Analyse


Un programme d’exercices intensifs ou légers pour soulager l’arthrose du genou ?


17 04 2024

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Torstensen TA, Østerås H, LoMartire R, et al. High-versus low-dose Exercise therapy for knee osteoarthritis: a randomized controlled multicenter trial. Ann Intern Med 2023;176:154-65. DOI 10.7326/M22-2348


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un programme d’exercices intenses comportant des séances 70 à 90 minutes versus un programme d’exercices légers comportant des séances de 20 à 30 minutes en cas d’arthrose du genou avec douleur depuis au moins 3 mois et des limitations fonctionnelles en termes de diminution de la douleur et de récupération des capacités fonctionnelles ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée de supériorité réalisée en Norvège et en Suède, en soins ambulatoires, de bonne qualité méthodologique malgré quelques limites, n’apporte pas d’arguments en faveur de la supériorité d’un programme d’exercices intensifs sur un programme plus léger en termes de diminution de la douleur ou de récupération des capacités fonctionnelles chez des patients présentant une arthrose du genou douloureuse depuis au moins 3 mois et limitant leurs fonctions. Toutefois, les résultats montrent une amélioration significative des capacités sportives et des activités de loisir, mais ce n’est qu’un domaine d’un score plus global, et l’effet attendu serait au mieux léger.


Contexte

L’arthrose atteint plus de 500 millions de personnes dans le monde avec des répercussions possibles en termes de douleur, limitations fonctionnelles et impact sur les activités quotidiennes, sociales et professionnelles (1,2). L’arthrose du genou touche 365 millions de personnes (2).
Comme cela a été rappelé récemment dans Minerva à l’occasion d’un article sur la viscosupplémentation (3,4), le traitement conservateur (5), c’est-à-dire non chirurgical, de la gonarthrose fait appel à des moyens physiques (rééducation, semelles, orthèses, contrôle du poids, stimulations transcutanées et autres), à des prescriptions médicamenteuses par voie orale (6,7) (paracétamol, parfois associés avec  prudence à des anti-inflammatoires non stéroïdiens voire au tramadol, glucosamine), à l’application de topiques (AINS et capsaïcine) (8) et à des infiltrations intra-articulaires (6,9). Dans notre pays, d’important travaux de biomécanique ont évalué le rôle du hauban externe dans la genèse et la décompensation de l’arthrose varisante du genou. Le chirurgien orthopédique Paul Blaimont en particulier a justifié cliniquement et théoriquement l’efficacité de la rééducation du hauban musculaire externe (10,11) non seulement comme traitement mais également comme prévention de la dégradation arthrosique. La rééducation est un traitement reconnu et recommandé de l’arthrose du genou (9). Des publications récentes ont recommandé des programmes de revalidation très intenses dont l’efficacité a été soulignée (12,13). En Norvège, les programmes de revalidation (MET = Medical exercice therapy) sont pratiqués par le patient sous la supervision d’un kinésithérapeute. L’étude analysée ci-après compare deux types de programme de revalidation dans le traitement de l’arthrose du genou (14).

 

 

Résumé 

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion :
    • patients souffrant d’une arthrose du genou douloureuse depuis au moins 3 mois et limitant leur fonction 
  • critères d’exclusion :
    • administration d’un traitement physique pendant les 3 mois précédents 
    • des antécédents traumatiques majeurs 
    • présence de comorbidités médicales empêchant la pratique d’exercices
  • au total, 236 patients pendant une période de 4 ans (2013-2017) ont été examinés ; 189 présentant une arthrose du genou de grade 1 à 4 selon les critère Kellgren et Lawrence (15) ont été sélectionnés ; les patients étaient âgés de 45 à 85 ans. 

 

Protocole d’étude

Etude multicentrique randomisée en grappes selon l’âge et le lieu de soins, contrôlée, de supériorité réalisée en Suède et en Norvège, en soins ambulatoires  

    • intervention : les patients effectuent 3 séances par semaine pendant une période de 12 semaines sous la supervision d’un kinésithérapeute ; les traitements physiques ont été adaptés en fonction des situations particulières avec des activités aérobies (cyclisme sur ergomètre), des activités multisegmentales, et des activités directement centrées sur l’articulation concernée ; la thérapie intensive consistait à effectuer 11 exercices pendant une durée de 70 à 90 minutes pendant 3 mois
    • comparateur : traitement classique consistant à effectuer 5 exercices légers pendant une durée de 20 à 30 minutes pendant 3 mois
    • suivi : évolution clinique mesurée 2 fois par semaine pendant les 3 mois de la période de traitement et ensuite à 6 mois et à 12 mois après le traitement
  • au global, 98 patients ont été inclus dans le groupe exercices intensifs et 91 patients dans le groupe exercices légers.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : différence moyenne du score KOOS (« the Knee Injury and Ostéoarthritis Outcome Score » à 3 mois ; la différence minimale cliniquement relevante est prédéfinie à 10 points
  • critère de jugement secondaire : 
    • évolution de la douleur sur une échelle VAS ; la différence minimale cliniquement relevante est prédéfinie à 20 points ou 30%
    • qualité de vie liée au soin (EQ-5D-index et EQ-5D-VAS).

 

Résultats

  • différence moyenne (DM) du score KOOS : les deux groupes ont été améliorés mais il n’a pas été noté de bénéfice particulier dans le groupe soumis à un programme intensif 
  • critères de jugement secondaire : pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes d’exercices, si ce n’est en ce qui concerne la capacité sportive et de loisir qui était meilleure à 3 mois (DM de 8 points avec IC à 95% de 2 à 14 points ; d de Cohen = 0,31) et à 6 mois et un léger bénéfice sur la qualité de vie à 6 mois (DM de 11 points avec IC à 95% de 4 à 17 points ; d de Cohen = 0,44 ; p = 0,004) mais plus à 12 mois.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette étude n’apportent pas d’arguments en faveur de la supériorité d’un programme intensif sur un programme plus léger si ce n’est pour ce qui concerne la capacité sportive et pour les activités de loisir.

 

Financement de l’étude

Swedish Rheumatic Fund.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs ont déclaré qu’ils n’ont pas de conflits d’intérêt. 

 

 


Discussion

Evaluation de la méthodologie

Le calcul de la puissance est clairement mentionné. Les auteurs avaient prévu d’inclure 197 patients tout en prévoyant 20% d’attrition. 189 patient ont finalement été inclus et 23% des patients ont finalement été perdus de vue, dont 12 patients durant la période d’exercices intensifs versus 4 du groupe comparaison. Cette étude n’avait donc pas atteint ses objectifs en termes de puissance.
La séquence de randomisation était centralisée, par grappes selon l’âge (45 à 64 ans et 65 à 84 ans) et les régions de soins. L’allocation a été effectuée par un assistant chercheur dans les centres de soins impliqués dans le recrutement des patients mais pas dans la prise en charge. Ceci explique que les patients aient pu être maintenus en aveugle. L’insu des statisticiens a également pu être assuré. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont disponibles en annexe. Les interventions sont clairement détaillées et expliquées à l’aide d’une iconographie adaptée. Les 5 exercices effectués par le groupe comparaison sont identiques à 5 des 11 exercices effectués par le groupe intervention, mais leur intensité est moindre (par exemple : 3 x 10 versus 3 x 30). Le programme d’exercices intensifs est cohérent et ambitieux, s’attachant à favoriser les durées des exercices proposés, les fréquences et le temps de prise en charge. L’adhésion a également été calculée selon une méthodologie correctement décrite. Les différences minimales à atteindre pour valider une pertinence clinique sont bien prédéfinies. Les justifications sont disponibles dans la présentation complète du protocole. Les effets indésirables ne sont pas repris comme critères de jugement mais le protocole précise que les kinésithérapeutes devaient les relever pendant ou après les séances d’exercices. 

 

Evaluation des résultats

Les programmes des traitements physiques adaptés aux patients qui souffrent d’arthrose du genou sont relativement peu codifiés, si ce n’est la rééducation du hauban externe développée en Belgique (10,11) pour le traitement de la situation particulière qualifiée de « pré-arthrose » du genou : c’est le début de la décompensation du genou chez le patient ayant un morphotype en varus et présentant une insuffisance musculaire. Il faut bien prendre en compte que cette étude concerne les patients présentant une arthrose du genou symptomatique en termes de douleur et/ou en termes de limitations fonctionnelles, pris en charge par des kinésithérapeutes en soins ambulatoires.  
S’il était pertinent d’évaluer 2 programmes d’exercices, d’intensités différentes, adaptés à l’arthrose du genou, on regrette l’absence d’un bras placebo. L’appréciation du gain clinique en est toujours plus difficile. L’utilisation du score KOOS est pertinente car celui-ci couvre 5 domaines : la douleur, autres symptômes, capacités fonctionnelles de la vie quotidienne, capacités fonctionnelles en sport et activités de loisir. Au global, ce sont les éléments cliniques importants pour le patient. Les différences observées aux différents scores ne sont pas statistiquement significatives et même si les auteurs s’attachent à relever que les scores relatifs aux capacités sportives et de loisirs sont statistiquement significatifs, ils n’atteignent pas la différence minimale prédéfinie pour parler de différence cliniquement pertinente. Ceci est confirmé par un d de Cohen indiquant un effet petit à négligeable. Les auteurs mentionnent dans leur discussion que des analyses supplémentaires des résultats obtenus mettraient un possible gain à long terme des exercices intensifs pour les patients qui doivent reprendre une vie professionnelle et active. Ceci devrait bien entendu faire l’objet d’études ultérieures. Cette étude n’apporte pas de ligne de conduite nouvelle pour le clinicien. Les activités sportives et de loisirs pourraient peut-être bénéficier d’un programme d’exercices intensifs, mais il y aura lieu d’en expliquer les limites aux patients. En tant que praticien, nous eussions espéré une ventilation plus précise des pathologies permettant d’orienter plus spécifiquement le traitement. Finalement, cette étude conforte le clinicien qui prescrit un traitement de kinésithérapie selon le programme classique, soit trois séances d’une demi-heure par semaine.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

EULAR (1) et l’OMS (2) rappelle que la prise en charge de l’arthrose du genou nécessite une prise en charge individualisée basée sur un contrôle du poids corporel et les exercices. Le NHG (6) recommande une adaptation des activités quotidiennes associée à une activité physique régulière et suffisamment intensive d’au moins trente minutes par jour d’intensité modérée. Le NHG propose que ces exercices soient accompagnés par un kinésithérapeute si le patient est incapable de réaliser seul les exercices. La HAS (9) rappelle que toutes les recommandations nationales et internationales font de l’activité physique adaptée le traitement de première intention dans l’arthrose périphérique. Elles s’appuient sur plusieurs essais randomisés contrôlés et sur des méta-analyses qui ont montré l’efficacité des exercices sur la douleur, les limitations d’activité et la qualité de vie, et leur innocuité avec un haut niveau de preuve et de consensus entre experts.

 

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée de supériorité réalisée en Norvège et en Suède, en soins ambulatoires, de bonne qualité méthodologique malgré quelques limites, n’apporte pas d’arguments en faveur de la supériorité d’un programme d’exercices intensifs sur un programme plus léger en termes de diminution de la douleur ou de récupération des capacités fonctionnelles chez des patients présentant une arthrose du genou douloureuse depuis au moins 3 mois et limitant leurs fonctions. Toutefois, les résultats montrent une amélioration significative des capacités sportives et des activités de loisir, mais ce n’est qu’un domaine d’un score plus global, et l’effet attendu serait au mieux léger.

 

 


Références 

  1. EULAR. Updated: hip and knee osteoarthritis. 22/01/2024. Disponible sur : https://www.eular.org/web/static/lib/pdfjs/web/viewer.html?file=https://www.eular.org/document/download/744/f9ab1751-8888-4e04-8c8d-20c6894d02dd/710 
  2. Organisation mondiale de la santé. Arthrose. OMS, 14/07/2023.
  3. Rombouts JJ. Quelle est l’efficacité de la viscosupplémentation dans la prise en charge de la gonarthrose ? Minerva Analyse 16/06/2023
  4. Pereira TV, Jüni P, Saadat P, et al. Viscosupplementation for knee osteoarthritis: systematic review and meta-analysis. BMJ 2022;378:e069722. DOI: 10.1136/bmj-2022-069722
  5. Lim WB, Al-Dadah O. Conservative treatment of knee osteoarthritis: a review of the literature. World J Orthop 2022;13:212-29. DOI: 10.5312/wjo.v13.i3.212
  6. Belo JN, Bierma-Zeinstra SMA, Kuijpers T, et al. Behandelingen bij artrose in de knie. NHG, 2016. Laatste aanpassing: september 2020.
  7. Jordan KM, Arden NK, Doherty M, et al. EULAR Recommandations 2002 an evidence based approach to the management of knee osteoarthritis: Report of a Task Force of the Standing Committee for International Clinical Studies Including Therapeutic Trials (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2003;62:1145-55. DOI: 10.1136/ard.2003.011742
  8. Nelson AE, Allen KD, Golightly YM, et al. A systematic review of recommendations and guidelines for the management of osteoarthritis: The chronic osteoarthritis management initiative of the U.S. bone and joint initiative. Semin Arthritis Rheum 2014;43:701-12. DOI: 10.1016/j.semarthrit.2013.11.012
  9. Haute Autorité de Santé. Prescription d’activité physique. Arthroses périphériques. Fiche - Recommander les bonnes pratiques. HAS, 13/07/2022. 
  10. Blaimont P, Burnotte J, Baillon JM, Duby P. Contribution biomécanique à l’étude des conditions d’équilibre dans la genou normal et pathologique. Application au traitement de l’arthrose varisante - Notes préliminaires. Acta Orthop Belg 1971;37:573-92. 
  11. Blaimont P, Burnotte J, Halleux P. La préarthrose du genou. Pathogénie biomécanique et traitement prophylactique. Acta Orthop Belg 1975;41:177-200. 
  12. Golightly YM, Smith‐Ryan AE, Blue MN, et al. High‐intensity interval training for knee osteoarthritis: a pilot study. ACR Open Rheumatol 2021;3:723-32. DOI: 10.1002/acr2.11318
  13. Østerås H, Torstensen TA, Østerås B. High-dosage medical exercise therapy in patients with long-term subacromial shoulder pain: a randomized controlled trial. Physiother Res Int 2010;15:232-42. DOI: 10.1002/pri.468
  14. Torstensen TA, Østerås H, LoMartire R, et al. High-versus low-dose Exercise therapy for knee osteoarthritis: a randomized controlled multicenter trial.  Ann Intern Med 2023;176:154-65. DOI: 10.7326/M22-2348
  15. Kelgren JH, Lawrence JS. Radiological assessment of osteoarthrosis. Ann Rheum Dis 1957;16:494-502. DOI: 10.1136/ard.16.4.494

 


Auteurs

Rombouts J.J.
professeur émérite, UCL
COI :

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Glossaire

Code


M17
L90


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