Analyse


Quelle plus-value entre la kinésithérapie à domicile ou en ambulatoire après une arthroplastie totale inversée de l'épaule ?


15 02 2024

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Schick S, Elphingstone J, Paul K, et al. Home-based physical therapy results in similar outcomes to formal outpatient physical therapy after reverse total shoulder arthroplasty: a randomized controlled trial. J Shoulder Elbow Surg 2023;32:1555-61. DOI: 10.1016/j.jse.2023.03.023


Question clinique
Chez les patients ayant bénéficié d’une arthroplastie totale inversée de l’épaule soumis à un programme formel de physiothérapie soit accompagné par un kinésithérapeute soit effectué à domicile sans kinésithérapeute, existe-t-il une différence en termes de scores fonctionnels et de résultats rapportés par les patients ?


Conclusion
Cette étude contrôlée et randomisée, présentant quelques limites méthodologiques, montre que le suivi d’un programme de rééducation suite à une arthroplastie inversée de l’épaule peut être réalisé autant en autonomie à domicile qu’en ambulatoire avec des kinésithérapeutes, si et seulement si nous prenons en considération uniquement les gains de degrés d’amplitude, de force et des résultats rapportés par le patient (PROM). Les limites méthodologiques tant en termes de validité interne que liées à l’extrapolation des résultats fragilisent la possibilité d’une généralisation de cette approche. D’autres études sont nécessaires.


Contexte

L’arthroplastie totale inversée de l’épaule (reverse total shoulder arthroplasty - RTSA) est une opération qui a été approuvée au début des années 2000 (1). L’incidence de la mise en place de prothèse d’épaule inversée primaire et de prothèse totale anatomique a considérablement augmenté aux États-Unis de 2012 à 2017, tandis que l'incidence de l'hémiarthroplastie a diminué (1) grâce à de meilleures connaissances (2,3). Suivre un programme de rééducation après une RTSA est largement recommandé afin de restaurer et d’améliorer la force musculaire et les degrés d’amplitude de l’épaule (3,4). Plusieurs études tentent d’établir des recommandations postopératoires (4,5), mais peu de données probantes sont disponibles (3). Souvent, elles dérivent de recommandations de l’arthroplastie totale de l’épaule (6), alors que ces 2 arthroplasties  se différencient sur plusieurs aspects (leurs indications, le design de l’implant, leur fonction, le déroulement de l’opération, etc.) (7). Ainsi, les buts des protocoles de rééducation de ces 2 types d’arthroplasties ne sont pas similaires (5).  Parmi les protocoles de rééducation existante, aucune n’interroge la plus-value d’un suivi en ambulatoire ou à domicile (8). L’article analysé ici s’intéresse aux protocoles de rééducation postopératoire en tenant compte des spécificités de la RTSA (9). 

 

 

Résumé 

 

Population étudiée 

  • critères d’inclusion : 
    • arthroplastie réalisée par un des deux chirurgiens sélectionnés pour l’étude
    • entre janvier 2018 et janvier 2021
    • les patients ont tous reçu la même prothèse et ont tous eu une opération du muscle subscapulaire
  • critères d’exclusion : 
    • les personnes non anglophones
    • âge < 18 ans
    • les femmes enceintes
    • les personnes avec une fracture proximale de l’humérus
    • les personnes incarcérées 
    • les personnes n’étant pas dans la capacité d’exprimer leur consentement
  • au total, 100 patients étaient éligibles et 81 ont été randomisés après application des critères d’exclusion ; moyenne d’âge de 67,1 ans, composé de 76,5% de femmes, et tous issus de la même institution de soins ; le suivi moyen a été de 20,8 mois ; le BMI, le bras dominant, le bras opératoire et l’évaluation du statut des patients selon la classification de l'American Society of Anesthesiologists (ASA), étaient similaires entre les groupes H-PT et F-PT.

 

Protocole d’étude 

  • étude randomisée, contrôlée, avec répartition aléatoire en 2 groupes : 
    • groupe F-PT : patients suivant le programme de rééducation en ambulatoire, accompagnés d’un kinésithérapeute
    • groupe H-PT : patients suivant le programme de rééducation à domicile, ayant reçu une liste d'activités autorisées pour l'auto-réhabilitation, non accompagnés par un kinésithérapeute
  • l'évaluation préopératoire comprenait : Simple Shoulder Test (SST), ASES Shoulder Score, Single Assessment Numeric Evaluation (SANE), Visual Analog Scale (VAS), and Patient Health Questionnaire-2 ; de plus, des tests préopératoires d’amplitude de mouvement et de résistance ont été effectués avec un goniomètre
  • en post-opératoire, tous les patients ont bénéficié d’une semaine de kinésithérapie au cours de l’hospitalisation 
  • les 2 groupes ont bénéficié du protocole de rééducation de Boudreau et al. comprenant 4 phases d’exercices sur 26 semaines (10
  • les suivis ont été réalisés à 2 et 6 semaines, à 3 et 6 mois et à 1 an sur base des mêmes évaluations qu’en préopératoire.

 

Mesure des résultats 

  • les critères de jugement comprennent : 
    • évaluations fonctionnelles : degré d’amplitude (ROM) et force musculaire (en flexion avant, abduction, rotation externe et rotation interne)
    • évaluations PROM (patient reported outcome measures) : résultats rapportés par le patient : Simple Shoulder Test (SST), ASES Shoulder Score, Single Assessment Numeric Evaluation (SANE), Visual Analog Scale (VAS), Patient Health questionnaire-2
    • le nombre de visites effectuées, la facilité à effectuer la thérapie, le temps à l'amélioration de la douleur, le besoin d'aide familiale et les bénéfices globaux ont été collectés par les chercheurs à l’aveugle
    • à la fin de la thérapie physique (26 semaines), les patients ont évalué leur satisfaction envers leur thérapie respective
  • les auteurs ne précisent pas le type d’analyse réalisée, mais on peut déduire qu’il s’agit d’une analyse en intention de traiter modifiée. 

 

Résultats 

  • au total, sur les 81 patients randomisés, 11 ont été exclus de l’analyse des résultats (8 ont été perdus de vue et 3 ont nécessité une RTSA pour fracture aiguë) et étaient répartis entre le groupe H-PT = 37 patients et le groupe F-PT = 33 patients ; à la fin des 12 mois de suivi, H-PT = 26 et F-PT = 25 
  • les critères de jugement montrent pour : 
    • amplitude mouvements (ROM) : 
      • amélioration significative pour les 2 groupes entre le début et la fin de suivi ; excepté pour la rotation interne 
      • pas de différence significative entre les 2 groupes entre le début et la fin de l’essai
    • force musculaire : 
      • amélioration significative uniquement pour le groupe F-PT entre le début et la fin de l’essai tant en flexion antérieure (p = 0,003), qu’en abduction (p = 0,004) et rotation externe (p = 0,02)
      • la rotation externe est significativement meilleure entre les 2 groupes en faveur du groupe F-PT en fin de suivi avec une valeur de p = 0,037
    • tests PRO (SST, ASES, SANE et VAS score) : 
      • pas de différence significative entre les 2 groupes entre le début et la fin de suivi pour chacun des tests 
      • amélioration significative de chaque score pour les 2 groupes entre le début et la fin de suivi
    • questionnaire de satisfaction de fin de suivi : 
      • les 2 groupes sont satisfaits du programme respectivement suivi ; les patients auraient apprécié choisir eux-mêmes leur adhésion à l’un des 2 groupes
      • le groupe F-PT rapporte significativement avoir bénéficié de moins d’assistance de la part de leurs proches par rapport au groupe H-PT ; selon 93% des patients du groupe H-PT, la rééducation à domicile est moins un fardeau pour leur proche que si elle s’était déroulée en ambulatoire accompagné d’un kinésithérapeute
      • dans l’ordre d’importance, le groupe F-PT a d’abord apprécié la présence d’un kinésithérapeute (expertise et avis) (33%), de suivre un programme structuré et de bénéficier d’une surveillance (16% pour les 2)
      • pour le groupe H-PT, plus de la moitié (64%) ont apprécié la flexibilité que permettait de réaliser sa réhabilitation à domicile, et 22% ont apprécié économiser le coût des transports
    • la durée de suivi (follow-up) : pas de différence significative entre les 2 groupes à 6 mois et 1 an.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats obtenus à l’issue du programme de thérapie physique ambulatoire accompagné d’un kinésithérapeute versus à domicile sans kinésithérapeute à la suite d’une arthroplastie inversée de l’épaule montrent des améliorations similaires en degrés d’amplitude, de force et de résultats rapportés par le patient. 

 

Financement de l’étude

Aucun financement n’a été communiqué par les auteurs.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. 

 

 

Discussion 

Évaluation de la méthodologie

Cette étude contrôlée randomisée présente quelques points forts d’un point de vue méthodologique. Les critères d’exclusion sont bien décrits. Les caractéristiques des patients inclus n’ont pas montré de différence statistiquement significative. Le programme d’exercice est référencé et reconnu dans cette indication. Nous pouvons cependant relever quelques faiblesses. Les critères d’inclusion ne sont pas décrits correctement : comment les patients ont-ils été diagnostiqués ? Sur quelle base clinique et/ou radiologique les chirurgiens ont-ils décidé d’opérer ? Le suivi des patients est en moyenne de 20,8 mois, alors que les derniers tests d’évaluation s’effectuent à 1 an de suivi. Les auteurs ne donnent aucune indication pour expliquer cette différence. Doit-on s’attendre à un suivi sur un plus long terme encore ?
Les auteurs donnent trop peu d’information par rapport à l’insu ; il est juste mentionné dans la partie Méthode que les patients sont évalués cliniquement à l’aveugle. On en déduit que tous les autres participants n’étaient pas à l’aveugle, ce qui fragilise les résultats et questionne la prise en considération dans le protocole de l’étude d’un biais de performance. 
Comme aucune étude antérieure n'a évalué le rôle de la thérapie dans les résultats de l’arthroplastie inversée de l’épaule, les auteurs ont suivi les recommandations d’autres auteurs demandant une différence minimale cliniquement importante dans le score ASES (American Shoulder and Elbow Surgeons) de 15 points comme étant une différence anticipée cliniquement pertinente entre les groupes (11). Le fait que ce critère n’est pas LE critère de jugement primaire de cet essai n'est pas expliqué. Les calculs d'analyse de puissance ont précisé la nécessité d’inclure 30 patients dans chaque groupe pour détecter une différence avec une puissance de 80% et un α = 0,05. On peut se demander si ce calcul de puissance basé sur un score noyé dans plusieurs critères de jugement différents est correct pour tous les autres critères de jugement. D’ailleurs, les auteurs eux-mêmes admettent que l’étude n’est peut-être pas suffisamment puissante pour détecter les différences entre les scores ROM et PROM.

 

Évaluation des résultats

L’extrapolation des résultats est limitée pour plusieurs raisons : 

  • Tous les patients ont été opérés avec la même prothèse et la même technique chirurgicale du muscle subscapulaire ; les résultats ne peuvent donc pas être extrapolés à d’autres prothèses et/ou d’autres techniques chirurgicales. 
  • Seuls 2 chirurgiens étaient habilités à opérer les patients. Peut-on en déduire que les résultats observés peuvent être extrapolés à tous les chirurgiens pratiquant cette technique ?
  • Petite taille d'échantillon à 12 mois pour les 2 groupes (< 30). Il y a de nombreux perdus de vue. Les auteurs ne mentionnent pas les raisons pour lesquelles des patients sont sortis de l’étude, hormis la pandémie du covid-19. 
  • Les résultats de l’étude ne sont pas généralisables à tous les protocoles de réhabilitation possibles pour la RTSA. Seul le protocole de rééducation de Boudreau et al. (10) est concerné.
  • Le niveau de littératie en santé des patients n’est pas connu.

Il n’existe pas de gold standard parmi les protocoles à suivre. Cependant, le protocole de l’étude est cohérent avec les guidelines de références (12).
Actuellement, il n’existe pas d’étude similaire portant sur la même question de recherche, hormis la publication d’un protocole d’études pour lequel les résultats ne sont pas encore publiés (8). Des études similaires pour d’autres types d’arthroplastie (hanche, genoux et épaules) ont démontré des résultats similaires que l’étude de Schick et al. (9) en termes de récupération d’amplitude, de force musculaire, de satisfaction des patients, renforçant ainsi l’intérêt de cette étude. L’étude s’est déroulée aux États-Unis : l’influence des répercussions économiques entre des patients pouvant bénéficier d’une assurance privée versus les interventions publiques est importante en termes d’adhésion à un programme de rééducation. En Belgique, ces facteurs doivent moins intervenir quant à l’aspect financier de la prise en charge, mais il est intéressant de relever les dires des patients qui d’un côté sont rassurés par l’accompagnement d’un kinésithérapeute, et d’un autre côté, sont intéressés de pouvoir assurer leur rééducation au moment le plus opportun pour eux sans devoir compter sur l’aide de leurs proches pour les déplacements. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Recommandation sur les soins à domiciles ou en ambulatoire :
Plus spécifique à la réadaptation fonctionnelle (tous lieux de soins confondus). Le KCE recommande l’utilisation des instruments BelRAI pour évaluer les besoins fonctionnels, médicaux et psychosociaux de chaque patient. Cet instrument peut être une aide à la planification des soins de qualité en ambulatoire ou à domicile (13).
Recommandations suite à une RTSA :
La HAS recommande de proposer l’hospitalisation aux patients après une arthroplastie de l’épaule. Cependant, l’hospitalisation n’est pas à généraliser à tous les patients « en vue de la réalisation des soins de suite et de réadaptation ».
La réhabilitation à domicile après une arthroplastie de l’épaule doit être mise en place selon certaines conditions : le patient répond aux critères de sortie (compréhension des risques et indépendance fonctionnelle par exemple), le retour à domicile est faisable, et il répond aux critères pour l’autorééducation (14). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée et randomisée, présentant quelques limites méthodologiques, montre que le suivi d’un programme de rééducation suite à une arthroplastie inversée de l’épaule peut être réalisé autant en autonomie à domicile qu’en ambulatoire avec des kinésithérapeutes, si et seulement si nous prenons en considération uniquement les gains de degrés d’amplitude, de force et des résultats rapportés par le patient (PROM). 
Les limites méthodologiques tant en termes de validité interne que liées à l’extrapolation des résultats fragilisent la possibilité d’une généralisation de cette approche. D’autres études sont nécessaires.

 

 


Références 

  1. Best M, Aziz K, Wilckens J, et al. Increasing incidence of primary reverse and anatomic total shoulder arthroplasty in the United States. J Shoulder and Elbow Surg 2021;30:1159-66. DOI: 10.1016/j.jse.2020.08.010
  2. Preuss F, Fossum B, Peebles A, et al. Subscapularis repair in reverse total shoulder arthroplasty: a systematic review and descriptive synthesis of cadaveric biomechanical strength outcomes. JSES Rev Rep Tech 2022;30:437-41. DOI: 10.1016/j.xrrt.2022.05.006
  3. Edwards PK, Ebert JR, Joss B, et al. A randomised trial comparing two rehabilitation approaches following reverse total shoulder arthroplasty. Shoulder Elbow 2021;13:557-72. DOI: 10.1177/1758573220937394
  4. Edwards PK, Ebert JR, Littlewood C, et al. Effectiveness of formal physical therapy following total shoulder arthroplasty: a systematic review. Shoulder Elbow 2018;12:136-43. DOI: 10.1177/1758573218812038
  5. Bullock GS, Garrigues GE, Ledbetter L, Kennedy J. A systematic review of proposed rehabilitation guidelines following anatomic and reverse shoulder arthroplasty. J Orthop Sports Phys Ther 2019;49:337-46. DOI: 10.2519/jospt.2019.8616
  6. Sabesan VJ, Dawoud M, Stephens BJ, et al. Patients’ perception of physical therapy after shoulder surgery. JSES Int 2021;6:292-6. DOI: 10.1016/j.jseint.2021.11.014
  7. Franceschetti E, Giovanneti de Sanctis E, Gregori P, et al. Return to sport after reverse total shoulder arthroplasty is highly frequent: a systematic review. J ISAKOS 2021;6:363-6. DOI: 10.1136/jisakos-2020-000581
  8. Kennedy JS, Reinke EK, Friedman LG, et al. Protocol for a multicenter, randomised controlled trial of surgeon-directed home therapy vs. outpatient rehabilitation by physical therapists for reverse total shoulder arthroplasty: the SHORT trial. Arch Physiother 2021;11:28. DOI: 10.1186/s40945-021-00121-2
  9. Schick S, Elphingstone J, Paul K, et al. Home-based physical therapy results in similar outcomes to formal outpatient physical therapy after reverse total shoulder arthroplasty: a randomized controlled trial. J Shoulder Elbow Surg 2023;32:1555-61. DOI: 10.1016/j.jse.2023.03.023
  10. Boudreau S, Boudreau ED, Higgins LD, Wilcox 3rd RB, et. Rehabilitation following reverse total shoulder arthroplasty. J Orthop Sports Phys Ther 2007;37:734-43. DOI: 10.2519/jospt.2007.2562
  11. Simovitch R, Flurin PH, Wright T, et al. Quantifying success after total shoulder arthroplasty: the minimal clinically important difference. J Shoulder Elbow Surg 2018;27:298-305. DOI: 10.1016/j.jse.2017.09.013
  12. Pereira VC, Barreto J, Tomé S, et al. Clinical and functional results of reverse total shoulder arthroplasty and postoperative rehabilitation protocol. Cureus 2022;14:e23322. DOI: 10.7759/cureus.23322
  13. Évaluation des patients en réadaptation fonctionnelle : le KCE recommande l’usage des instruments BelRAI. Bruxelles: KCE. 2016. URL : https://kce.fgov.be/fr/evaluation-des-patients-en-readaptation-fonctionnelle-le-kce-recommande-lusage-des-instruments
  14. Post-operative rehabilitation after rotator cuff tear surgery or shoulder arthroplasty: inpatient or outpatient care? Haute Autorité de Santé 1/04/2008. Updated 20/01/2010. URL : https://www.has-sante.fr/jcms/c_613749/en/post-operative-rehabilitation-after-rotator-cuff-tear-surgery-or-shoulder-arthroplasty-inpatient-or-outpatient-care




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