Analyse
Quelle est la meilleure position du bras pour une mesure optimale de la tension artérielle ?
Contexte
La mesure correcte de la tension artérielle est l’élément essentiel pour le diagnostic et le traitement de l’hypertension. Les derniers guides de pratique clinique de l’OMS décrivent en détail la méthode normalisée pour mesurer la tension artérielle : dos soutenu, les deux pieds au sol, l’avant-bras reposant sur une table ou un bureau, le coude légèrement fléchi et un brassard adapté autour de la partie supérieure du bras à hauteur du cœur (1). Il ressort de la discussion traitant d’une étude croisée, randomisée, contrôlée, en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, qu’un brassard trop large par rapport à la circonférence du bras entraîne une sous-estimation de la tension et, à l’inverse, qu’un brassard trop petit la surestime (2,3). Cependant, les observations montrent que les médecins ne suivent pas toujours les recommandations pour une mesure précise de la tension artérielle (4). Ainsi, en l’absence d’une table appropriée, les mesures de la tension sont régulièrement effectuées le patient ayant le bras qui pend le long du corps ou soutenu par une tierce personne, ou la main posée sur la cuisse. Plusieurs études ont révélé une surestimation de la tension si le bras ne repose pas sur une table ou si le brassard est en dessous du niveau du cœur (5). La méthodologie de ces études n’était toutefois pas optimale : échantillon de petite taille, absence de randomisation. C’est pourquoi une récente étude randomisée contrôlée portant sur la position optimale du bras lors de la mesure de la tension a attiré notre attention (6).
Résumé
Population étudiée
- d’août 2022 à juin 2023, recrutement par dépistage de la tension artérielle dans un marché public proche de l’hôpital universitaire où l’étude a été menée (Baltimore, Maryland, États-Unis), courriers adressés par le centre de recherche aux participants d’études antérieures, brochures d’information dans la salle d’attente de la clinique d’hypertension de l’université, recommandations de médecins spécialisés dans le traitement des personnes souffrant d’hypertension
- critères d’inclusion : adultes entre 18 et 80 ans
- critères d’exclusion : une ou plusieurs des situations suivantes : éruption cutanée, pansement, pansement circulaire, immobilisation, œdème, paralysie, plaies ou blessures ouvertes, shunt artério-veineux au niveau des deux bras, déficience mentale, grossesse, circonférence du bras > 55 cm
- finalement, inclusion de 133 personnes ayant en moyenne 57 ans (écart-type (ET) 17 ans), dont 74 (56%) avaient ≥ 60 ans ; 70 femmes (53%) ; 103 Noirs (77%) et 21 Blancs (16%) ; 55 (41%) avaient un BMI ≥ 30 kg/m² ; 109 (82%) avaient eu au moins un contact avec un prestataire de soins de santé au cours de l’année précédente ; 79 (59%) étaient sous traitement antihypertenseur.
Protocole d’étude
Étude randomisée contrôlée (RCT) croisée
- la tension était mesurée le patient étant assis avec le bras dans trois positions différentes
- position standard du bras : le coude fléchi et l’avant-bras posé sur le bureau avec un brassard adapté autour de la partie supérieure du bras à hauteur du cœur
- les mains sur les cuisses
- bras non soutenu et qui pend le long du corps
- la tension de chaque participant a été mesurée trois fois de suite dans chaque position du bras (à 30 secondes d’intervalle) ; la séquence des positions du bras a été randomisée en six séries ; les trois séries de trois mesures de chaque participant dans chaque position du bras ont été suivies de trois mesures supplémentaires dans la position standard ; chaque participant a donc eu douze mesures, chaque fois avec trois mesures dans trois positions du bras successives et aléatoires puis trois mesures dans la position standard ; pour chaque série de trois mesures, la tension moyenne a été calculée
- deux chercheurs formés ont effectué toutes les mesures de la tension entre 9 heures et 18 heures à l’aide d’un appareil oscillométrique automatique validé dans une pièce calme, et les participants ont été priés de ne pas parler et de ne pas utiliser de smartphone
- dans chaque cas, les mesures ont suivi une procédure stricte :
- les participants devaient préalablement vider leur vessie
- pour chaque série de trois mesures, ils devaient marcher tranquillement pendant deux minutes et s’asseoir tranquillement pendant cinq minutes en ayant le dos et les pieds soutenus
- les mesures se faisaient toujours au bras droit, sauf si cela n’était pas possible pour des raisons médicales (plaie ouverte, amputation, etc.), et la largeur du brassard était adaptée à la circonférence du bras.
Mesure des résultats
- principaux critères de jugement : différence entre la position standard et les deux autres positions du bras quant à la pression systolique moyenne et la pression diastolique moyenne, en tenant compte des différences de pression moyenne entre les deux mesures en position standard
- critères de jugement secondaires : différence entre la position standard et les deux autres positions du bras quant à la pression systolique moyenne et la pression diastolique moyenne dans différents sous-groupes (pression systolique ≥ 130 contre < 130 mmHg ; âge ≥ 60 contre < 60 ans ; BMI ≥ 30 contre < 30 kg/m² ; aucun contact contre ≥ 1 contact avec un prestataire de soins de santé au cours de l’année précédente)
- le test t pour échantillons appariés a été utilisé pour montrer une différence statistiquement significative.
Résultats
- la mesure de la tension lorsque le patient avait la main posée sur la cuisse ou le bras qui pendait le long du corps a produit des valeurs de pression systolique et diastolique significativement plus élevées dans chaque cas que la mesure de la tension le bras étant en position standard (voir tableau).
Tableau. Différence dans la pression systolique et dans la pression diastolique entre la mesure lorsque le patient a la main posée sur la cuisse ou le bras qui pend le long du corps, d’une part, et le bras en position standard, d’autre part.
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Différence entre la position avec la main sur la cuisse et la position standard (IC à 95%) |
Valeur de p |
Différence entre la position avec le bras qui pend le long du corps et la position standard (IC à 95%) |
Valeur de p |
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Pression systolique |
+ 3,9 (2,5 - 5,2) mmHg |
< 0,0001 |
+ 6,5 (5,1 - 7,9) mmHg |
< 0,0001 |
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Pression diastolique |
+ 4,0 (3,1 - 4,9) mmHg |
< 0,0001 |
+ 4,4 (3,4 - 5,4) mmHg |
< 0,0001 |
- les différences dans la pression systolique entre les mesures lorsque le patient a la main sur la cuisse ou le bras qui pend le long du corps par rapport au bras en position standard étaient constantes dans tous les sous-groupes
- la différence dans la pression systolique lorsque le patient a la main sur la cuisse et lorsqu’il a le bras en position standard était toutefois statistiquement plus importante chez les personnes n’ayant eu aucun contact avec un prestataire de soins de santé au cours de l’année précédente (+9,6 mmHg (IC à 95% de 6,4 à 12,7) contre +3,6 mmHg (IC à 95% de 2,0 à 5,2) lorsqu’il y avait eu un contact avec un prestataire de soins de santé au cours de l’année précédente)
- la différence dans la pression systolique entre le bras qui pend le long du corps et le bras en position standard était toutefois statistiquement plus importante chez les personnes ayant une pression systolique ≥ 130 mmHg (+8,5 mmHg (IC à 95% de 5,7 à 11,4) contre +5,3 mmHg (IC à 95% de 3,8 à 6,9) chez les personnes ayant une pression systolique < 130 mmHg).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que cette RCT croisée montre que les positions du bras couramment utilisées (main posée sur la cuisse ou bras qui pend le long du corps) entraînent une surestimation significative de la tension et peuvent conduire à un diagnostic erroné et à une surestimation de l’hypertension artérielle.
Financement de l’étude
Chan Zuckerberg Foundation.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Un biais de recrutement ne peut être exclu car le recrutement des participants s’est fait en grande partie de manière autonome, et les patients ont été recrutés dans une clinique spécialisée dans l’hypertension. Les participants ont été correctement randomisés entre six séquences de positions du bras lors de la mesure de la tension à l’aide d’une table de répartition générée par ordinateur. Après la randomisation, il est apparu une différence frappante dans le nombre de participants par groupe (variation de n = 12 à n = 31). D’après les auteurs, cela s’explique uniquement par une défaillance du logiciel utilisé pour créer des groupes égaux. Une analyse de sensibilité prenant en compte les différences d’âge, de BMI, d’utilisation de médicaments antihypertenseurs, de longueur et de circonférence du bras, de pression artérielle systolique et diastolique, d’ordre de positionnement des bras lors de la mesure de la pression artérielle n’a pas permis de mettre en évidence une influence de l’inégalité de ces groupes sur les résultats. Les chercheurs chargés de mesurer la tension ne savaient pas à l’avance de quel groupe les participants faisaient partie.
On a supposé qu’au moins 100 participants étaient nécessaires pour établir une différence de tension cliniquement significative d’au moins 2,5 mmHg avec une puissance de 80% et un niveau de signification bilatéral de 0,05. Il n’est pas certain que la puissance des analyses de sous-groupes ait été suffisante pour montrer une différence.
Chez chaque participant, les mesures de la tension ont été effectuées deux fois avec le bras dans la position standard. La différence de tension entre ces deux mesures standard a été soustraite de la différence de tension entre la position standard et les deux autres positions du bras. Cela a permis aux chercheurs de prendre en compte la variabilité intrinsèque de la tension des participants.
Évaluation des résultats
Les surestimations de la pression systolique et diastolique lorsque la main est posée sur la cuisse ou lorsque le bras pend le long du corps, par rapport à la position standard avec le coude en flexion, l’avant-bras posé sur le bureau et le brassard approprié autour du bras au niveau du cœur, sont non seulement statistiquement significatives mais aussi cliniquement pertinentes (7). Une tendance similaire avait déjà été observée dans une synthèse méthodique ayant inclus trois études non randomisées. On y constatait une différence statistiquement significative de la pression systolique et de la pression diastolique, de respectivement +4,87 mmHg et +2,7 à +4,81 mmHg, entre la mesure lorsque le bras n’était pas posé sur une table et la mesure lorsque le bras était posé sur une table (9).
Le graphique de Bland Altman montre que la variation de la tension entre les deux positions du bras est relativement constante dans un large éventail de valeurs de pression systolique. Il y avait peu de valeurs aberrantes. Cela indique que le protocole de mesure est efficace et qu’il a été mis en œuvre avec précision au sein de la population étudiée. De plus, le choix de critères d’inclusion très larges (uniquement une restriction d’âge) pour cette étude ne s’est pas avéré être une limitation ; au contraire, il a permis de démontrer que la méthode normalisée pour mesurer la tension artérielle est faisable dans un large groupe de population (argument en faveur de la possibilité d’extrapoler). Dans cette étude, un tensiomètre oscillométrique automatique a été utilisé, mais en présence d’un chercheur. Seul élément critiquable : idéalement, les mesures répétées sont effectuées dans le cabinet d’un médecin, sans qu’il soit présent, afin d’éviter l’effet « blouse blanche » (8,9), ce qui n’était pas le cas dans cette étude.
Que disent les guides de pratique clinique ?
L’une des conditions essentielles pour une mesure précise de la tension artérielle est la position du bras utilisé pour la mesure : bras reposant sur un bureau ou une table avec le brassard de taille appropriée posé sur la partie supérieure du bras et à hauteur du cœur (1).
Conclusion de Minerva
Cette RCT croisée, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre qu’une position inadéquate du bras (main sur la cuisse ou bras qui pend le long du corps) peut surestimer la mesure de la tension artérielle en position assise de manière cliniquement pertinente par rapport à la position correcte du bras (coude en flexion, avant-bras posé sur le bureau et brassard adapté placé à hauteur du cœur). Le risque de surdiagnostic de l’hypertension artérielle est donc très probablement accru par une position inadéquate du bras lors de la mesure de la tension.
- Hypertension. World Health Organization, 13/11/2023.
- De Cort P. La largeur du brassard du tensiomètre influence-t-elle le résultat de la mesure de la pression artérielle ? MinervaF 2024;23(2):26-9.
- Ishigami J, Charleston J, Miller ER, et al. Effects of cuff size on the accuracy of blood pressure readings: the Cuff (SZ) randomized crossover trial. JAMA 2023;183:1061-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2023.3264
- Collins D. Doctors botch blood pressure readings more often than you think. Vox, 17/01/2024. URL: https://www.vox.com/science-and-health/2018/7/3/17510132/new-blood-pressure-guidelines-ranges-hypertension
- Kallioinen N, Hill A, Horswill MS, et al. Sources of inaccuracy in the measurement of adult patients' resting blood pressure in clinical settings: a systematic review. J Hypertens 2017;35:421-41. DOI: 10.1097/HJH.0000000000001197
- Liu H, Zhao D, Sabit A, et al. Arm position and blood pressure readings: the ARMS crossover randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2024;184:1436-42. DOI: 10.1001/jamainternmed.2024.5213
- MacMahon S, Peto R, Cutler J, et al. Blood pressure, stroke, and coronary heart disease. Part 1, Prolonged differences in blood pressure: prospective observational studies corrected for the regression dilution bias. Lancet 1990;335(8692):765-74. DOI: 10.1016/0140-6736(90)90878-9
- Myers MG, Kaczorowski J, Dawes M, Godwin M. Automated office blood pressure measurement in primary care. Can Fam Physician 2014;60:127-32.
- Roerecke M, Kaczorowski J, Myers MG. Comparing automated office blood pressure readings with other method of blood pressure measurement for identifying patient with possible hypertension: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;179:351-62. DOI: 10.1001/jamainternmed.2018.6551
Auteurs
De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
Z01
A98
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