen : 47 à 48 ans ; 58 à 72% de femmes ; présence d’une douleur cervicale aspécifique depuis 7 (ET 3) semaines en moyenne
- recrutement par courrier électronique ciblé et par annonces dans les journaux et à la radio
- critères d’inclusion : 18 à 65 ans ; cervicalgie aspécifique d’origine mécanique (correspondant au grade I ou II de la classification de la ‘Bone and Joint Decade 2000-2010 Task force on Neck Pain and Its Associated Disorders’(5)) ; durée de la douleur : 2 à 12 semaines ; sévérité de la douleur ≥3 sur une échelle de 0 à 10
- critères d’exclusion : instabilité cervicale, fracture vertébrale, douleur cervicale produite par une douleur irradiant d’une articulation périphérique ou d’un organe interne, pathologie neurologique progressive, maladie cardiaque nécessitant un traitement médicamenteux, trouble de la coagulation, hyperostose squelettique idiopathique diffuse, modification inflammatoire ou destructrice des tissus du rachis cervical, maladie infectieuse ou autre maladie invalidante sévère, abus de substances, grossesse ou allaitement, antécédents chirurgicaux du rachis cervical, procédure contentieuse pendante devant une juridiction, prise du traitement de l’étude au cours des 3 derniers mois.
Protocole d’étude
- étude clinique unicentrique, prospective, randomisée avec évaluation en aveugle
- trois groupes recevant un traitement pendant 12 semaines :
- manipulations vertébrales (n=91) pendant 15 à 20 minutes 1 à 2 fois par semaine ; association avec massage, stretching, enveloppements chauds et froids ; conseils complémentaires pour rester actif ou adapter les activités
- exercices à domicile (n=90) 6 à 8 fois par jour, précédés de 2 séances d’instruction, chacune d’une durée d’une heure ; remise de brochures et de fiches décrivant les exercices
- traitement médicamenteux (n=91) sous contrôle médical ; paracétamol, AINS, myorelaxants en première intention et analgésiques narcotiques en deuxième intention ; conseils complémentaires pour rester actif ou adapter les activités
- suivi : questionnaires remplis par le patient en début d’étude, après 2, 4 ,8 et 12 semaines de traitement ainsi que 26 et 52 semaines après le traitement ; mesure de la mobilité du rachis cervical aux semaines 4 et 12.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : douleur évaluée par le patient sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur maximale) après 12 semaines de traitement
- critères de jugement secondaires : NDI (Neck Disability Index), amélioration globale, consommation d’antalgiques, satisfaction par rapport au traitement, SF-36, mobilité du rachis cervical, effets indésirables
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- amélioration du score de la douleur par rapport aux valeurs initiales après 12 semaines de traitement dans tous les groupes étudiés (voir tableau) ; atténuation de la douleur par rapport aux valeurs initiales significativement plus importante dans le groupe traité par manipulations vertébrales versus traitement médicamenteux (0,94 (IC à 95% de 0,37 à 1,51 ; p=0,001)) après 12 semaines de traitement et après 26 et 52 semaines de suivi (respectivement p=0,009 et p=0,005) ; atténuation de la douleur par rapport aux valeurs initiales significativement plus importante dans le groupe effectuant des exercices à domicile versus traitement médicamenteux (p=0,021) après 26 semaines de suivi ; pas de différence significative dans l’atténuation de la douleur par rapport aux valeurs initiales entre le groupe traité par manipulations vertébrales et le groupe pratiquant des exercices à domicile
- critères de jugement secondaires : après 12 semaines de traitement et pendant le suivi, l’amélioration globale, la satisfaction des patients et l’activité physique (SF-36) étaient meilleures et, après 52 semaines, la consommation de médicaments était plus faible avec les manipulations vertébrales qu’avec le traitement médicamenteux ; la satisfaction des patients était plus importante avec les manipulations vertébrales qu’avec les exercices à domicile ; après 52 semaines, la satisfaction des patients était plus importante et la consommation de médicaments était plus faible avec les exercices à domicile qu’avec le traitement médicamenteux
- aucun effet indésirable grave ; douleur musculaire présente chez 40% des sujets du groupe traité par manipulations vertébrales et chez 46% des sujets effectuant des exercices à domicile ; 60% des sujets recevant un traitement médicamenteux ont signalé des effets indésirables, principalement des symptômes gastro-intestinaux et de la somnolence.
Tableau. Score de douleur moyen sur une échelle de 0 à 10 dans le groupe traité par manipulations vertébrales, dans le groupe recevant un traitement médicamenteux et dans le groupe effectuant des exercices à domicile, en début de traitement (semaine 0) et après 2, 12, 26 et 52 semaines.
Manipulations vertébrales |
Traitement médicamenteux |
Exercices à domicile |
|
Semaine 0 |
5,27 (ET 1,57) |
4,93 (ET 1,49) |
5,05 (ET 1,64) |
Semaine 2 |
3,77 (ET 1,86) |
3,62 (ET 1,97) |
3,47 (ET 2,12) |
Semaine 12 |
1,50 (ET 1,70) |
2,08 (ET 1,65) |
1,74 (ET 1,84) |
Semaine 26 |
1,90 (ET 2,24) |
2,33 (ET 1,86) |
1,77 (ET 2,09) |
Semaine 52 |
1,60 (ET 1,53) |
2,14 (ET 1,85) |
1,92 (ET 2,34) |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que chez les patients présentant une douleur cervicale aiguë ou subaiguë, les manipulations vertébrales sont plus efficaces que le traitement médicamenteux, tant à court terme qu’à long terme. Les exercices à domicile accompagnés d’instructions ont généralement permis d’obtenir des résultats similaires, pendant le traitement et le suivi.
Financement
Le National Center for Complementary and Alternative Medicine, National Institutes of Health, qui n'a joué aucun rôle dans la conception de l'étude, ni dans la collecte de données, l'analyse des résultats et l'interprétation et la rédaction de l'article.
Conflits d’intérêt
Deux des six auteurs ont reçu une rémunération pour consultance de la part de diverses firmes pharmaceutiques ou d'autres organisations; les quatre autres déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Le recrutement pour cette RCT unicentrique s’est fait en partie par l’envoi d’un courrier électronique ciblé à des patients souffrant de douleurs cervicales enregistrés auprès d’un assureur-soins de santé et en partie par la diffusion d’informations dans les journaux et à la radio. Par conséquent, la possibilité d’une sélection des patients intéressés n’est pas exclue. De plus, étant donné le grand nombre de critères d’exclusion, la prudence est de rigueur quant à l’extrapolation des résultats. La randomisation en 3 groupes a été effectuée en aveugle de manière suffisante, tant pour les investigateurs que pour les personnes administrant le traitement. Une limitation importante de cette étude est le fait que le groupe de patients savaient quel traitement ils recevaient. En effet, leurs attentes en fonction du traitement attribué ont pu influencer le résultat final.
Les chercheurs ont inclus les patients souffrant d’une douleur cervicale ‘aspécifique’. Le tableau présentant les principaux symptômes permettent cependant de déduire que la cervicalgie chez environ 1 participant sur 2 avait une cause. Ainsi, environ 10% des patients rapportent un accident de voiture, ce qui peut suggérer un ‘whiplash’. Dans cette étude, le terme ‘douleur cervicale aspécifique’ semble donc recouvrir de nombreuses situations, introduisant une forte hétérogénéité clinique. En outre, le groupe recevant un traitement médicamenteux et celui traité par manipulations vertébrales n’étaient pas homogènes. Le choix du plan de traitement était laissé au chiropracteur, qui, en l’absence d’évolution ou en cas d’évolution insuffisante au cours de l’étude, avait toute liberté pour décider des éléments pouvant être modifiés. Le nombre de séances de traitement a également été déterminé librement, variant de 2 à 23 visites. Dans le groupe recevant le traitement médicamenteux, différents types de médicaments ont été utilisés, et les auteurs ne mentionnent pas les doses administrées. Il y a donc probablement beaucoup de facteurs de confusion, que les chercheurs n’ont pas corrigés.
Deux modalités de collecte des données ont été utilisées. Jusqu’à 12 semaines, les chercheurs ont enregistré les données lors de la visite au centre de recherche ; lors du suivi, ils ont collecté les données par courrier électronique. Le calcul préalable de la puissance et l’analyse en intention de traiter augmentent la fiabilité des résultats.
Interprétation des résultats
Du fait de la sélection des patients intéressés et du grand nombre de critères d’exclusion (voir plus haut), les résultats de cette étude ne sont pas valables pour tous les patients présentant une douleur cervicale aspécifique dans la pratique du médecin généraliste. L’interprétation des résultats est également difficile du fait de l’importante hétérogénéité clinique (voir plus haut).
Nous constatons qu’indépendamment de l’option thérapeutique, la diminution du score de la douleur est la plus importante après deux semaines de traitement. Toutefois, les manipulations vertébrales semblent globalement être plus efficaces que le traitement médicamenteux, tant pour le critère de jugement primaire que pour la plupart des critères de jugement secondaires, et aussi bien pendant le traitement qu’après 26 et 52 semaines de suivi. Les résultats sont moins convaincants avec les exercices à domicile versus traitement médicamenteux, bien qu’à aucun moment, on n’observe de différence nette entre les exercices à domicile et les manipulations vertébrales. Peut-être le facteur « traitement manuel » représente-t-il l’élément déterminant expliquant que le seuil statistique est atteint pour l’effet des manipulations vertébrales versus traitement médicamenteux, ce qui n’est pas le cas pour l’effet des exercices à domicile versus traitement médicamenteux.
Étant donné qu’il s’agit d’une étude unicentrique, il convient de relativiser l’ampleur de l’effet des résultats obtenus (6). Il convient également de s’interroger sur la pertinence clinique de la différence constatée en termes d’atténuation de la douleur. Sur l’échelle visuelle analogique, un score de 1,5 (après 12 semaines de manipulations vertébrales) comparativement à un score de 2,08 (après 12 semaines de traitement) ne semble, à première vue, pas pertinent sur le plan clinique. La publication ne permet malheureusement en aucune manière de savoir quel seuil les chercheurs ont considéré comme cliniquement pertinent. Nous souhaitons également attirer l’attention sur le fait que 95% des patients du groupe recevant un traitement médicamenteux ont reçu des antalgiques opioïdes, ce qui, dans la pratique quotidienne est relativement exceptionnel pour le traitement des douleurs cervicales aspécifiques et que l’effet des antalgiques opioïdes n’a pas encore été démontré par des études bien menées (2,7).
Conclusion de Minerva
Cette étude, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, conclut que, chez les patients souffrant de cervicalgie aiguë ou subaiguë de diverses causes, un traitement par manipulations vertébrales d’une durée de 12 semaines donne de meilleurs résultats qu’un traitement médicamenteux, tant à court terme qu’à long terme. La différence est vraisemblablement trop faible pour être considérée comme cliniquement pertinente. En outre, l’atténuation de la douleur était comparable chez les patients effectuant des exercices à domicile accompagnés d’instructions.
Pour la pratique
Le rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE-2009) sur le diagnostic et le traitement des douleurs cervicales aspécifiques conclut que seule la prise en charge multimodale est étayée par un niveau de preuve élevé (8). Le traitement multimodal associe au minimum deux modalités thérapeutiques, comprenant des exercices sous supervision et la mobilisation ou les manipulations. Une incertitude subsiste quant aux composantes de l’intervention qui confèrent au traitement son efficacité. De plus, un certain nombre de facteurs sont encore inconnus (la fréquence, la durée, les techniques). Cette nouvelle étude clinique randomisée ne permet pas de déterminer si l’effet des seules manipulations vertébrales ou des seuls exercices à domicile accompagnés d’instructions est cliniquement pertinent.
Références
- Intego-netwerk. Morbiditeitsregistratie van ziekten in de huisartspraktijk. www.intego.be
- Peloso P, Gross A, Haines T, et al; Cervical Overview Group. Medicinal and injection therapies for mechanical neck disorders. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3.
- Kay TM, Gross A, Goldsmith C, et al; Cervical Overview Group. Exercises for mechanical neck disorders. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3.
- Gross A, Miller J, D’Sylva J, et al. Manipulation or mobilisation for neck pain. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
- Guzman J, Hurwitz EL, Carroll LJ, et al; Bone and Joint Decade 2000-2010 Task Force on Neck Pain and Its Associated Disorders. A new conceptual model of neck pain: linking onset, course, and care: the Bone and Joint Decade 2000-2010 Task Force on Neck Pain and Its Associated Disorders. Spine (Phila Pa 1976) 2008;33(4 suppl):S14-23.
- Chevalier P. Etude uni ou multicentrique : efficacité thérapeutique différente ? MinervaF 2011:10(10):129.
- Binder A. Neck pain. Clinical Evidence online. Search date May 2007.
- Tsakitzidis G, Remmen R, Peremans L, et al. Non-specific neck pain: diagnosis and treatment. Good Clinical Practice (GCP). Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2009. KCE Reports 119C. D/2009/10.273/56.
Auteurs
Parlevliet T.
Dienst Fysische Geneeskunde en Revalidatie, Universitair Ziekenhuis, Gent
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