Analyse


Effets indésirables des opioïdes utilisés dans la douleur chronique non liée au cancer


15 02 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Els C, Jackson TD, Kunyk D, et al. Adverse events associated with medium- and long-term use of opioids for chronic non-cancer pain: an overview of Cochrane Reviews. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012509.pub2


Conclusion
Les études randomisées n’apportent aucune donnée importante concernant la sécurité de la prescription d’opioïdes pour des douleurs chroniques non liées au cancer à moyen et long termes. Si les synthèses méthodiques utilisées sont de bonne qualité, ce n’est pas le cas pour les études randomisées identifiées en ce qui concerne la collecte des effets indésirables.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Faute de données pertinentes rapportées sur les effets indésirables tant dans leur observation (notamment concernant le risque d’assuétude, de troubles mentaux et de surdosage mortel) que sur le suivi prolongé des patients traités, on ne peut pas utiliser les résultats des études randomisées disponibles pour décider de l’administration des opioïdes pour des douleurs chroniques non liées au cancer. La surmortalité induite par l’utilisation inadéquate de ces médicaments aux Etats-Unis doit plus que jamais inciter à ne pas les utiliser à moyen et long termes chez ces patients.Des données récentes montrent une diminution de la consommation d’opioïdes dans les populations couvertes par les assurances Medicaid et Medicare des Etats où la législation autorise l’utilisation de la marijuana à but médical et récréatif. Mais d’aucuns soutiennent que la libéralisation de l’usage de la marijuana va entrainer une augmentation des abus d’opioïdes ... Evitons donc d’en arriver là de ce côté de l’Atlantique !



Dans un éditorial de 2015 (1), la revue Minerva n’avait pas recommandé l’utilisation des opiacés comme traitement de longue durée de la douleur chronique non cancéreuse. L’auteur, se basant largement sur une synthèse méthodique de la littérature (2), avait souligné un risque significativement accru de toxicité potentiellement grave notamment en termes de surdosage (overdose) et d’assuétude. Dans une analyse courte de 2016 sur des résultats provenant de vastes banques de données états-uniennes (3,4), nous avions aussi recommandé de ne pas recourir dans ce contexte aux dérivés à longue durée d’action en raison d’un risque majoré de surdosage non intentionnel avec ou sans décès, particulièrement élevé en début de traitement.

La consommation d’opiacés a fortement augmenté pour les douleurs non cancéreuses, surtout en Amérique du Nord, au point qu’au début de cette décennie, les autorités états-uniennes ont pris des mesures contre les excès d’ordonnance de morphiniques et mis en place un système de monitoring des ordonnances. Malgré tous les efforts et les recommandations mises en place par le CDC (Center for Disease Control) pour endiguer l’épidémie de surconsommation des opioïdes et les décès par surdosage, les derniers chiffres ont révélé que 4,3% de la population états-unienne utilise des opioïdes délivrés sur ordonnance ou obtenus de manière illicite (5). Selon l’ex-gouverneur du New Jersey Chris Christie, le nombre de vies ainsi perdues est comparable à celui d’un attentat du 11 septembre qui se reproduirait toutes les 3 semaines, pour un total de 60000 morts en 2016. La tendance continue à croître (5). Le coût de cette crise est prohibitif. La facture du contribuable pour les soins de santé, les frais légaux et l’absentéisme lié à l’usage des opioïdes s’élèverait à 78,5 milliards de dollars pour l’année 2015. Ces antalgiques causent en effet un nombre important d’addictions, de comportements aberrants et d’effets indésirables dont des morts par surdosage.

 

Dans ce contexte, des auteurs canadiens du groupe de la Cochrane « Pain, Palliative and Supportive Care » ont entrepris une synthèse méthodique (6) des effets indésirables des opioïdes administrés à moyen et long termes (> 2 semaines) chez les adultes de 18 ans et plus souffrant de de douleurs chroniques non cancéreuses. Les auteurs ont identifié les études randomisées en analysant les synthèses méthodiques sur le sujet dans la banque de données de la Cochrane Collaboration. En mars 2017, ils ont identifié 16 synthèses méthodiques dont 14 utilisables pour l’analyse quantitative. Ils ont spécifiquement recherché comme effets indésirables préspécifiés l’addiction, les troubles cognitifs, la constipation, les troubles de l’humeur notamment dépressifs, l’hypogonadisme et autres dysfonctions endocriniennes, les infections, la dépression respiratoire, les troubles sexuels, les apnées du sommeil, la xérostomie ainsi que le nombre de morts. Ils ont également collecté les autres effets indésirables rapportés dans les études individuelles comme l’anorexie ou les céphalées. Cette méthodologie a permis d’identifier 61 études contrôlées (avec un placebo ou un autre antalgique comme contrôle) avec un total de 18679 patients et de 14 opioïdes différents testés. L’étude la plus longue a duré 13 mois, la plupart s’étendant sur 6 à 16 semaines.

  • Globalement, il y a un risque significativement accru d’effets indésirables avec les opioïdes versus placebo (6 essais analysables) : risque relatif (RR) de 1,42 avec IC à 95% de 1,22 à 1,66.
  • Idem opioïdes versus un traitement antalgique non opiacé : RR de 1,21 avec IC à 95% de 1,10 à 1,33.
  • Le risque d’effets indésirables sérieux est également significativement augmenté avec les opioïdes versus placebo : RR de 2,75 avec IC à 95% de 2,06 à 3,67.
  • Un risque significativement accru est mis en évidence pour les effets indésirables suivants : constipation, vertiges, somnolence, fatigue, bouffées de chaleur, transpiration accrue, nausée, prurit et vomissements.
  • En tout, il n’y a que deux décès rapportés.
  • Les auteurs de la synthèse méthodique n’ont pu rapporter aucune donnée concernant les effets indésirables préspécifiés pour la méta-analyse comme l’addiction, les troubles de l’humeur, les altérations cognitives,la dépendance, des symptômes dépressifs ou des troubles de l’humeur, un hypogonadisme ou d’autres troubles endocriniens, une dépression respiratoire, un dysfonctionnement sexuel, une apnée du sommeil ou des troubles respiratoires du sommeil…. faute de données !

 

Conclusion 

Les études randomisées n’apportent aucune donnée importante concernant la sécurité de la prescription d’opioïdes pour des douleurs chroniques non liées au cancer à moyen et long termes. Si les synthèses méthodiques utilisées sont de bonne qualité, ce n’est pas le cas pour les études randomisées identifiées en ce qui concerne la collecte des effets indésirables.

 

Pour la pratique

Faute de données pertinentes rapportées sur les effets indésirables tant dans leur observation (notamment concernant le risque d’assuétude, de troubles mentaux et de surdosage mortel) que sur le suivi prolongé des patients traités, on ne peut pas utiliser les résultats des études randomisées disponibles pour décider de l’administration des opioïdes pour des douleurs chroniques non liées au cancer. La surmortalité induite par l’utilisation inadéquate de ces médicaments aux Etats-Unis doit plus que jamais inciter à ne pas les utiliser à moyen et long termes chez ces patients (7). Des données récentes (8,9) montrent une diminution de la consommation d’opioïdes dans les populations couvertes par les assurances Medicaid et Medicare des Etats où la législation autorise l’utilisation de la marijuana à but médical et récréatif. Mais d’aucuns soutiennent que la libéralisation de l’usage de la marijuana va entrainer une augmentation des abus d’opioïdes ... Evitons donc d’en arriver là de ce côté de l’Atlantique !

 

 

Références 

  1. De Corte P. Douleur chronique : prescrire des opiacés ? [Editorial] MinervaF 2015;14(4):39.
  2. Chou R, Turner JA, Devine EB, et al. The effectiveness and risks of long-term opioid therapy for chronic pain: a systematic review for a National Institutes of Health Pathways to Prevention Workshop. Ann Intern Med 2015;162:276-86. DOI: 10.7326/M14-2559
  3. Sculier J-P, Peeters-Asdourian C. Opiacés pour la douleur chronique non liée au cancer : risque accru d’accidents de surdosage avec les dérivés à longue durée d’action. Minerva bref 15/02/2016.
  4. Miller M, Barber CW, Leatherman S, et al. Prescription opioid duration of action and the risk of unintentional overdose among patients receiving opioid therapy. JAMA Intern Med 2015;175:608-15. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.8071
  5. Substance Abuse and Mental Health Services Administration. Key substance use and mental health indicators in the United States: results from the 2016 national survey on drug use and health. Center for Behavioral Health Statistics and Quality, Substance Abuse and Mental Health Services Administration, 2017. Disponible sur: https://www.samhsa.gov/data/
  6. Els C, Jackson TD, Kunyk D, et al. Adverse events associated with medium- and long-term use of opioids for chronic non-cancer pain: an overview of Cochrane Reviews. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012509.pub2
  7. Prescrire Rédaction. Dépendance aux médicaments opioïdes aux Etats-Unis: une énorme épidémie mortelle par surdose. Rev Prescrire 2017;37:622-9.
  8. Wen H, Hockenberry JM. Association of medical and adult-use marijuana laws with opioid prescribing for medicaid enrollees. JAMA Intern Med 2018;178:673-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2018.1007
  9. Bradford AC, Bradford WD, Abraham A, Bagwell Adams G. Association between US state medical cannabis laws and opioid prescribing in the Medicare part D population. JAMA Intern Med 2018;178:667-72. DOI: 10.1001/jamainternmed.2018.0266

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :

Peeters-Asdourian C.
Beth Israel Deaconess Medical Center, Harvard Medical School, Boston (USA)
COI :

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