Analyse
Insuffisance cardiaque chronique systolique : moins de sel alimentaire ?
28 06 2013
Professions de santé
Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone
Depuis le Rapport Intersalt (1), nous savons que la réduction du sel dans l’alimentation permet de diminuer significativement les chiffres de pression artérielle et, inversement, qu’une sécrétion de sel augmentée dans la collecte des urines de 24 heures est associée à une augmentation proportionnelle des chiffres de pression artérielle. Nous ignorons cependant totalement si une diminution de la consommation de sel entraîne aussi un meilleur résultat en termes de survenue d’évènements cardiovasculaires.
La synthèse de la Cochrane Collaboration réalisée par Taylor (2), analysée dans la revue Minerva (3) n’a pas pu montrer d’effet favorable de la diminution de la consommation de sel sur les critères de jugement cardiovasculaires et sur la mortalité dans la population générale (n = 6 591, dont plus de la moitié avait une pression artérielle normale). Ces données sont rejointes par d’autres plus récentes, d’une étude de suivi de 7,9 années d’une population importante de 3 681 personnes dont 2 096 avaient une pression normale, la moyenne d’âge étant de 40 ans. C’est même dans le groupe où l’excrétion de sel était la plus faible que l’on a constaté le plus grand nombre de morts cardiovasculaires. La synthèse Cochrane conclut à une nette augmentation du risque de mortalité globale par restriction sodée chez les patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque non contrôlée (RR de 2,59 avec IC à 95% de 1,04 à 6,44). Ceci pourrait s’expliquer par l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone du fait de l’hyponatrémie (absorption active de sodium, rétention hydrique, constriction vasculaire, tachycardie, hypertension), ce qui entraîne une progression de l’insuffisance cardiaque. Pourtant, la plupart des guides de pratique concernant l’insuffisance cardiaque (4,5) préconisent une certaine restriction de l’apport en sodium « sur la base de faits empiriques ».
Étant donné cette controverse, les auteurs d’une nouvelle synthèse méthodique avec méta-analyse (6) ont estimé qu’il est donc opportun de clarifier les données concernant les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Les auteurs n’ont trouvé que 6 études randomisées (dont seules 2 ont été menées en double aveugle) répondant aux critères d’inclusion (RCTs chez des patients âgés d’au moins 18 ans, présentant une insuffisance cardiaque gauche systolique (fraction d’éjection du ventricule gauche < 40%) et comparant une restriction de sel à un régime alimentaire normal, à un placebo ou à une absence d’intervention). Chez les 2 747 personnes étudiées, dont la moyenne d’âge était de 74 ans et qui ont été suivi en moyenne pendant 584 mois, une augmentation significative de la mortalité totale a été observée (RR de 1,95 avec IC à 95% de 1,66 à 2,29 et NNN de 8), de la mort subite (RR de 1,72 avec IC à 95% de 1,21 à 2,44 et NNN de 39), du décès par insuffisance cardiaque (RR de 2,23 avec IC à 95% de 1,77 à 2,81 et NNN de 10) et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (RR de 2,10 avec IC à 95% de 1,67 à 2,64 et NNN de 5) dans le groupe avec restriction salée par comparaison au groupe témoin. Étant donné le nombre limité d’études, il n’a pas été possible de réaliser un funnel plot, et nous n’avons donc pas connaissance d’un éventuel biais de sélection. Il est bien possible que cette méta-analyse ne soit pas l’abri d’un biais de sélection : cinq des six études ont été conçues par un même auteur italien, qui a également conduit la plus vaste étude concluante (SMAC-HF (7) ; n = 1 771 ; 60% de tous les décès dans la méta-analyse), dans laquelle les patients présentant une insuffisance cardiaque étaient traités de manière optimale par médicaments. Dans toutes les études, les participants ont reçu une alimentation de référence, préparée, enrichie ou non en sel (apport en sel respectivement de 2,8 et 1,8 g/jour), et la consommation de sel a été correctement déterminée par la mesure de l’excrétion de sel dans les urines de 24 heures.
Malgré les limites de cette méta-analyse, ses conclusions cadrent avec celles d’une autre étude récente (8) portant sur l’effet de la restriction de sel sur le développement de l’insuffisance cardiaque chez les patients ayant des antécédents cardiovasculaires personnels ou chez les patients atteints d’un diabète (48% infarctus du myocarde aigu (IMA), 21% accident vasculaire cérébral (AVC), 70% hypertension, 37% diabète). Cette étude regroupe deux grandes cohortes (n = 28 880) initialement constituées pour une recherche d’intervention avec un traitement médicamenteux de l’hypertension (9). Chez tous les participants (âge moyen de 66,5 ans), une collecte des urines de 24 heures a été réalisée avec mesure du Na et du K au début de l’étude. Tous les participants ont été suivis pendant une moyenne de 56 mois. La survenue des critères de jugement cardiovasculaires a évolué suivant une courbe en J par rapport à l’excrétion de sel initialement observée. Une excrétion de sodium < 3 g/jour a entraîné une augmentation progressive de l’insuffisance cardiaque (HR de 1,23 avec IC à 95% de 1,01 à 1,49), et une excrétion de > 8 g/jour a également accru le risque de manière significative (HR de 1,51 avec IC à 95% de 1,12 à 2,05).
Conclusion
Nous pouvons conclure que, d’après différentes études, le débat sur le fait de réduire ou non l’apport en sel en cas d’insuffisance cardiaque chronique s’oriente de plus en plus vers une consommation normale de sel. Il est toutefois nécessaire d’effectuer une recherche plus spécifique pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque.
Références
- Intersalt Cooperative Research Group. Intersalt: an international study of electrolyte excretion and blood pressure. BMJ 1988;297:319-328.
- Taylor RS, Ashton KE, Moxham T, et al. Reduced dietary salt for the prevention of cardiovascular disease: a meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Hypertens 2011;24:843-53.
- De Cort P. Une moindre consommation de sel prévient-elle les maladies cardiovasculaires ? MinervaF 2012:11(1):4-5.
- Van Royen P, Chevalier P, Dekeulenaer G, et al. Recommandation de bonne pratique. L’insuffisance cardiaque. SSMG 2011.
- Hoes AW, Voors AA, Rutten FH, et al. NHG-Standaard Hartfalen (Tweede herziening). Huisarts Wet 2010:53:368-89.
- DiNicolantonio JJ, Pasquale PD, Taylor RS, Hackam DG. Low sodium versus normal sodium diets in systolic heart failure: systematic review and meta-analysis. Heart 2012. Published Online First 21 August 2012.
- Paterna S, Fasullo S, Parrinello G, Cannizzaro S, et al. Short-term effects of hypertonic saline solutin in acute heart failure and long-term effects of a moderate sodium restriction in patients with compensated heart failure (SMAC-HF study). Am J Med Sci 2011;342:27-37.
- O'Donnell MJ, Yusuf S, Mente A, Gao P, et al. Urinary sodium and potassium excetion and risk fo cardiovascular events. JAMA 2011;306:2229-38.
- Chevalier P. Sartan ou IEC chez des patients à haut risque vasculaire ? MinervaF 2008;7(9):132-3.
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