Analyse
Déficit en fer secondaire à la prise d’inhibiteurs de la pompe à protons ou d’antihistaminiques H2 ?
Minerva a commenté une étude cas-témoins sur un échantillon (1,2) montrant qu’il existe une association entre l’apparition d’un déficit en vitamine B12 et la prise d’antihistaminiques H2 ou d’inhibiteurs de la pompe à protons. Cependant, l’acide gastrique facilite aussi l’absorption du fer non héminique (Fe3+) contenu dans les végétaux de l’alimentation en le transformant en Fe2+ (fer héminique) (3,4). Les médicaments qui réduisent la sécrétion d’acide gastrique pourraient aussi accroître le risque de déficit en fer, cause importante d’anémie (5). Les précédentes études portant sur l’apparition d’un déficit en fer suite à la prise d’inhibiteurs de la sécrétion d’acide gastrique sur le long terme se limitaient à des études de cas à petite échelle ou axées sur des populations particulières, et leurs résultats étaient contradictoires.
Une étude cas-témoins sur un échantillon (6), publiée en 2017, a comparé 77046 patients présentant un déficit en fer (d’après un diagnostic codé dans le dossier, un taux sérique de ferritine ou de transferrine faible ou une nouvelle prescription de suppléments de fer pour au moins 6 mois) (cas) et 389314 patients sans déficit en fer (témoins). Chaque cas a été apparié à 10 témoins selon le sexe, la race, l’âge, la région géographique et la durée d’affiliation à l’organisation de soins de santé KPNC (Kaiser Permanente Northern California). Pour éviter un biais, ont été exclus les cas ou témoins présentant un risque accru de déficit en fer ou de saignement suite à une pancréatite chronique, un ulcère gastroduodénal, une diverticulose, un saignement gastro-intestinal, une infection par l’Helicobacter pylori, une hématurie, un épistaxis, une œsophagite, des pertes sanguines menstruelles excessives, une résection de l’estomac, la maladie de Crohn, la maladie cœliaque, une malabsorption, une gastrite, une infection par le ténia, un régime végétarien, la prise d’aspirine, d’AINS, de warfarine, de clopidogrel.
Parmi les cas, 3,0% ont été sous inhibiteur de la pompe à protons (IPP) pendant au moins 2 ans, et 1,4%, sous antihistaminique H2 (sans IPP) pendant au moins 2 ans. Parmi les témoins, ces chiffres étaient respectivement 0,9% et 0,6%. Un nouveau diagnostic de déficit en fer a été plus souvent posé, et ce de manière statistiquement significative, chez les patients qui, pendant au moins 2 ans, avaient pris un IPP (RC de 2,49 avec IC à 95% de 2,35 à 2,64) ou un antihistaminique H2 (RC de 1,58 avec IC à 95% de 1,46 à 1,71). Les résultats de cette étude concordent avec ceux des quelques petites études précédentes qui portaient sur l’inhibition de la sécrétion d’acide gastrique et le déficit en fer (7,8), et ils confirment aussi des études antérieures menées sur des animaux (9).
L’association n’était pas dépendante du recours aux établissements de santé. Cette variable a été considérée comme un facteur de confusion parce que les patients qui consultaient plus souvent pour une hypertension artérielle (en l’occurrence) avaient, de ce fait, plus de chances que le diagnostic de déficit en fer soit posé et qu’une prescription d’inhibiteurs d’acide gastrique leur soit prescrite (indépendamment d’un éventuel lien entre les deux). Comme dans toute étude d’observation, on ne peut toutefois exclure l’existence d’autres facteurs de confusion, non enregistrés et donc ignorés.
Aucune association n’a pu être constatée entre le déficit en fer et d’autres médicaments souvent utilisés. L’association entre les inhibiteurs de la sécrétion d’acide gastrique et le déficit en fer paraissait plus forte chez les patients plus jeunes et était plus forte avec les IPP qu’avec les antihistaminiques H2. L’association était également plus forte avec une dose plus élevée d’IPP, et elle diminuait progressivement au cours du temps après l’arrêt du médicament. Ces constatations peuvent valoir d’arguments pour l’existence d’un lien de causalité (10).
Cette étude ne permet pas de savoir clairement quelle est la pertinence clinique du risque accru de déficit en fer avec les inhibiteurs de la sécrétion d’acide gastrique. Il est probable que tous les cas ne souffraient pas d’anémie, et les chercheurs ne connaissaient pas la gravité du déficit en fer et ne savaient pas si un traitement était nécessaire. Cette étude ne tient pas non plus compte de la prise d’antihistaminiques H2 ou d’IPP obtenus sans ordonnance, ce qui fait que la force de l’association avec le déficit en fer a peut-être été sous-estimée.
Conclusion
Cette vaste étude cas-témoins, de bonne qualité méthodologique, montre l’existence d’une association entre l’utilisation à long terme d’inhibiteurs de la sécrétion d’acide gastrique et l’apparition d’un déficit en fer. La pertinence clinique de cette association n’est toutefois pas tout à fait claire.
Pour la pratique
Les guides de pratique clinique actuels recommandent de n’utiliser des inhibiteurs de la sécrétion d’acide gastrique en cas de reflux gastro-œsophagien que pour soulager le patient de ses symptômes (11,12). Pour les médecins, cela signifie de prescrire des inhibiteurs de la pompe à protons ou des antihistaminiques H2 à la dose efficace la plus faible possible et d’éviter une utilisation chronique. Cet avis est étayé par la preuve d’une association entre, d’une part, la prise d’antihistaminiques H2 ou d’IPP et, d’autre part, l’apparition d’un déficit en vitamine B12 (2) et – d’après cette nouvelle étude – d’un déficit en fer.
- Lam JR, Schneider JL, Zhao W, Corley DA. Proton pump inhibitor and histamine 2 receptor antagonist use and vitamin B12 deficiency. JAMA 2013;310:2435-42. DOI: 10.1001/jama.2013.280490
- Boussery K, Mehuys E. Un déficit en vitamine B12 est-il associé à la prise d’inhibiteurs de la pompe à protons ou d’antihistaminiques H2 ? MinervaF 2015;14(2):16-7.
- Bezwoda W, Charlton R, Bothwell T, et al. The importance of gastric hydrochloric acid in the absorption of nonheme food iron. J Lab Clin Med 1978;92:108-16.
- Schade SG, Cohen RJ, Conrad ME. Effect of hydrochloric acid on iron absorption. N Engl J Med 1968;279:672-4. DOI: 10.1056/NEJM196809262791302
- Anémie ferriprive. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 2/06/2017.
- Lam JR, Schneider JL, Quesenberry CP, Corley DA. Proton pump inhibitor and histamine-2 receptor antagonist use and iron deficiency. Gastroenterology 2017;152:821-9.e1. DOI: 10.1053/j.gastro.2016.11.023
- Sarzynski E, Puttarajappa C, Xie Y, et al. Association between proton pump inhibitor use and anemia: a retrospective cohort study. Dig Dis Sci 2011;56:2349-53. DOI: 10.1007/s10620-011-1589-y
- Hutchinson C, Geissler CA, Powell JJ, Bomford A. Proton pump inhibitors suppress absorption of dietary non-haem iron in hereditary haemochromatosis. Gut 2007;56:1291-5. DOI: 10.1136/gut.2006.108613
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- Hill AB. The environment and disease: association or causation? Proc Roy Soc Med 1965;58:295-300.
- Maladie du reflux gastro-osophagien. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 18/11/2016.
- Numans ME, De Wit NJ, Dirven JAM, et al. NHG-Standaard Maagklachten (Derde herziening). Huisarts Wet 2013;56:26-35.
Auteurs
Mehuys E.
Eenheid Farmaceutische Zorg, Universiteit Gent
COI :
Boussery K.
Eenheid Farmaceutische Zorg, Universiteit Gent
COI :
Glossaire
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