Analyse


Quelle est l’efficacité de la viscosupplémentation dans la prise en charge de la gonarthrose ?


16 06 2023

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Pereira TV, Jüni P, Saadat P, et al. Viscosupplementation for knee osteoarthritis: systematic review and meta-analysis. BMJ 2022;378:e069722. DOI: 10.1136/bmj-2022-069722


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la viscosupplémentation versus placebo ou absence d’intervention chez les patients souffrant de gonarthrose ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique apporte des preuves supplémentaires que la viscosupplémentation dans la prise en charge de la gonarthrose ne présente pas d’intérêt clinique significatif et expose à un risque d’effets indésirables graves.


Contexte 

Le traitement conservateur, c’est-à-dire non chirurgical, de la gonarthrose fait appel à des moyens physiques (rééducation, semelles, orthèses, contrôle du poids, stimulations trans cutanées etc…), à des prescriptions médicamenteuses par voie orale (analgésiques parfois associés avec prudence à des opioïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens, suppléments alimentaires e.a. la glucosamine), à l’application de topiques (comme la capsaïcine ou les gels anti-inflammatoires) et à des infiltrations intra-articulaires (1). Les infiltrations intra-articulaires sont largement utilisées. Historiquement, ce sont les infiltrations d’un dérivé corticostéroïdien qui ont été pratiquées d’abord. Depuis une cinquantaine d’année, l’acide hyaluronique est entré en concurrence avec les stéroïdes. Les corticostéroïdes ont principalement un effet antiinflammatoire tandis que l’acide hyaluronique est utilisé sur base de ses propriétés de chondro-protection voire chondro-réparation. L’injection intra-articulaire d’un acide hyaluronique de synthèse constitue ce qu’il est convenu d’appeler la viscosupplémentation. L’efficacité des injections intra-articulaires a fait l’objet de nombreuses évaluations (2-4) qu’il s’agisse des corticostéroïdes (3) ou de l’acide hyaluronique (4). Certaines études ont même comparé ces deux traitements sur l’évolution de l’arthrose (5). Une étude rétrospective française s’est attachée à démontrer que le traitement par viscosupplémentation retardait le moment de l’arthroplastie totale du genou arthrosique (6). En 2003, nous avions déjà analysé une étude randomisée en double aveugle, sponsorisée par l’industrie pharmaceutique, qui concluait que des infiltrations par acide hyaluronique étaient aussi efficaces que des AINS sur la douleur au repos. Pour la douleur liée au mouvement et pour les capacités fonctionnelles, l'acide hyaluronique semblait supérieur au placebo ou à une monothérapie par AINS. Lors de cette analyse, nous avions été circonspects quant aux résultats de cette RCT, qui contrastait avec les autres études (7,8). En 2013, nous avons rapporté les résultats d’une méta-analyse qui incluait également des données non publiées. Cette étude montrait un effet antalgique et fonctionnel limité, au prix d’effets indésirables graves (9).

 

 

Résumé 

 

Méthodologie

Méta-analyse des études randomisées ou quasi-randomisées (10).

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE et la COCHRANE (Central) jusque septembre 2021, sans restriction de langue
  • les auteurs ont également eu accès à des expérimentations non publiées (littérature grise).

 

Etudes sélectionnées

  • études comparant la viscosupplémentation à un placebo ou à une absence d’intervention 
  • critères d’inclusion : 
    • utilisation de n’importe quelle préparation d’acide hyaluronique ou dérivé d’acide hyaluronique)
    • comparaison avec de l’acide hyaluronique ou un dérivé d’acide hyaluronique versus l’absence d’intervention ou l’utilisation d’un placebo (solution saline, acide hyaluronique en quantité négligeable (< 1% de la concentration active) ; si l’essai comparait la viscosupplémentation associée à un autre traitement versus ce traitement seul, le comparateur était considéré comme une absence d’intervention
    • publications rapportant au moins un critère de jugement pertinent (douleur, bénéfice fonctionnel, effets secondaires significatifs)
    • diagnostic d’arthrose de genou cliniquement ou radiologiquement confirmé chez au moins 75% des participants
  • critères d’exclusion : 
  • comparaison avec un groupe contrôle actif 
  • absence de données rapportées sur les critères de jugements réputés pertinents. 

 

Population étudiée

  • 21 163 patients souffrant de gonarthrose avec un âge médian de 61 ans (écart interquartile 58-64) et une médiane de 62 % de femmes (écart interquartile 54-71) ; l’âge moyen des patients dans les études versus placebo est de 61 ans, dont 59% de femmes. 

 

Mesure des résultats 

  • les auteurs se sont concentrés sur les études versus placebo pour évaluer les critères de jugement
  • critère de jugement primaire : intensité de la douleur, exprimée sous forme de différence moyenne standardisée
  • critères de jugement secondaires : effets indésirables (définis comme une admission à l’hôpital, séjour hospitalier devant être prolongé, handicap persistant ou majeur, anomalies congénitales, événements engageant le pronostic vital ou le décès) et la fonction ; les différences sont exprimées sous forme de différence moyenne standardisée
  • pour ces critères, les auteurs définissent comme seuil de pertinence clinique une différence moyenne standardisée minimale de -0,37 (en faveur de la viscosupplémentation).

 

Résultats 

  • critère de jugement primaire : 24 études versus placebo (8997 patients randomisés) ont montré une faible réduction de l’intensité de la douleur versus placebo (SMD de -0,08 avec IC à 95% de -0,15 à -0,02)
  • critères de jugement secondaires : 
    • sécurité : 15 études versus placebo (6462 patients randomisés) ont montré que la viscosupplémentation était associée à un risque statistiquement significatif d’effets indésirables (risque relatif de 1,49 avec IC à 95% de 1,12 à 1,98 ; p=0,003, 3,7% versus 2,5%)
    • fonction : 19 études versus placebo (6307 patients randomisés) ont montré une amélioration fonctionnelle dans le groupe viscosupplémentation située sous le seuil de pertinence clinique (SMD de -0,11 avec IC à 95% de -0,18 à -0,05 ; p=0,001)
  • à noter également que, au contraire des essais non sponsorisés, les essais sponsorisés par l’industrie pharmaceutique ont tendance à montrer un effet bénéfique de la viscosupplémentation statistiquement significatif.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs rapportent qu’il y a des preuves suffisamment solides pour affirmer que la viscosupplémentation permet une légère réduction de la douleur liée à l’arthrose du genou en comparaison avec le placebo mais que cette différence est plus que minimale sur le plan clinique. Ils insistent sur le fait que risque d’effets secondaires significatifs est légèrement supérieur dans le groupe viscosupplémentation que dans le groupe placebo. Les auteurs concluent que leur étude ne supporte pas l’usage large de la viscosupplémentation dans le traitement de l’arthrose du genou.

 

Financement de l’étude

Financement privé de l’Arthritis Society (fondation contre les maladies articulaires) et de la St Michael’s Hospital Foundation et financement public via la Canada Research Chairs Programme. 

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs ne signalent pas de conflits d’intérêts relatifs à ce travail autres que les financements privés et publics susmentionnés. 

 

Discussion 

Évaluation de la méthodologie 
Cette revue systématique et méta-analyse est de bonne qualité méthodologique. Le protocole est clairement décrit. La recherche a porté sur au moins 3 bases de données et la littérature grise a été explorée afin de mettre en évidence les essais non publiés. Les critères d’inclusion sont larges mais pertinents. A noter cependant, une certaine confusion dans les critères d’exclusion qui n’apparaissent pas clairement, y compris dans les annexes. Les essais avec traitements actifs sont mentionnés comme exclus, mais en parallèle, les auteurs indiquent dans les annexes que, lorsqu’un essai compare la viscosupplémentation associée à un autre traitement versus cet autre traitement seul, il est classé dans les études versus absence d’intervention. Cela laisse supposer que des études versus traitement actif ont tout de même été retenues. Les seuils de pertinence clinique ont été définis préalablement. Le financement de l’étude a été en partie réalisé par des associations privées partenaires de firmes pharmaceutiques ; les auteurs affirment que les sponsors n’ont cependant exercé aucune influence sur les résultats. Ceux-ci étant en effet en défaveur de la viscosupplémentation, nous avons toutes raisons de le croire. 
L’article analysé totalise 13 pages et de nombreuses annexes. C’est un travail considérable basé sur un ensemble assez inhomogène de 169 études dont certaines ont été supportées ou menées par l’industrie pharmaceutique. La grande faiblesse méthodologique est lié au caractère hétérogène des études en ce qui concerne la nature et le support de l’acide hyaluronique injecté.

 

Évaluation des résultats

Les résultats ne font que confirmer et renforcer ceux d’une précédente méta-analyse déjà rapportée dans Minerva (8,9) qui a démontré un effet clinique léger mais non significatif. Les auteurs retiennent que depuis 2009, les bénéfices de la viscosupplémentation (en matière de réduction de la douleur et l’amélioration de la fonction) n’ont pas été démontrés comme statistiquement significatifs. Ils s’étonnent qu’un grand nombre d’études continuent à être réalisées malgré cette évidence. Ils soulignent que les études récentes, dont beaucoup n’ont pas été suivies de publication dans des revues référencées, concernait la recherche de variantes pharmacologiques dont on pouvait espérer un effet supérieur. Plusieurs de ces études n’ont pas été finalisées mais l’inclusion de 12000 patients entre 2009 et 2021 pose question sur le plan éthique. Malgré ces affirmations, un groupe de l’UCL publie ce mois dans une revue (11) destinée à des médecins de toutes spécialités que « l’efficacité de l’acide hyaluronique a été largement démontrée dans la littérature ; il permet de diminuer les antalgiques-et de considérablement retarder la chirurgie (6). A part des réactions locales transitoires, l’inconvénient est le long délai d’action (4 à 8 semaines) ainsi que le fait que l’injection doit être exécutée par un professionnel de la santé (idéalement 2 à 4 fois) ce qui augmente le coût de cette procédure (sur ce point, ils citent Bruyere (12) et son équipe de l’Université de Liège). » Ils poursuivent en écrivant fort justement que « l’injection d’acide hyaluronique n’est pas recommandée dans la phase inflammatoire aigüe ; ce sont alors les corticostéroïdes qui, seront choisis vu leur meilleur effet à court terme../..»

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En Belgique, le CBIP (13) indique que la place de la viscosupplémentation dans le traitement de la gonarthrose n’est pas établie. De son côté, la synthèse clinique Dynamed rejoint ce propos ; elle souligne les disparités dans le discours des différentes organisations professionnelles concernant la viscosupplémentation. Elle recommande de réserver l’usage de la viscosupplémentation aux patients présentant une contre-indication à la chirurgie, ou aux patients < 65 ans réfractaires aux autres approches non chirurgicales (2). 

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique apporte des preuves supplémentaires que la viscosupplémentation dans la prise en charge de la gonarthrose ne présente pas d’intérêt clinique significatif et expose à un risque d’effets indésirables graves. 

 

 


Références 

  1. Lim WB, Al-Dadah O. Conservative treatment of knee osteoarthritis: a review of the literature. World J Orthop 2022;13:212-29. DOI: 10.5312/wjo.v13.i3.212
  2. Injection Therapy for Osteoarthritis (OA) of the Knee. DynaMed. (Site consulté le 8 juin 2023). Disponible sur: 
    https://www-dynamed-com.gateway2.cdlh.be/management/injection-therapy-for-osteoarthritis-oa-of-the-knee
  3. Jüni P , Roman Hari R, Rutjes AW, et al. Intra-articular corticosteroid for knee osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD005328.pub3
  4. Rutjes AW, Jüni P, da Costa BR, et al. Viscosupplementation for osteoarthritis of the knee: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2012;157:180-91. DOI: 10.7326/0003-4819-157-3-201208070-00473
  5. Bucci J, Chen X, LaValley M, et. Progression of knee osteoarthritis with use of intraarticular glucocorticoids versus hyaluronic acid. Arthritis Rheumatol 2022;74:223-6. DOI: 10.1002/art.42031
  6. Delbarre A, Amor B, Isabelle Bardoulat I, et al. Do intra-articular hyaluronic acid injections delay total knee replacement in patients with osteoarthritis - A Cox model analysis. PLoS One 2017;12:e0187227. DOI: 10.1371/journal.pone.0187227
  7. Luyten FP. Les infiltrations d’acide hyaluronique sont-elles efficaces dans la gonarthrose? MinervaF 2003;2(9):152-4
  8. Petrella RJ, DiSilvestro MD, Hildebrand C. Effects of hyaluronate sodium on pain and physical functioning in osteoarthritis of the knee. Arch Intern Med 2002;162:292-8. DOI: 10.1001/archinte.162.3.292
  9. Bellemans J. Visco-supplémentation en cas d’arthrose du genou. Minerva Analyse 28/04/2023
  10. Pereira TV, Jüni P, Saadat P, et al. Viscosupplementation for knee osteoarthritis: systematic review and meta-analysis. BMJ 2022;378:e069722. DOI: 10.1136/bmj-2022-069722
  11. Bokankova B, Meirlaan S, Thienpondt E. Gonarthrose et le patient obèse : recommandations pratiques. Louvain Med 2023:186-91.
  12. Bruyère O, Honvo G, Veronese N, et al. An updated algorithm recommendation for the management of knee osteoarthritis from the European Society for Clinical and Economic Aspects of Osteoporosis, Osteoarthritis and Musculoskeletal Diseases (ESCEO). Semin Arthritis Rheum 2019;49:337-50. DOI: 10.1016/j.semarthrit.2019.04.008
  13. Répertoire Commenté des Médicaments. Pathologies ostéoarticulaires. Arthrose. Acide hyaluronique. CBIP juin 2023. Disponible sur : https://www.cbip.be/fr/chapters/10?frag=25700&view=pvt&vmp_group=1575



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