Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention de la maladie thrombo-embolique lors de l'immobilisation d'une jambe



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 4 Page 60 - 61

Professions de santé


Analyse de
Lassen MR, Borris LC,Nakov RL.Use of the low-molecular-weight heparin reviparin to prevent deep-vein thrombosis after leg injury requiring immobilization. N Engl J Med 2002;347:726-30.


Conclusion
Cette petite étude, présentant des problèmes méthodologiques, montre une réduction du nombre de TVP phlébographiques (principalement distales) grâce à l’administration de réviparine (HBPM) à des patients ayant une jambe immobilisée et présentant un risque léger à modéré de thrombo-embolie. La pertinence clinique et l’analyse coût/efficacité de cette observation est cependant encore loin d’être évidente. D’autres études sont indispensables pour étayer l’intérêt d’un emploi systématique d’HBPM (et d’anticoagulants) en cas d’immobilisation après un traumatisme.


 

Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.

 

Résumé

La thrombose veineuse profonde (TVP) est une complication fréquente et importante d’un traumatisme d’une jambe entraînant une immobilisation. Il n’existe, à l’heure actuelle, pas de recommandation évidente sur la prévention de la TVP dans ce contexte. Cette étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, explore l’incidence de TVP ou d’embolie pulmonaire chez des patients dont le membre inférieur est immobilisé et analyse l’efficacité de la réviparine, une héparine à bas poids moléculaire (HBPM) sur la prévention de cette complication. Pour ce faire, 440 patients adultes ambulants sont recrutés dans des hôpitaux danois. Ils présentent une fracture de la jambe ou du pied (80%) ou une rupture du tendon d’Achille (20%) qui entraîne une immobilisation d’au moins 5 semaines par plâtre ou attelle. Sont exclus les patients présentant une TVP ou une embolie pulmonaire à l’anamnèse, ou une pathologie sanguine, cardiaque ou vasculaire, tout comme ceux traités précédemment par anticoagulants. Seuls les patients opérés avant l’immobilisation plâtrée (55%) pouvaient avoir bénéficié d’un traitement par héparine jusqu’à 4 jours avant la randomisation (33%). Les participants sont répartis soit dans un groupe (n = 217) recevant quotidiennement une injection sous-cutanée de réviparine (1750 unités anti Xa) soit dans un groupe placebo (n = 223).L’âge moyen des patients inclus est de 47 ans et 52% sont des hommes. Les différentes caractéristiques (comme les facteurs de risque de TVP et les types de fractures) sont répartis équitablement dans les deux groupes, sauf un nombre significativement plus élevé de fumeurs dans le groupe placebo (47% versus 36% dans le groupe réviparine; p < 0,05). Les patients sont suivis hebdomadairement, par téléphone, pour mettre en évidence les symptômes évocateurs de thrombo-embolie. Une phlébographie est réalisée pour chacun d’entre eux en cas de suspicion de TVP ou dans la semaine suivant le retrait du plâtre ou de l’attelle. Au total, 371 patients sont inclus dans l’analyse en intention de traiter. Dans le groupe réviparine, 17 patients sur 183 (9%) présentent une TVP démontrée phlébographiquement, pour 35 patients sur 188 (19%) dans le groupe placebo (OR 0,45; IC à 95% 0,24-0,82).Trois quarts des TVP sont distales. Seules deux embolies pulmonaires sont survenues, dans le groupe placebo (1%).

Quatorze patients du groupe réviparine et douze du groupe placebo ont présenté un saignement, dont deux sévères dans le groupe réviparine pour un dans le groupe placebo. Il n’y a pas de différence significative dans la survenue d’autres effets indésirables. Les auteurs concluent que la réviparine, en dose quotidienne unique, est efficace et sûre dans la prévention des thromboembolies pour les patients dont une jambe est immobilisée.

 

Discussion

Cette étude est méthodologiquement bien menée, mais présente quelques failles. Suivant les calculs déterminant la puissance, 190 patients au moins devraient figurer dans chaque groupe, ce qui n’est pas atteint, mais de peu, vu l’exclusion de 69 personnes. Les auteurs annoncent une analyse en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter mais l’analyse est effectuée sur les 371 patients restant après l’exclusion de patients déjà randomisés (dans 61 des 69 cas parce que la phlébographie n’était pas, ou insuffisamment, interprétable). En d’autres mots : seules les données des patients avec un critère de jugement évaluable ont été analysées.Quel était le problème des patients exclus ? Les patients de cette étude tombent dans la catégorie risque « léger : 0,2 à 2%» à «modéré: 2 à 20%» de thrombo-embolie (risque de TVP distale de 2 à 20 % et d’embolie pulmonaire clinique de 0,2 à 2%) 1. Pour le groupe à risque faible, peu de bénéfice à attendre de la prophylaxie, mais il n’est pas évident de savoir combien de patients appartiennent à cette catégorie. Une analyse par stratification des risques pourrait préciser quelles personnes ont le plus intérêt à une prophylaxie. Quelques différences significatives sont notées entre les deux groupes, entre autres dans le type de lésion et le tabagisme. Dans une analyse suivant le type de lésion, plus aucune différence significative n’apparaît entre les deux groupes pour les patients présentant une fracture (OR 0,52 ; IC à 95 % 0,27-1,03). La différence pour les patients avec rupture du tendon d’Achille est à peine significative (OR 0,24 ; IC à 95 % 0,06-0,98). Une correction pour le tabagisme et les autres facteurs de risque dans le groupe total ne montre pas de changement (OR 0,46 ; IC à 95 % 0,24-0,86). D’une part, cette étude n’est pas assez numériquement importante pour mettre en évidence des différences significatives pour ces sousgroupes, et d’autre part, il est possible que ce regroupement ne soit pas pertinent.

Analysons, d’un œil critique, les critères de jugement choisis. La mise en évidence de thrombi grâce à des instruments de dépistage très sensibles n’est pas cliniquement pertinente. En procédant de la sorte, les TVP asymptomatiques sont également dépistées, mais elles disparaissent généralement d’elles-mêmes et ne sont pas responsables de complications vitales 1, 2. Le nombre de TVP décelées ayant une traduction symptomatique n’est pas précisé dans cette étude. La majorité (75 %) des TVP diagnostiquées se situent dans les veines distales. Les auteurs eux-mêmes admettent le manque d’évidence de la pertinence de cette découverte. Beaucoup de discrétion aussi sur la réduction du nombre d’embolies pulmonaires, à juste titre. Bien que la survenue d’une embolie pulmonaire soit un critère de jugement, cette étude est trop peu importante pour mettre en évidence une réduction de cet événement relativement rare. Pour ce qui est du long terme, comme en ce qui concerne le syndrome post-thrombolique, nous restons dans le brouillard.

Cette étude est cependant intéressante. À ce jour, seules quatre études randomisées concernant l’efficacité de la prophylaxie médicamenteuse chez des patients avec immobilisation de la jambe ont été publiées 3. Les trois autres études n’étaient pas contrôlées versus placebo et de durée courte (22 jours maximum). L’étude comparant une HBPM à l’aspirine n’a pas montré de différence significative 4. Des recommandations concernant la meilleure prévention des patients immobilisés sont encore bien loin 5.

Conflit d’intérêt/financement

Cette étude est financée par le fabricant de la réviparine, la firme Knoll. Les auteurs sont consultants ou collaborateurs de cette firme.

 

Conclusion

Cette petite étude, présentant des problèmes méthodologiques, montre une réduction du nombre de TVP phlébographiques (principalement distales) grâce à l’administration de réviparine (HBPM) à des patients ayant une jambe immobilisée et présentant un risque léger à modéré de thrombo-embolie. La pertinence clinique et l’analyse coût/efficacité de cette observation est cependant encore loin d’être évidente. D’autres études sont indispensables pour étayer l’intérêt d’un emploi systématique d’HBPM (et d’anticoagulants) en cas d’immobilisation après un traumatisme.

 

Références

  1. Geerts WH, Heit JA, Clagett GP, et al. Prevention of venous embolism. Sixth ACCP Consensus Conference on Antithrombotic Therapy. Chest 2001;119:123S-175S.
  2. LRP. Prévention primaire des embolies pulmonaires. Rev Prescr 2002;22:440-9.
  3. RIZIV. Het doelmatig gebruik van niet-gefractioneerde heparines, heparines met laag moleculair gewicht en orale anticoagulantia bij de preventie en behandeling van veneuze trombo-embolische aandoeningen. Overzicht van de beschikbare wetenschappelijke literatuur. Consensusvergadering 5 november 2002. Brussel: RIZIV, 2002.
  4. Gehling H, Giannadakis K, Lefering R, et al. Prospektiv-randomisierte Pilotstudie zur ambulanten Thromboembolieprophylaxe: 2 mal 500 mg Aspirin (ASS) vs Clivarin 1750 (NMH). Unfallchirurg 1998;101(1):42-9.
  5. Lannoy J. Tromboprofylaxe bij niet-chirurgische patiënten. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(5):222-6.

 

Nom des médicaments utilisés

Réviparine : pas encore commercialisé en Belgique

Prévention de la maladie thrombo-embolique lors de l'immobilisation d'une jambe

Auteurs

van Driel M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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