Analyse
Intérêt de l’entrainement proprioceptif pour les personnes ayant eu un accident vasculaire cérébral ?
Contexte
Les déficits de proprioception sont associés à de nombreuses pathologies neurologiques (accidents vasculaires cérébraux, maladie de Parkinson, neuropathies périphériques) ou encore à des les problèmes orthopédiques (lésions ligamentaires ou des capsules articulaires ou musculaires) (1). Parce que les déficits proprioceptifs sont communément associés à de mauvais résultats fonctionnels chez les personnes ayant eu un AVC, les traitements visant à améliorer les déficits des fonctions proprioceptives sont jugés primordiaux pour restaurer la mobilité et l’autonomie. L'entraînement proprioceptif comprend des exercices d'équilibre, un entraînement de stimulation somatosensorielle, un entraînement de repositionnement articulaire et une facilitation neuromusculaire proprioceptive. Chaque intervention peut être menée individuellement, ou par le biais d'une approche combinée.
En 2003, nous avions analysé dans Minerva (2) une RCT (3) qui avait montré que la kinésithérapie dans un stade chronique post-AVC avait un effet minime quoique significatif sur la mobilité et la vitesse de déplacement du patient, effet limité à la période de traitement. Cependant, un lien entre une mobilité accrue et des capacités fonctionnelles meilleures, une autonomie ou un bien être général amélioré n’était pas démontré. En 2005, nous avions analysé (4) une synthèse méthodique (5) concernant des patients atteints d’accident vasculaire cérébral et nous avions conclu qu’un traitement à domicile comportant de la kinésithérapie, de l’ergothérapie ou l’intervention d’une équipe multidisciplinaire, traitement réalisé au cours de la première année après une hospitalisation, pouvait améliorer les capacités fonctionnelles des activités de la vie quotidienne et prévenir une régression de celles-ci, sans toutefois pouvoir préciser la conception et l’exécution précises de cette prise en charge. Aucune synthèse méthodique ne s'est concentrée sur l’intérêt d’un entraînement proprioceptif chez les patients ayant subi un AVC ni sur les facteurs susceptibles d’influencer les effets bénéfiques (6).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses
Sources consultées
- Pubmed, Science Direct, Cochrane, Embase et Medline + recherche manuelle à partir des références bibliographiques d’une synthèse méthodique relative à l’entrainement proprioceptif
- critères d’inclusion : RCT, date admise depuis la création des bases de données, entrainement proprioceptif associé ou non à une autre approche à la condition sine qua non que cette dernière soit également présente dans le groupe comparaison, AVC, publication en anglais exclusivement
- critères d’exclusion : autre design que RCT, toute autre approche que l’entrainement proprioceptif, autre langue que l’anglais.
Etudes sélectionnées
- parmi 1433 études randomisées contrôlées, seules 16 études ont été utilisées pour la méta-analyse.
Population étudiée
- 447 personnes avec antécédent d’AVC ; les participants étaient majoritairement masculins (58,82%) avec un âge moyen de 49,13 ans à 65,90 ans selon les études ; la taille des échantillons va de 20 à 50 participants
- un entraînement proprioceptif associé à des soins standard ou à un traitement conventionnel a été utilisé dans 9 études ; un entraînement proprioceptif combiné à un entraînement neurodéveloppemental a été utilisé dans 3 études ; l'entraînement proprioceptif combiné à l'entraînement sur tapis roulant a été utilisé dans 2 études et l'entraînement proprioceptif en tant que traitement autonome a été utilisé dans 3 études.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : les performances en équilibre
- critères de jugement secondaires : posture, vitesse de marche, mobilité fonctionnelle de base
- l’ampleur de l’effet des différents traitements a été estimé en calculant le facteur g de Hedges en utilisant un modèle d’effets aléatoires.
Résultats
- critère de jugement primaires : l’équilibre : g de Hedges = 0,69 avec IC à 95% de 0,36 à 1,01 ; I² = 55,43%
- critères de jugement secondaires :
- posture : g de Hedges = 0,75 avec IC à 95% de 0,33 à 1,17
- vitesse de marche (g de Hedges = 0,57 avec IC à 95% de 0,19 à 0,94
- mobilité fonctionnelle de base (g de Hedges = 0,63 avec IC à 95% de 0,31 à 0,94.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’entrainement proprioceptif peut être efficace dans l’amélioration de l’équilibre, de la vitesse de marche, de la posture et dans la mobilité fonctionnelle de base chez les patients ayant eu un AVC.
Financement de l’étude
Les auteurs déclarent n’avoir eu aucun financement pour réaliser cette étude.
Conflit d’intérêts des auteurs
Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun potentiel conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Le protocole de cette méta-analyse n’a pas été enregistré mais est disponible en ligne. Les auteurs ont suivi les recommandations PRISMA 2020. Cinq bases de données recommandées ont été consultées et ont été complétées sur base d’une référence pertinente, les critères d’inclusion et d’exclusion ont été bien définis ainsi que les mots clefs de la recherche. Seul l’anglais était autorisé. Les études ont été sélectionnées par deux chercheurs indépendants et un troisième est intervenu en cas de désaccord. La qualité de la méthodologie des RCT retenues a été déterminée en utilisant l’outil Cochrane « RoB 2», « Cochrane risk of bias tool for randomized trials version 2 ». Une étude a été identifiée à haut risque de biais, 2 à faible risque et les autres à risque modéré. La mesure des résultats a été effectuées à l’aide de 4 outils différents, mais tous sont référencés et les auteurs signalent qu’ils sont largement utilisés, fiables et valides et qu'ils peuvent être facilement administrés aux personnes ayant subi un AVC.
Évaluation des résultats de l'étude
L’OMS compare l’AVC à une pandémie et projette une augmentation de l'incidence des AVC au niveau mondial de 16 millions en 2005 à 23 millions en 2030 (7). En Belgique, 19000 personnes sont touchées chaque année. L’AVC est la première cause de handicap avec près de 6000 patients touchés (8). 16 études incluant 447 patients ont été sélectionnées. Seuls 20 à 50 patients étaient compris dans chaque étude ce qui laisse suspecter pour certaines d’entre elles un manque de puissance. Notons que l’entraînement proprioceptif a été administré seul uniquement à 3 reprises. Cependant, les études ne comprenant pas de groupe contrôle ayant la même thérapie active que celle associée à l’entraînement proprioceptif du groupe intervention étaient exclues, ce qui est un point méthodologique positif. Les caractéristiques des AVC ne sont pas décrites. Nous ne connaissons pas l’état physique des patients avant l’AVC. Nous pouvons remarquer que les patients sont jeunes et comprennent une majorité d’hommes. Cette population plus jeune avait-elle plus de chance d’avoir une meilleure récupération ? Une population plus âgée présentant souvent plus de polymorbidités n’aurait-elle pas présenté des étiologies aux troubles de l’équilibre plus variées, compliquant la revalidation ? Pour évaluer la crédibilité des résultats du critère de jugement primaire, les auteurs ont réalisé un test d'Egger qui a indiqué un risque de biais de publication (p = 0,02). Après ajustement à l'aide de la méthode trim and fill, les résultats ont révélé une taille d'effet plus petite mais statistiquement significative (g de Hedges = 0,51 ; IC à 95% de 0,15 à 0,92). De plus, les auteurs ont réalisé des analyses de sensibilité qui confirment les résultats.
Les interventions globales sont clairement décrites dans ce travail de synthèse mais sont très hétérogènes quant aux types d’exercices proposés, ainsi que pour les durées et fréquences (variations de 90 à 30 minutes par session, de 5 sessions par semaine à 1 par semaine, pour une durée totale de suivi de 24 semaines à 2 semaines). Les exercices d’entraînement à la proprioception ne sont pas décrits avec précision dans ce travail de synthèse mais les professionnels visés sont spécialisés dans le domaine. Pour le MG, il est important de savoir s’il doit s’assurer qu’un entraînement à la proprioception est à réaliser ou pas.
De futures études évaluant les effets à long terme de l'entraînement proprioceptif en tant que traitement autonome ou adjuvant chez les personnes ayant subi un AVC sont nécessaires. L’âge des patients, les caractéristiques de l’AVC, les comorbidités associées pourraient influencer les résultats et cibler plus précisément les patients qui en bénéficieraient le plus.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les 4 points essentiels de la HAS (9,10) pour une rééducation optimale post-AVC sont : « 1/ l’évaluation initiale est menée dès l’hospitalisation par des médecins et rééducateurs spécialisés ; 2/ les besoins en rééducation/réadaptation tiennent compte de la sévérité de l’AVC, des déficits du patient et du pronostic de leur évolution ; 3/ La décision d’orientation dans les parcours adaptés nécessite une consultation pluridisciplinaire et la prise en compte des préférences du patient et de son entourage ; 4/ La rééducation/réadaptation doit être initiée précocement et pratiquée de manière intensive (séances d’au moins 45 mn, au moins 5 jours par semaine), en privilégiant une prise en charge multidisciplinaire et coordonnée ». À l’heure actuelle, il n’existe aucun consensus ou guidelines concernant l’entrainement proprioceptif chez les patients ayant eu un AVC.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées contrôlées, de bonne qualité méthodologique, montre que l’entrainement proprioceptif comme traitement adjuvant à d’autres techniques de revalidation chez les (jeunes) patients ayant eu un AVC, améliore l’équilibre, la posture, la vitesse de marche et la mobilité fonctionnelle de base.
- Hizli Sayar G, Ünübol H. Assessing proprioception. J Neurobehavior Sci 2017;4:31-5. DOI: 10.5455/JNBS.1485955027
- Oostra K. Un an après un AVC, est-il encore utile de pratiquer de la physiothérapie? MinervaF 2003;2(3):47-8.
- Green J, Forster A, Bogle S, Young J. Physiotherapy for patients with mobility problems more than 1 year after stroke: a randomised controlled trial. Lancet 2002;359:199-203. DOI: 10.1016/S0140-6736(02)07443-3
- Provoost S. Revalidation à domicile après un AVC. MinervaF 2005;4(7):104-6.
- Legg L, Langhorne P. Rehabilitation therapy services for stroke patients living at home: systematic review of randomized trials. Lancet 2004;363:352-6. DOI: 10.1016/S0140-6736(04)15434-2
- Apriliyasari RW, Van Truong P, Tsai PS. Effects of proprioceptive training for people with stroke: A meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Rehabil 2022;36:431-48. DOI: 10.1177/02692155211057656
- Journée mondiale AVC. URL : https://www.societe-francaise-neurovasculaire.fr/journee-mondiale-avc. Consulté le 13/06/2022.
- L’accident vasculaire cérébral (AVC). Ligue cardiologique Belge. URL : https://liguecardioliga.be/laccident-vasculaire-cerebral-avc/. Consulté le 13/06/2022
- Haute Autorité de Santé. Post-AVC : quatre messages-clés pour une rééducation optimale. URL : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3100943/fr/post-avc-quatre-messages-cles-pour-une-reeducation-optimale. Site consulté le 15/06/2022.
- Haute Autorité de Santé. Parcours de rééducation réadaptation des patients après la phase initiale de l’AVC. HAS juillet 2020. URL: https://www.has-sante.fr/plugins/ModuleXitiKLEE/types/FileDocument/doXiti.jsp?id=p_3200364
Auteurs
Lanssen M.
médecin généraliste
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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