Analyse
Méthotrexate : une nouvelle option pour traiter l'arthrose des mains ?
18 04 2025
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PharmacienContexte
La littérature s’intéressant spécifiquement à l’arthrose des mains reste limitée. Deux publications dans Minerva (1-4) ont examiné l'efficacité des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pour cette condition, soulignant leurs effets bénéfiques pour le soulagement des symptômes, mais également les options thérapeutiques restreintes. Les AINS présentent des risques d'effets indésirables gastro-intestinaux et systémiques, limitant ainsi leur utilisation à long terme. La synovite, qui se caractérise par l'inflammation de la membrane synoviale entourant les articulations, peut accompagner l'arthrose, provoquant douleur et gonflement supplémentaires. Dans les cohortes hospitalières, environ la moitié des personnes atteintes d'arthrose symptomatique de la main présentent une synovite détectée par imagerie. La présence de cette synovite est liée à des douleurs articulaires et à une progression structurelle de la maladie qui peut être prédite par l’utilisation de l’échographie (5). En se basant sur l'efficacité bien établie du méthotrexate dans le traitement des arthrites inflammatoires, évaluer son potentiel dans le traitement de l'arthrose des mains avec synovite, en ciblant spécifiquement l'inflammation locale, semble logique.
Cette étude a été élaborée en réponse aux résultats mitigés d'une étude précédente où une dose de 10 mg de méthotrexate par semaine n'avait montré aucune supériorité, à 3 et 12 mois, par rapport au placebo pour soulager la douleur chez 64 participants souffrant d'arthrose des mains érosive (6). La dose plus faible, le nombre modéré de participants et le manque de ciblage du phénotype inflammatoire de l'arthrose des mains pourraient avoir limité l'efficacité de ce traitement précédent. Ces facteurs justifient une nouvelle étude mieux réfléchie d’un point de vue méthodologique, visant à surmonter ces limitations et à fournir des données plus concluantes sur l'efficacité du méthotrexate dans ce contexte spécifique (7).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion: le recrutement des participants a été effectué auprès d’adultes âgés de 40 à 75 ans souffrant d'arthrose des mains présentant :
- une douleur dans les articulations des mains pour la plupart des jours au cours des 3 derniers mois, avec un score de douleur d'au moins 40 mm sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 100 mm au cours des 7 derniers jours
- un diagnostic d'arthrose des mains conforme aux critères de l'American College of Rheumatology
- critères d’exclusion : les critères d'exclusion incluaient la présence de maladies rhumatismales concomitantes, des contre-indications au méthotrexate, l'incapacité à donner un consentement éclairé, ainsi que la grossesse ou l'allaitement
- le nombre total de participants était de 97 patients, avec un âge moyen de 61,4 ans ; parmi eux, on comptait 68 femmes (70%) et 29 hommes (30%) ; le délai depuis le diagnostic de la maladie était de 7 ans en moyenne ; les médicaments les plus fréquemment utilisés par les participants étaient le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et l’huile de poisson ; à l’exception d’un indice de masse corporelle (BMI) moyen de 29,7 kg/m² dans le groupe traité au méthotrexate et de 27,9 kg/m² dans le groupe placebo, les caractéristiques de base des participants étaient bien équilibrées.
Protocole de l'étude
Étude randomisée, en double aveugle, multicentrique
-
- l'intervention (n = 50) consistait en l'administration de méthotrexate à une dose de 20 mg par semaine pendant 6 mois
- le comparateur était un placebo (n = 47)
- l’étude a été menée en Australie
- les participants ont initialement reçu soit 10 mg de méthotrexate oral (groupe intervention), soit un placebo (groupe comparaison) une fois par semaine pendant les 4 premières semaines ; ensuite, si aucune toxicité n'était constatée, la dose était augmentée à 20 mg par semaine à la discrétion du médecin de l'étude ; l'augmentation de la dose était décidée lors de l'examen de 4 semaines et, en cas d'intolérance, reportée jusqu'à un nouvel examen clinique
- tous les participants ont également pris de l'acide folique 5 mg une fois par jour, sauf le jour de la prise de méthotrexate ou de placebo, pour réduire les effets secondaires du méthotrexate et diminuer les interruptions de traitement.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- la réduction de la douleur mesurée par une échelle visuelle analogique (EVA) de 100, avec évaluation à t0, 4 semaines, 3 mois et 6 mois
- critères de jugement secondaires :
- une modification de la douleur et de la fonction, y compris la force de préhension, à 6 mois évalués par AUSCAN, FIHOA, HAQ, MHQ
- les effets indésirables, évalués à chaque visite de suivi et par téléphone entre les visites après le début du traitement à l'étude ; les analyses sanguines (numération formule sanguine et fonctions rénale et hépatique) ont été surveillées à 2 - 4 - 8 - 12 et 26 semaines (6 mois) ; les effets indésirables graves ont été évalués par les médecins de l'étude
- les résultats ont été présentés sous forme de différences moyennes (DM) entre les groupes à chaque point de temps, avec des intervalles de confiance à 95% et des valeurs p
- il n’y a pas eu d’ajustement des valeurs p pour les tests multiples
- le protocole initial prévoyait une stratification par site et sexe, sans analyse en sous-groupes.
Résultats
- sur les 97 participants, 85% (82 participants) ont fourni la mesure de l’objectif primaire à 6 mois (42 dans le groupe méthotrexate et 40 dans le groupe placebo) ; tous les participants sauf cinq ont atteint la dose de 20 mg après 4 semaines
- résultats pour la réduction de la douleur :
- résultats pour la modification de la douleur et de la fonction, y compris la force de préhension :
- le groupe méthotrexate a montré une meilleure réduction de la douleur et de la raideur AUSCAN, mais les différences dans les autres mesures de fonction (AUSCAN, FIHOA, HAQ, MHQ, force de préhension) n'étaient pas significatives
- les événements indésirables :
- trois participants dans le groupe méthotrexate et un dans le groupe placebo ont eu des événements indésirables graves
- le taux d'incidence des événements indésirables était similaire dans les deux groupes
- des anomalies hématologiques et biochimiques mineures ont été observées mais n'ont pas affecté le traitement.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que le méthotrexate à une dose de 20 mg par semaine a eu un effet modéré mais potentiellement cliniquement pertinent pour réduire la douleur chez les patients souffrant d'arthrose de la main et de synovite après un suivi de 6 mois. Cela prouve que le méthotrexate peut jouer un rôle dans le traitement de l'arthrose de la main avec une composante inflammatoire.
Financement de l’étude
L'étude a été financée par le National Health and Medical Research Council (NHMRC) d'Australie.
Conflit d’intérêts des auteurs
Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt en lien avec cette étude.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
L'étude présente plusieurs points forts méthodologiques contribuant à sa validité interne. Elle a utilisé un design randomisé en double aveugle, ce qui réduit les biais de sélection et de performance. La randomisation en bloc stratifiée par site et sexe, avec des numéros générés par ordinateur, a permis de maintenir un équilibre entre les groupes. L'analyse en intention de traiter, incluant tous les participants assignés aux groupes de traitement, indépendamment de leur adhérence, renforce la robustesse des résultats. L'imputation multiple des données manquantes et les modèles de régression ajustés pour les mesures de base augmentent la précision des conclusions. Pour détecter une différence de 15 mm entre les groupes en termes d'EVA de la douleur à 6 mois, avec un écart-type de 20 mm par rapport à la valeur initiale, 38 participants de chaque groupe devaient atteindre une puissance de 90% pour détecter la différence minimale cliniquement importante (p bilatéral = 0,05). Bien que le nombre de participants ayant fourni la mesure de l’objectif primaire à 6 mois (42 dans le groupe méthotrexate et 40 dans le groupe placebo) soit adéquat, on remarque que la différence minimale de 15 mm entre les 2 groupes à 6 mois n’est pas atteinte. De plus, une différence significative du BMI entre les groupes (29,7 kg/m² pour le méthotrexate contre 27,9 kg/m² pour le placebo) pourrait avoir un impact sur les résultats, même si les autres caractéristiques de base étaient bien équilibrées.
Les critères de jugement primaire et secondaire sont pertinents cliniquement, alignés avec l’objectif de l’étude, et suivent les recommandations de la société américaine de rhumatologie. Les outils d’évaluation des critères de jugement, comme l'EVA et l'AUSCAN, sont validés et reconnus pour leur fiabilité et sensibilité au changement. Enfin, les analyses ont été réalisées en respectant le groupe d’assignation des sujets, suivant une approche en intention de traiter. Cela renforce la validité des conclusions. Les mesures des résultats et la surveillance des effets indésirables ont été effectuées à l'aveugle, minimisant les biais d'observation
Évaluation des résultats
Cette étude sur l'utilisation du méthotrexate pour l'arthrose des mains avec synovite présente plusieurs points de validité externe à considérer. La population étudiée, composée d'adultes âgés de 40 à 75 ans avec une majorité de femmes, reflète bien la patientèle typique de l'arthrose des mains, bien que l'exclusion de patients avec des comorbidités importantes limite l'extrapolation à une population plus diverse. L'intervention, consistant en l'administration hebdomadaire de 20 mg de méthotrexate, est faisable et compatible avec les pratiques cliniques actuelles en médecine générale. Les critères de réduction de la douleur et d’amélioration de la fonction sont pertinents et significatifs pour les patients, car ils adressent les symptômes les plus invalidants de l'arthrose des mains. Les résultats montrent une réduction notable de la douleur et une amélioration fonctionnelle, bien que la prudence soit de mise pour extrapoler cliniquement ces résultats. En effet, bien que l'étude montre une réduction statistiquement significative de la douleur avec l'utilisation de méthotrexate, il est important de considérer la pertinence clinique de cette différence, qui ne semble pas être atteinte. Pour les patients atteints d'arthrose des mains, l'amélioration de la fonction et la capacité à réaliser des activités quotidiennes sans gêne sont essentielles. Ainsi, une approche combinée, prenant en compte les mesures quantitatives et l'expérience subjective des patients, est importante pour évaluer les bénéfices cliniques réels du traitement (5).
Comparé aux recherches antérieures, cette étude se distingue par l'utilisation d'une dose plus élevée de méthotrexate et un suivi rigoureux, offrant des résultats plus prometteurs que les études utilisant des doses plus faibles. Le rapport bénéfice-risque apparaît légèrement favorable, avec des effets secondaires potentiels non négligeables, soulignant la nécessité d'une surveillance attentive dans une population plus large. En conclusion, bien que les résultats soient encourageants, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer l'efficacité et la sécurité du méthotrexate dans des contextes cliniques diversifiés.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Pour l'arthrose du pouce, l'attelle est recommandée pour soulager la douleur (8). Une thérapie manuelle, comme la mobilisation neurale, est conseillée pour réduire la douleur chez les patients atteints d'arthrose carpométacarpienne (9). Les exercices spécifiques de la main seraient efficaces pour améliorer la fonction articulaire et réduire la douleur (10). Les AINS topiques, comme le diclofénac sont préférés aux AINS oraux pour leur efficacité dans la gestion de la douleur articulaire (11). En cas de réponse inadéquate, des AINS oraux peuvent être envisagés, mais leur utilisation doit être limitée en raison des risques associés et une protection gastrique doit être envisagée lors du traitement (11). Pour les symptômes réfractaires, la chirurgie peut être considérée pour les patients présentant une arthrose sévère avec douleur ou limitation fonctionnelle importante (12). Les recommandations de NICE et NHG Standaard soulignent l'importance du traitement conservateur aussi longtemps que possible dans la pris en charge de l’arthrose des mains, en mettant l'accent sur une approche combinant thérapie manuelle et exercices spécifiques pour tous les patients, ainsi qu’éventuellement une attelle de pouce. Une injection de corticostéroïdes peut être envisagée pour certaines indications (11,12).
Conclusion de Minerva
Cette RCT bien conduite méthodologiquement montre que chez les patients souffrant d'arthrose des mains avec synovite, l'utilisation hebdomadaire de 20 mg de méthotrexate comparée à un placebo induit une réduction significative de l'inflammation synoviale et une amélioration statistiquement significative des symptômes douloureux et fonctionnels. La pertinence clinique n’est probablement pas atteinte. Des recherches ultérieures sont nécessaires.
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Auteurs
Kinsoen R.
médecin assistant en médecine générale, UCLouvain
COI :
Yech-Chou M.
médecin assistant en médecine générale, UCLouvain
COI :
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Mots-clés
arthrose, arthrose de la main, douleur, effet indésirable, méthotrexate, placebo, synoviteCode
M19
L91
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