Analyse
Lien entre la consommation de graisses saturées et graisses insaturées trans sur la mortalité totale, les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2 ?
Le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) rappelait en 2009 (1) que les graisses sont des composants importants de l’alimentation parce qu’elles fournissent de l’énergie, des acides gras essentiels et des vitamines liposolubles mais que leur ingestion ne devrait cependant pas atteindre plus de 30-35% de l’énergie totale ingérée.
Un glossaire est également fourni et permet de rappeler quelques bases théoriques :
- acides gras saturés : acides gras dont la chaîne carbonée est saturée ; il est recommandé de maintenir aussi basse que possible leur consommation
- acides gras insaturés : acides gras présentant une ou plusieurs doubles liaisons dans la chaîne carbonée
- acides gras monoinsaturés (MUFA) : acides gras présentant une double liaison en configuration cis
- acides gras polyinsaturés (PUFA) : acides gras présentant deux ou plusieurs doubles liaisons en configuration cis
- Les acides gras insaturés et en particulier les monoinsaturés ainsi que les polyinsaturés de la lignée des oméga-3 influencent favorablement le risque global de cardiopathies ischémiques. En outre, l’acide linoléique et l’acide alpha-linolénique sont des nutriments essentiels étant donné qu’ils jouent un rôle essentiel au niveau de l’intégrité de certaines fonctions physiologiques et que l’organisme humain ne peut lui-même en assurer la synthèse
- acides gras trans : acides gras présentant une ou plusieurs doubles liaisons en configuration « trans » au lieu de « cis » (présente dans la plupart des acides gras courants dans la nature).
Le CSS rappelait alors que les données scientifiques soulignaient que l’attention nécessaire devait être accordée au problème de l’ingestion d’acides gras trans, obtenus comme produits secondaires lors de certains processus chimiques dans l’industrie alimentaire. Ces acides gras ont un effet délétère comparable (ou même supérieur) à celui des acides gras saturés et peuvent, par conséquent, exercer une influence négative sur le risque de maladies cardiovasculaires. Au vu de cette propriété, il est préférable de viser une ingestion aussi faible que possible, voire même une absence totale dans l’alimentation.
Parutions antérieures de Minerva sur le sujet
En 2014, Minerva a abordé le lien entre la consommation de graisses et la morbi-mortalité (2) suite à l’analyse d’une RCT (3) qui montrait que des suppléments d’huile d’olive extra-vierge (50 g par jour) ou de noix (30 g par jour) en ajout à une alimentation de type méditerranéen pouvaient réduire de façon significative l’incidence des accidents cardiovasculaires, et particulièrement des AVC, en prévention primaire chez des personnes à haut risque cardiovasculaire. En 2003, Minerva avait conclu (4) sur base de l’analyse d’une synthèse méthodique avec méta-analyse (5) incluant des études de faible qualité méthodologique que, malgré l’absence de preuves en première ligne, la prescription d’une alimentation pauvre en graisses était probablement une mesure utile pour la prévention des événements et des décès cardiovasculaires. Celle-ci devait cependant être maintenue suffisamment longtemps (plus de 2 ans).
D’autres études
Une recommandation issue d’un Guide de Pratique Clinique de NICE publié en 2010 affirmait que la réduction de consommation de graisses saturées est cruciale dans la prévention des maladies cardiovasculaires et qu’il faut éliminer de l’alimentation humaine l’usage des acides gras trans produits industriellement (6), ce qui confirmait la position du CSS.
Une revue systématique avec méta-analyse publiée en 2010 (7), incluant des RCT, concluait que la consommation d’acides gras polyinsaturés à la place d’acides gras saturés réduisait les accidents coronaires et une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2015 (8), incluant des RCT, suggérait que la réduction de consommation de graisses saturées entrainait une petite mais potentiellement importante réduction du risque cardiovasculaire.
Cependant, une synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2010, incluant des études épidémiologiques prospectives, avait montré qu’il n’y avait pas de preuves qu’un régime riche en graisses saturées était associé à un risque accru de maladie cardiovasculaire (9). Une autre synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2014 (10), incluant des études d’observation prospectives et des RCT, concluait qu’il manquait de preuves pour encourager la consommation importante d’acides gras polyinsaturés et la faible consommation d’acides gras saturés.
Arguments pour poursuivre les recherches
Des méta-analyses récentes sont donc arrivées à des conclusions différentes sur le lien entre consommation d’acides gras saturés et l’incidence de maladies et de mortalité cardiovasculaires. Il est important de disposer de preuves pour faire des recommandations diététiques.
Résumé court de la nouvelle étude
Une nouvelle synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2015, incluant 73 études d’observation, a tenté de répondre à cette question (11). Les résultats montrent que la consommation d’acides gras saturés n’est pas associée à une modification de l’incidence de la mortalité globale (RR de 0,99 avec IC à 95% de 0,91 à 1,09 ; p = 0,091 ; I² = 33%), de la mortalité cardiovasculaire (RR de 0,97 avec IC à 95% de 0,84 à 1,12), de la cardiopathie ischémique (RR de 1,06 avec IC à 95% de 0,95 à 1,17), de l’AVC (RR de 1,02 avec IC à 95% de 0,90 à 1,15) et du diabète de type 2 (RR de 0,95 avec IC à 95% de 0,88 à 1,03). Les preuves sont cependant très faibles au vu des limitations méthodologiques des études incluses, comme par exemple une grande hétérogénéité entre elles.
La consommation d’acides gras trans était associée à une augmentation de l’incidence de la mortalité globale (RR de 1,34 avec IC à 95% de 1,16 à 1,56), de la mortalité par cardiopathie ischémique (RR de 1,28 avec IC à 95% de 1,09 à 1,50), de la mortalité cardiovasculaire (RR de 1,21 avec IC à 95% de 1,10 à 1,33) (preuves modérées), mais pas à une modification de l’incidence de l’AVC (RR de 1,07 avec IC à 95% de 0,88 à 1,28) ni du diabète de type 2 (RR de 1,10 avec IC à 95% de 0,95 à 1,27) (preuves faibles à très faibles). Les acides gras trans industriels, contrairement aux acides gras trans en provenance des ruminants, étaient associés à une hausse des cardiopathies ischémiques (RR de 1,18 avec IC à 95% de 1,04 à 1,33) et de la mortalité par cardiopathie ischémique (RR de 1,42 avec IC à 95% de 1,05 à 1,92). Les preuves sont cependant jugées faibles à très faibles au vu des nombreuses limites méthodologiques relevées (hétérogénéité importante entre les études, problème de fiabilité des outils de mesure, problème de validité des questionnaires utilisés, etc.), ce qui fait dire aux auteurs que les preuves sont insuffisantes que pour pouvoir faire des recommandations diététiques basées sur GRADE et que de nouvelles études pourraient avoir une influence importante sur ces recommandations.
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études d’observation montre un lien possible entre une augmentation de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires et les acides gras trans produits industriellement, mais ne montre pas de lien associé à la consommation d’acides gras saturés. Aucun lien n’a été montré sur l’incidence du diabète de type 2, ni avec les acides gras saturés, ni avec les acides gras trans.
Références
- Recommandations nutritionnelles pour la Belgique. Conseil Supérieur de la Santé, 2009. CSS n° 8309.
- Roberfroid D. Prévention primaire des maladies cardiovasculaires par une alimentation de type méditerranéen. MinervaF 2014;13(1):8-9.
- Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013;368:1279-90.
- De Cort P. Régime sans graisses en prévention des maladies cardiovasculaires. MinervaF 2003;2;(2):31-2.
- Hooper L, Summerbell CD, Higgings JP, et al. Dietary fat intake and prevention of cardiovascular disease : systematic review. BMJ 2001;322:757-63.
- National Institute for Health and Care Excellence. Cardiovascular disease prevention. NICE guidelines [PH25], Juin 2010.
- Mozaffarian D, Micha R, Wallace S. Effects on coronary heart disease of increasing polyunsaturated fat in place of saturated fat: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med 2010;7:e1000252.
- Hooper L, Martin N, Abdelhamid A, Davey Smith G. Reduction in saturated fat intake for cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 6.
- Siri-Tarino PW, Sun Q, Hu FB, Krauss RM. Meta-analysis of prospective cohort studies evaluating the association of saturated fat with cardiovascular disease. Am J Clin Nutr 2010;91:535-46
- Chowdhury R, Warnakula S, Kunutsor S, et al. Association of dietary, circulating, and supplement fatty acids with coronary risk: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2014;160:398-406.
- de Souza RJ, Mente A, Maroleanu A, et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ 2015;351:h3978.
Auteurs
Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
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