Analyse


Quelle est l’utilité des surfaces en mousse dans la prévention des escarres ?


21 03 2024

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Shi C, Dumville JC, Cullum N, et al. Foam surfaces for preventing pressure ulcers. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 5. DOI: 10.1002/14651858.CD013621.pub2


Question clinique
Quel est l’effet des surfaces en mousse (lits, matelas et surmatelas), par comparaison avec d’autres surfaces de soutien, sur l’incidence des escarres, pour toutes les populations et dans tous les milieux de soins ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que les surfaces en mousse pourraient augmenter le risque de développer des escarres par comparaison avec les surfaces réactives et dynamiques contenant de l’air. Cette revue avec méta-analyse présente un certain nombre de lacunes méthodologiques importantes, telles qu’une grande hétérogénéité des populations et des interventions entre les études incluses. Les études originales sont également de petites études et présentent généralement un risque de biais indéterminé à élevé.


Contexte

Les escarres sont des lésions de la peau et/ou des tissus mous sous-jacents qui sont dues à une pression continue, un cisaillement ou un frottement (1). Pour prévenir la formation d’escarres, on a souvent recours à des surfaces conçues dans ce but. En particulier des systèmes de lit intégrés, des matelas et des surmatelas. Il existe deux types de redistribution de la pression : la redistribution mécanique active (par exemple, avec les matelas à air dynamique) et la redistribution passive, réactive, la surface s’adaptant au poids et à la forme du corps, redistribuant la pression sur une grande surface corporelle, augmentant l’apport sanguin et réduisant la déformation de la peau et des tissus mous sous-jacents. Les matériaux utilisés pour la fabrication de ces surfaces peuvent être de la mousse, du gel, des fibres, de la laine de mouton, de l’air ou de l’eau. Minerva a déjà traité de la prévention des escarres suite à la discussion d’une synthèse méthodique portant sur diverses interventions (redistribution de la pression sur les matelas et les oreillers, changements de position, entraînement à la continence, régime alimentaire) (2,3) ; notre conclusion était que ces interventions de prévention des escarres étaient peu étayées. 

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse (4).

 

Sources consultées 

  • le registre spécialisé Cochrane sur les plaies, le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), Ovid MEDLINE, Ovid Embase, EBSCO CINAHL Plus ; jusqu’au 14 novembre 2019
  • ClinicalTrials.gov, la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Plateform, ICTRP) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; jusqu’au 20 novembre 2019
  • les listes de références des études incluses et des synthèses méthodiques et méta-analyses pertinentes et des rapports d’évaluation des technologies de la santé 
  • pas de restriction quant à la langue de publication, à la date de publication et à l’environnement de soins.

 

Études sélectionnées 

  • critères inclusion : études randomisées contrôlées (RCTs), publiées et non publiées, y compris des études à plusieurs bras, des études avec randomisation en grappes, des études croisées, qui examinaient l’effet sur l’incidence des escarres, de lits en mousse, de matelas en mousse ou de surmatelas en mousse comparés entre eux et comparés avec des surfaces sans mousse (par exemple, changement de position, surfaces contenant de l’air (lits, matelas ou surmatelas), autres surfaces telles que du gel réactif, des fibres réactives, des fibres de silicone, des surfaces contenant de l’eau…) 
  • critères d’exclusion : études quasi-randomisées
  • finalement, inclusion de 29 études, publiées entre 1986 et 2018 et menées en Belgique (N = 2), au Brésil (N = 1), en Finlande (N = 1), en France (N = 1), en Allemagne (N = 1), aux Pays-Bas (N = 4), en Suède (N = 1), au Royaume-Uni (N = 9), aux États-Unis (N = 7), en Corée du Sud (N = 1) et en Turquie (N = 1) ; 6 études multicentriques ; la durée médiane de suivi était de 14,5 jours (allant de 5 jours à 12 mois).

 

Population étudiée 

  • au total 9566 participants (médiane 101 (de 40 à 2029) participants par étude), âgés en moyenne de 76 ans (sur la base de 25 études), dont 43,4% d’hommes et 56,6% de femmes (sur la base de 24 études)
  • 8601 participants (N = 25) présentaient un risque de nouvelle escarre d’après l’échelle de Waterlow, Norton ou Braden ; 5512 participants (N = 21) n’avaient pas d’escarre en début d’étude ; 3089 participants (N = 4) présentaient une lésion superficielle ; 148 participants (N = 2) présentaient une lésion sévère avec perte de toute l’épaisseur de la peau, et, dans 2 études, aucune information n’était communiquée concernant l’état de la peau 
  • les participants ont été recrutés dans différents lieux de soins : hôpitaux (N = 16), unités de soins intensifs (N = 3), quartiers opératoires (N = 2), établissements de soins communautaires et établissements de soins de longue durée (N = 6) ou mélange d’établissements de deuxième lige et d’établissements communautaires (N = 2).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement principaux : incidence des escarres (nombre de participants développant une nouvelle escarre et délai d’apparition de la nouvelle escarre)
  • critères de jugement secondaires :
    • confort pour le patient
    • tous les effets indésirables signalés
    • qualité de vie liée à la santé
    • rentabilité
  • analyse suivant le modèle à effets aléatoires.

 

Résultats

  • résultats des critères de jugement primaires :
    • le nombre de nouvelles escarres était plus important avec les surfaces en mousse qu’avec les matelas à air réactifs (RR de 2,40 avec IC à 95% de 1,04 à 5,54 ; I² = 25% ; N = 4, n = 229 ; GRADE faible)
    • aucune différence statistiquement significative entre les surfaces en mousse et les matelas à air dynamiques (RR de 1,59 avec IC à 95% de 0,86 à 2,95 ; I² = 63% ; N = 4, n = 2 247 ; GRADE faible), les surfaces réactives en fibres (N = 1, n = 68 ; GRADE très faible), les surfaces réactives en gel (N = 1, n = 135 ; GRADE très faible), les surfaces réactives en gel et mousse (N = 1, n = 91 ; GRADE très faible), ni entre les surfaces en mousse comparées les unes aux autres (N = 6, n = 733 ; GRADE très faible) 
  • résultats des critères de jugement secondaires : 
    • pour la plupart des critères de jugement secondaires, il n’y avait pas de données disponibles ou elles étaient insuffisantes 
    • incertitudes concernant la différence quant au confort entre les surfaces en mousse et les matelas à air dynamiques (N = 1, n = 76 ; GRADE très faible) et les matelas à air réactifs (N = 1, n = 72 ; GRADE très faible) et entre les surfaces en mousse comparées les unes aux autres (N = 4, n = 669 ; GRADE très faible)
    • incertitudes concernant la différence quant aux effets indésirables entre les surfaces en mousse et les matelas à air dynamiques (N = 3, n = 2181 ; GRADE très faible) et les matelas à air réactifs (N = 1, n = 72 ; GRADE très faible)
    • incertitudes concernant la différence quant à la qualité de vie entre les surfaces en mousse et les matelas à air dynamiques (N = 1, n = 267 ; GRADE faible)
    • les matelas à air dynamiques étaient peut-être plus rentables que les pansements en mousse (N = 1, n = 2029 ; GRADE modéré).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les données probantes actuelles indiquent une incertitude quant aux différences dans l’incidence des escarres, le confort du patient, les événements indésirables et la qualité de vie liée à la santé entre les surfaces en mousse et les autres surfaces (surfaces réactives en fibres, surfaces réactives en gel, surfaces réactives en mousse et en gel, surfaces réactives contenant de l’eau). L’incidence des escarres pourrait être plus importante avec les surfaces en mousse, par comparaison avec les matelas à air dynamique et les matelas à air réactif. Pour la prévention de nouvelles escarres, les matelas à air dynamique sont probablement plus rentables que les surfaces en mousse.

 

Financement de l’étude

Financement par des fonds provenant d'universités, d'établissements d'enseignement supérieur et d'instituts de recherche :  Division of Nursing, Midwifery and Social Work, School of Health Sciences, Université de Manchester (Royaume-Uni) ; National Institute for Health Research (Royaume-Uni); NIHR Manchester Biomedical Research Centre (Royaume-Uni) ; National Institute for Health Research Applied Research Collaboration, Greater Manchester (Royaume-Uni).

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Quatre auteurs ont reçu des fonds de recherche du NIHR qui a financé cette étude. Le premier auteur a également reçu un soutien de la Tissue Viability Society indépendamment de cette étude ; le cinquième auteur n'a déclaré aucun conflit d'intérêt.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été menée conformément à la méthodologie du manuel Cochrane pour les évaluations systématiques des interventions (5). Le risque de biais des études sélectionnées a été évalué à l’aide de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais. Dans l’ensemble, les études retenues présentaient un risque de biais de sélection faible ou indéterminé. La randomisation a été effectuée correctement dans la moitié des études, tandis que des informations utiles manquaient dans les autres études. Dans 75% des études, des informations manquaient concernant la préservation du secret d’attribution, tandis que, dans 3 études, il n’y avait pas de secret d’attribution. Pour un tiers des études, le risque de biais de performance était élevé parce que le personnel et les participants n’étaient pas en aveugle et le risque de biais de détection était élevé parce que l’évaluation de l’effet n’avait pas été effectuée en aveugle. Cependant, comme la mise en aveugle du personnel et des participants n’est souvent pas possible avec ce type d’intervention, cela n’a pas été pris en compte lors de la détermination du GRADE. Le risque de biais d’attrition et de biais de déclaration était faible dans plus de la moitié des études. En raison du petit nombre d’études, il n’a pas été possible de réaliser des funnel plots. Un biais de publication ne peut donc pas être exclu. En raison d’un trop petit nombre d’études, aucune des analyses de sous-groupe prévues n’a pu être réalisée malgré l’importance de l’hétérogénéité clinique, en termes de contexte de soins, d’état de la peau et de suivi et l’importance de l’hétérogénéité statistique, pour les deux méta-analyses du critère de jugement principal. 

 

Évaluation des résultats

Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyse concluent que l’incidence des escarres pourrait être plus élevée avec les surfaces en mousse qu’avec les matelas à air dynamique et les matelas à air réactif. Bien que les résultats par rapport aux matelas à air dynamiques ne soient pas statistiquement significatifs, une analyse de sensibilité planifiée avec un modèle à effets fixes a montré une augmentation statistiquement significative du nombre d’escarres avec des surfaces en mousse par comparaison avec des matelas à air dynamique. À chaque fois, la certitude des preuves a été estimée faible pour le critère de jugement principal en raison d’un risque élevé de biais pour un domaine autre que le biais de performance (voir ci-dessus) et en raison de l’imprécision. La plupart des études retenues étaient de petite études (moins de 100 participants). 
L’extrapolation de ces résultats est compliquée du fait de l’importante hétérogénéité clinique en termes de population, de contexte de soins et d’interventions et de contrôles utilisés. Les études ont examiné un large éventail de types de surfaces en mousse. Sur les 29 études, seulement 14 décrivaient les caractéristiques des surfaces en mousse utilisées. Il n’est pas non plus précisé si, outre les surfaces d’appui, d’autres mesures préventives ont été prises (telles que soins de la peau, changements de position, kinésithérapie). Presque tous les patients inclus dans les études étaient des patients présentant un risque (élevé) de développer des escarres, risque qui a été mesuré avec une échelle validée. Il est donc probable que les résultats sont surtout extrapolables aux patients présentant un risque élevé de développer des escarres. Bien que la revue porte sur la prévention, les auteurs ont également retenu 6 études ayant inclus des patients avec des escarres déjà présentes, ce qui peut avoir influencé le résultat. Les études incluses ont été publiées entre 1986 et 2018, mais cette synthèse méthodique n’a pas mis en place de différenciation spécifique en rapport avec l’évolution des surfaces en mousse durant cette période. Il y avait également une grande diversité en matière de durée de suivi (de 5 jours à 12 mois), avec une médiane de 15,5 jours. Du fait de la brièveté de ce suivi, il se peut que le nombre d’escarres ait été sous-estimé.  

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique du KCE (6) distingue la prévention et le traitement des escarres. Pour la prévention des escarres, KCE recommande d’allonger les patients atteints d’escarres sur un support (matelas, couvre-lit, lit) correspondant à la catégorie de risque. Une surface d’appui appropriée doit donc être sélectionnée en fonction du groupe à risque. Sont recommandés pour les patients à faible risque, des matelas standards en polyuréthane (mousse) (matelas dont la surface est constituée d’un ou deux types de mousse différents, d’une densité moyenne variant entre 35 et 65 kg/m³). Des matelas en mousse de haute qualité sont recommandés pour les patients à risque modéré et pour certains patients à risque élevé. En outre, ce guide recommande un schéma de changements de position toutes les deux heures. Pour le traitement des escarres, il recommande des soins des plaies, des schémas de positionnement et de changements de position, des soins de la peau et des conseils nutritionnels. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique montre que les surfaces en mousse pourraient augmenter le risque de développer des escarres par comparaison avec les surfaces réactives et dynamiques contenant de l’air. Cette revue avec méta-analyse présente un certain nombre de lacunes méthodologiques importantes, telles qu’une grande hétérogénéité des populations et des interventions entre les études incluses. Les études originales sont également de petites études et présentent généralement un risque de biais indéterminé à élevé.

 

 


Références 

  1. Beeckman D, Matheï C, Van Lancker A, et al. Recommandations nationales pour le traitement des escarres de décubitus – Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles. Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé (KCE). 2013. KCE Reports 203B. DOI: 10.57598/R203BS
  2. De Cort P, Paquay L. Prévention des escarres de décubitus. MinervaF 2008;7(1):12-3
  3. Reddy M, Gill SS, Rochon PA. Preventing pressure ulcers: a systematic review. JAMA 2006;296:974-84. DOI: 10.1001/jama.296.8.974
  4. Shi C, Dumville JC, Cullum N, et al. Foam surfaces for preventing pressure ulcers. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 5. DOI: 10.1002/14651858.CD013621.pub2
  5. Higgins J, Thomas J. Cochrane handbook for systematic reviews of interventions. Version 6.4, 2023. Available from: https://training.cochrane.org/handbook/current
  6. Beeckman D, Matheï C, Van Lancker A, et al. Recommandations nationales pour la prévention des escarres de décubitus. KCE: 2013. Ebpracticenet. 

 




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